Faire du préfet le vrai patron de l'action territoriale de l'Etat
Telle est l'ambition du gouvernement avec la réforme que François Bayrou a présentée ce 8 juillet devant les principaux intéressés réunis à Chartres. "Les élus auront un seul interlocuteur", a notamment fait valoir le Premier ministre. Parmi les dispositions prévues : faire du préfet "le délégué territorial des opérateurs de l'Etat", soumettre les projets d'implantation de services publics à son avis préalable, lui donner des marges de manoeuvre en termes de fongibilité des crédits. Des dispositions réglementaires et législatives sont pour bientôt.

© Capture vidéo @gouvernementFR/ Catherine Vautrin, Bruno Retailleau François Bayrou, François Rebsamen et Laurent Marcangeli
Refonder l'Etat local. C'est sous ce slogan que le chef du gouvernement, entouré de sept ministres, a réuni ce 8 juillet à Chartres les préfets de régions et de départements ainsi que les secrétaires généraux des ministères pour leur présenter sa "réforme de l'administration territoriale de l'État". Une "décision attendue depuis très longtemps, qui était dans les tiroirs depuis plus d'une décennie et que l'on n'arrivait pas à faire sortir", a-t-il souligné. Et qui, si elle fait partie d'un chantier plus large, celui de la réforme de l'action publique, n'en constitue que l'un des pans, avait souligné la veille son entourage.
Globalement, l'objectif est de "renforcer le positionnement et les prérogatives des préfets au plan local". De renforcer aussi, a dit François Bayrou, leurs "moyens" et leur "autorité". Et de leur permettre "d'intervenir sur tous les dossiers". "Si une décision ne leur convient pas", a-t-il illustré – se référant à une décision d'une administration ou d'un opérateur de l'Etat sur son territoire –, le préfet aura "le pouvoir de demander à ce qu'on la réexamine". Ainsi, notamment, "les élus locaux auront un interlocuteur, ce qui leur permettra de se faire mieux entendre". Car aujourd'hui, décrit le Premier ministre, "l’action de l’État est divisée en un trop grand nombre d’acteurs", ce qui "génère des lenteurs et des incohérences". "L’action du préfet est trop souvent entravée par la multiplication des canaux d’intervention de l’État – parfois directement depuis Paris", constate-t-il aussi. La création des grandes régions, la multiplication des opérateurs et les réorganisations successives des services de l'Etat sur les territoires n'auraient guère arrangé les choses. François Bayrou voit dans cette réforme une source d'efficacité de l'action publique… et par là-même d'"efficacité de la dépense publique", y compris en permettant de "réorienter un certain nombre de dépenses".
Une liste d'opérateurs en préparation
Les changements proposés s'articulent en "deux grandes orientations". La première : "renforcer la cohérence" de l'action des services de l'Etat et "mieux l'adapter aux réalités locales". Dans ce cadre, les "prérogatives managériales" des préfets vont être renforcées : ces préfets seront désormais associés à la nomination de l'ensemble des chefs de services de l'Etat et de ses établissements publics agissant sur leur territoire (hors Education nationale et agences régionales de santé) ; et seront, de même, associés à leur évaluation annuelle.
Plus important sans doute, en tout cas du point de vue des collectivités locales : le préfet sera désormais "systématiquement" considéré comme "le délégué territorial des opérateurs de l'Etat" ayant une action territoriale. "C'est déjà le cas pour certains opérateurs, il s'agit aujourd'hui de l'élargir", explique une source gouvernementale : le préfet est déjà par exemple délégué de l'Anah, de l'Anru, de l'ANCT… mais vont maintenant être recensés "tous les opérateurs qui ont une mission territoriale". Une liste est "en cours de discussion" et fera l'objet d'un décret.
Ainsi, le préfet pourra adresser à ces opérateurs des "directives d'action territoriale" et donc, comme indiqué par François Bayrou, leur demander de "réexaminer, avec effet suspensif", certaines de leurs décisions. Il sera de même conforté dans son rôle d'"animateur" ou "chef d'orchestre" des services et opérateurs. Ce qui inclura un rôle en matière de ressources humaines (recrutement et de mobilités).
Carte scolaire et offre de soins aussi...
