Fractures territoriales, sociales, écologiques : l'intercommunalité panse les plaies

La 35e convention nationale des Intercommunalités de France qui s'est tenue du 8 au 10 octobre au centre des congrès de Toulouse métropole était notamment consacrée aux fractures territoriales. L'occasion pour les présidents d'intercommunalité de critiquer l'idée, ancrée dans le discours politique, qu'il existe un profond clivage entre territoires urbains et ruraux. Il a aussi été notamment question de la poursuite de la transition écologique, à l'heure où celle-ci susciterait un rejet de la part d'une partie des Français. 

Des métropoles tirant bénéfice de la mondialisation, des villes moyennes et des ruralités déclinantes et oubliées… Cette vision de la France contemporaine inspirée des idées du géographe Christophe Guilluy, qui a fait florès ces dernières années, n'est pas celle d'Intercommunalités de France. A moins de six mois d'élections municipales à l'occasion desquelles resurgira sans nul doute cette grille de lecture "réductrice" selon l'association, celle-ci avait choisi de placer les débats de sa 35e convention nationale sous le signe de l'union des territoires. "Des ruralités aux métropoles : faire France ensemble" : tel était le slogan de la rencontre organisée au parc des expositions de l'agglomération de Toulouse.

Des "périphéries heureuses", il en existe, a défendu Anne Lenfant, présidente de la communauté de communes Cœur de Chartreuse, lors de la table ronde d'ouverture, le 9 octobre. Les 17.000 habitants de ce territoire situé entre les agglomérations de Grenoble, Chambéry et Voiron "investissent les avantages de la périphérie", a-t-elle dit, mettant en avant l'idée que les territoires sont "riches" de leurs "différences" et "interconnectés". "On a 56% de notre population qui sort du territoire pour aller travailler, a-t-elle précisé. Mais le week-end, c'est l'inverse. Les Grenoblois, les Chambériens viennent en Chartreuse pour respirer, prendre le frais, marcher, etc." Pour renforcer les synergies avec Grenoble Alpes métropole, la communauté de communes a signé avec celle-ci un contrat de réciprocité. 

"Sentiment de relégation"

"Je ne suis pas très fan des notions de centre et périphérie, qui renvoient souvent à l'opposition un peu stérile entre urbain et rural", a abondé Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque. En soulignant cependant qu'"une partie de nos concitoyens éprouvent un sentiment de relégation ou d'abandon dans des quartiers populaires, ou dans des ruralités". Un phénomène consécutif au "recul des services publics", en lien avec certaines évolutions sociétales et technologiques. Le tout a été facilité par "l'absence" d'une politique d'aménagement du territoire qui permettrait de "corriger les inégalités", a pointé celui qui est aussi président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

Ce sentiment de relégation est clairement perceptible dans les résultats du sondage Ifop dévoilé par Intercommunalités de France à l'occasion de la convention. Parmi les 2.000 personnes interrogées, les habitants des communes rurales estiment à 52% que leur territoire "ne bénéficie pas de l'action et de la présence des pouvoirs publics". Et ceux qui résident dans les communes populaires de banlieue partagent à 43% cette opinion pour leur propre territoire. En comparaison, seulement 30% des habitants des villes-centres optent pour cette réponse.

La cohésion sociale, priorité numéro un

Si, selon Intercommunalités de France, la thèse selon laquelle il y aurait "deux France" ne résiste pas à l'observation de terrain, il existe cependant bien des "fractures" sociales et celles-ci traversent les territoires eux-mêmes. Cette opinion était partagée par les participants de la table ronde. Les groupements de communes à fiscalité propre semblent d'ailleurs vouloir se saisir de la question à bras le corps. Parmi une centaine d'entre eux, qui ont été interrogés au cours de l'été par Intercommunalités de France, quatre-vingt affirment que "les enjeux de cohésion sociale seront les enjeux premiers du prochain mandat". "On voit qu'il y a une évolution dans la nature des projets qui sont portés par nos intercos. Il y a quelques mandats, on parlait de développement économique, d'infrastructures, de grands équipements. Mais désormais la question de la cohésion sociale devient centrale", conclut Sébastien Miossec, président de Quimperlé communauté et président délégué d'Intercommunalités de France.

