Face à la crise du logement, la piste des bureaux vides se précise
D’un côté, des immeubles de bureaux désertés, de l’autre, des logements qui manquent. Face à cette tension croissante, deux rapports remis vendredi à Valérie Létard livrent des préconisations ambitieuses pour réconcilier offre et demande en transformant l’inutile en indispensable. Une politique de reconditionnement qui pourrait bien changer durablement le visage de l’immobilier.

© @valerieletard
C’est un paradoxe immobilier saisissant, et désormais bien connu de tous : en France, des millions de mètres carrés de bureaux sont inoccupés, tandis que la crise du logement s'aggrave, rendant l'accès à un toit de plus en plus difficile pour de nombreux ménages. Face à cette situation, Valérie Létard avait confié en mars dernier à deux groupes de travail la mission d'explorer des solutions concrètes (voir notre article). En sachant que, depuis, la loi "visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements" a été publiée (voir notre article de juin), fournissant déjà un certain nombre d'outils. Les conclusions de ces deux groupes de travail ont été révélées la semaine dernière, dans deux rapports.
Simplifier pour reconditionner : le rapport Sisyphe
Le premier, axé sur la simplification de la réglementation et copiloté par Roland Cubin (directeur général délégué de Groupama Immobilier), Laurent Girometti (directeur général d’EpaMarne/EpaFrance) et Philippe Vereecke (directeur général délégué de Bouygues Bâtiment Île-de-France), porte le nom évocateur de Sisyphe, illustrant la tâche ardue de la transformation. Il propose 21 recommandations pour lever les freins réglementaires, en insistant sur la nécessité de considérer les immeubles transformés comme "reconditionnés" plutôt que "neufs". Une philosophie qui reconnaît la singularité de chaque projet de transformation et vise à adapter l'existant plutôt qu'à imposer les standards de la construction neuve.
La reconnaissance officielle du reconditionnement d'actifs immobiliers constitue l’une des propositions phares du rapport Sisyphe. Il s'agit de légitimer cette pratique pour les bâtiments dont l'usage initial ne peut être maintenu en raison de leur obsolescence ou de leur vacance. Le rapport adresse également les normes de construction qui freinent la transformation, telle que la sécurité incendie, l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite et les règles de stationnement, pour lesquelles des ajustements techniques sont suggérés. Le rapport recommande aussi d'exonérer les extensions et surélévations de bâtiments existants représentant moins de 30% de la surface initiale de l'application de la RE2020.
Enfin, pour concrétiser cette vision, la création d'une Commission centrale du reconditionnement d’actifs est proposée. “Cette commission aura pour objectif de faciliter le reconditionnement d’actifs et d’éviter les surrèglementations locales, homogénéiser les pratiques, créer une doctrine du reconditionnement et faciliter la “prise de risques” des acteurs”, détaillent les auteurs du rapport. Le document propose également un "permis de démolir suspensif" pour inciter à explorer toutes les alternatives de transformation avant de démolir.
Financer la transformation : le rapport Bouyer-Lépine
Le second rapport, réalisé par Nadia Bouyer (directrice générale d’Action Logement) et Xavier Lépine (président de l’IEIF), copilotes du groupe de travail sur le modèle économique et le financement, formule 10 propositions pour rendre la transformation économiquement désirable et financièrement viable. Leur analyse met en lumière que le résidentiel locatif n'est pas structurellement une classe d'investissement attractive pour les institutionnels, en raison de rendements faibles, de coûts de gestion élevés et d'une réglementation protectrice pour les locataires.
Pour inverser cette tendance, le rapport propose la création d'un régime juridique et fiscal adapté à la "vente d'immeuble à transformer" (VIT). Ce nouveau statut, intermédiaire entre la Vefa (vente en l'état futur d'achèvement) et la VIR (vente d'immeuble à rénover), permettrait d'exonérer de TVA la vente de l'immeuble en l’appliquant uniquement aux travaux de transformation.
Une autre proposition clé est l'instauration d'une "valeur de transformation" pour les immeubles tertiaires vacants de manière structurelle (plus de 70% d'inoccupation depuis au moins deux ans). Les propriétaires seraient tenus de réaliser une expertise de valorisation alternative en logement, intégrant un programme de logements libres, intermédiaires ou en résidence gérée. Cette mesure vise à révéler la véritable valeur de ces actifs "échoués" et à inciter les propriétaires à un arbitrage.
Des foncières de transformation de bureaux
Pour mobiliser les capitaux nécessaires, le rapport suggère de créer des véhicules dédiés, les "foncières de transformation de bureaux" (FTB), bénéficiant d'un régime dérogatoire et d'un agrément de l'État. Ces FTB permettraient de déplafonner les montants de travaux et de revente annuelle, de rendre les moins-values fongibles pour les particuliers, et de soumettre les travaux à une TVA réduite de 5,5% justifiée par les objectifs de sobriété carbone. Elles bénéficieraient également d'une exonération temporaire de la taxe sur les bureaux et d'un maintien des droits acquis en cas de réversibilité du bâtiment.
L'approche partenariale est également au cœur des recommandations, notamment en élargissant le champ des opérations de revitalisation de territoire (ORT) aux transformations de bureaux en logements. “Cela permettrait aux collectivités locales d’intégrer pleinement cette finalité dans leurs projets et rendrait le dispositif ORT plus pertinent au regard des enjeux actuels de transformation du tissu urbain”, fait valoir le rapport. En d’autres termes, les projets seraient inscrits dans une stratégie publique globale, mobilisant l'ensemble des acteurs publics et privés pour des requalifications d'ensemble. Des mesures de simplification des règles (bonus de constructibilité automatique, assouplissement des règles de stationnement, financement dédié au portage d'opérations via la Banque des Territoires, instauration d'un "certificat de projet") sont proposées dans le cadre des ORT pour faciliter la sortie des opérations.
Enfin, le rapport préconise une réforme de la taxe foncière, en assujettissant les futurs ex-bureaux à la taxe foncière non bâtie pendant la durée des travaux afin de ne plus avantager la démolition-reconstruction. Il propose également de réduire la recette de la commune pour les immeubles durablement vacants, incitant ainsi les maires à agir. La prolongation du dispositif fiscal Denormandie jusqu'en 2032, ciblant les rénovations globales, est aussi mise en avant.
À l’heure où un nouveau gouvernement s’apprête à être nommé, reste à savoir si ces rapports trouveront une traduction concrète dans l’action publique. Dans l’immobilier comme en politique, l’enjeu est le même : éviter que le vide ne s’installe durablement.