Deuxième "orientation" : renforcer la "cohérence territoriale des décisions mises en oeuvre". Ce qui impliquera notamment que le préfet donnera un "avis préalable" sur tous les projets d'implantation des services publics. Et cette fois, tout le monde sera bien concerné, y compris l'Education nationale pour la carte scolaire, les finances avec le réseau de la DGFIP et les ARS avec l'offre de soins. "Cet avis préalable permettra d'avoir une vision globale des services publics" afin de mieux répondre à l'ensemble des besoins du territoire, explique-t-on. En précisant que certes, en cas de crise par exemple, "une ARS pourra prendre une mesure d'urgence sans cet avis". Les champs de l'Education nationale et des finances publiques "ont fait l'objet de débats", pour ne pas dire d'inquiétudes, mais la réforme est désormais bien portée de façon interministérielle, assure Matignon. Où l'on souligne que cette disposition répond "à une demande forte des acteurs locaux".
Autre disposition : les appels à projets, qu'ils soient destinés aux collectivités, aux associations ou aux entreprises, seront désormais "territorialisés" et non plus pilotés "depuis les administrations centrales des ministères".
Enfin, les collectivités retiendront la volonté de renforcer "la fongibilité" des crédits et subventions, toujours sous l'autorité des préfets, afin d'offrir plus de souplesse dans le financement des projets locaux.
Décrets et dispositions législatives
Par quelles voies va se mettre en œuvre cette réforme ? Principalement par un décret, actuellement soumis au Conseil d'Etat, qui viendra réviser le décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets. Ce texte sera présenté en Conseil des ministres "lors de la dernière semaine de juillet", a précisé François Bayrou. Le gouvernement entend donc aller vite. D'autres textes réglementaires complémentaires sont également prévus et seront actés durant l'été. Des dispositions législatives sont en outre envisagées pour les points nécessaires - par exemple lorsque les prérogatives actuelles d'un opérateur sont organisées par la loi – et seront soumises au Parlement "à la rentrée". Enfin, une circulaire sera diffusée "lorsque tous les textes auront été publiés" afin de "préciser et compléter certains points par des instructions aux ministres et aux préfets".
A Matignon, on souligne largement le fait que "c'est le préfet qui est en contact direct et permanent avec les élus locaux" et donc que "le renforcement de son autorité" permettra "une meilleure prise en compte" des besoins des collectivités, à l'heure où "l'agencification a été interprétée par ces élus comme une forme de recentralisation" et s'est en tout cas traduite par "une multiplication des guichets". On précise en revanche que cette réforme a évidemment été préparée avant l'achèvement des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur les opérateurs de l'Etat, dont le rapport a été présenté la semaine dernière, lequel propose la suppression pure et simple de certains opérateurs (voir notre article). "Si certains constats sont en partie partagés, la réforme du gouvernement ne préjuge pas de réorganisations complémentaires" mais celles-ci ne sont pas à l'ordre du jour, du moins dans l'immédiat, explique-t-on.
› Des syndicats d'emblée hostilesOn pouvait s'y attendre : tous les agents de l'Etat n'allaient sans doute pas voir cette réforme d'un bon oeil. En tout cas, dès ce 8 juillet, un communiqué intersyndical (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO, FSU, Solidaires, Unsa) est venu regretter que "la nouvelle phase de réforme que le gouvernement entend engager n'[ait] fait l’objet d’aucune concertation avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique". Or, nous apprend ce communiqué, les projets de décrets préparés par le gouvernement ont déjà été inscrits à l'ordre du Conseil supérieur de la Fonction publique de l’État (CSFPE) de ce 10 juillet, soit deux jours tout juste après les annonces de François Bayrou. Au-delà de ce calendrier plus que serré ne permettant pas selon eux de "respecter les personnels dont l’exercice des missions va être impacté", sur le fond, les syndicats, considèrent que "le renforcement du pouvoir des préfets est le signe d’une prise en main de l’encadrement de l’administration territoriale de l’État et de certaines politiques publiques par les autorités préfectorales, ce qui interroge notre démocratie". Et soulignent que "les conséquences des réformes passées pèsent encore lourdement sur les conditions dans lesquelles [ces personnels] ont à assurer leurs missions de service public et la mise en œuvre des politiques publiques". Résultat : ces organisations syndicales de la Fonction publique ont demandé le report de l’examen des projets de textes à une séance ultérieure du CSFPE. Mais cette demande, écrivent-ils, "a été refusée". |