Et les intercommunalités n'ont pas besoin de détenir une compétence sociale dans son intégralité pour agir dans le domaine, à l'image de la communauté de communes Cœur de Chartreuse. Celle-ci lutte contre la précarité au travers par exemple du "volet inclusion et handicap" de la compétence en matière de petite enfance. Dans ce cadre, la communauté de communes a créé le "bébébus", un fourgon tout équipé qui parcourt le territoire et s'installe devant les salles des fêtes municipales. "70% des enfants" accueillis par les professionnels du service sont "dans la catégorie de la pauvreté définie par la CAF", indique la présidente de la communauté. La politique d'inclusion passe aussi par les "horaires étendus" proposés par les crèches, qui sont ainsi adaptés aux parents ayant un long trajet pour se rendre sur leur lieu de travail.

Politiques climatiques : "rester particulièrement ambitieux"

Les questions d'adaptation au changement climatique seront un autre grand défi au cours des six prochaines années. "Le prochain mandat sera absolument décisif" dans ce domaine, a même estimé Augustin Augier, secrétaire général à la planification écologique, lors d'une table ronde de la convention, consacrée le 10 octobre au sujet. Déclarant être conscient des "difficultés" des collectivités, qu'elles soient financières (le manque d'"autonomie fiscale", les "changements de modalités de financement"), normatives (avec les "changements réglementaires"), ou liées à l'instabilité politique nationale, ce proche de l'ex-Premier ministre François Bayrou a assuré qu'il est "essentiel de rester particulièrement ambitieux dans les années à venir en matière d'adaptation au réchauffement climatique". "Tout euro qui ne sera pas investi dans le mandat qui vient, devra être investi dans l'adaptation plus tard et cela coûtera plus cher", a-t-il justifié.

Dans leur immense tâche, les collectivités pourront s'appuyer sur de nouveaux outils développés par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et auquel les adhérents d'Intercommunalités de France pourront accéder. Une application permet ainsi d'"analyser et croiser les fragilités des territoires et les sensibilités au changement climatique en 2050". A une échelle pouvant descendre jusqu'au quartier, les collectivités pourront par exemple mettre en lien les données sur les îlots de chaleur avec celles qui concernent les populations âgées de 65 ans et plus. Un autre outil du SGPE liste "tous les leviers d'action" et "tous les projets" qu'il est possible de mettre en œuvre.

Transition écologique "avec les habitants"

Mais, surtout, "une autre étape" entre l'État et les collectivités est nécessaire, a estimé Augustin Augier. "On doit arriver à contractualiser (…) pour l'aménagement du territoire et la transition écologique", a-t-il prôné, persuadé qu'il s'agit de "la prochaine marche qui sera clé dans le prochain mandat". Des réflexions qui interrogent quelque peu, puisque l'État a déjà signé avec les intercommunalités des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) couvrant l'ensemble du territoire français.

"Ce dont on a besoin", ce n'est "pas [d']un énième contrat, mais de "visibilité sur nos politiques de transition", afin d'"avoir une vision de long terme pour fixer le cap et s'y tenir", a réagi Emmanuelle Gazel, présidente de la communauté de communes Millau Grands Causses. Une élue qui a aussi insisté sur la nécessité de mener les politiques de transition écologique "avec les habitants". Les élus locaux n'ont pas oublié les frondes populaires contre la hausse organisée des tarifs des carburants ou les zones à faibles émissions et ne veulent pas voir celles-ci resurgir ces prochaines années. 

"Bonheur à changer le monde"

D'où des conseils de prudence de leur part. Emmanuelle Gazel recommande par exemple de promouvoir les politiques axées sur le bien-être et la santé (par exemple "l'urbanisme favorable à la santé") qui sont "très bien perçues" par les habitants, parce que "l'on agit sur leur quotidien de manière positive". De telles politiques "ont un impact positif" sur la santé et aussi l'environnement, a insisté l'élue. "On peut trouver concrètement dans nos intercommunalités les moyens pour que les citoyens trouvent un certain bonheur à changer le monde", a estimé pour sa part Jean Révereault, vice-président du Grand Angoulême. Il a cité les initiatives en matière de covoiturage, qui permettent à la fois de limiter les gaz à effet de serre et la congestion urbaine et de procurer des économies aux ménages.

Pour réussir la transition écologique, les intercommunalités ont besoin d'une loi de finances pluriannuelle et la stabilité des normes pour "cinq ans", a plaidé Virginie Lutrot, présidente de Caux Seine agglo. La première viceprésidente d'Intercommunalités de France a aussi plaidé pour des projets de territoire "sur cinq ans" et comportant "des critères", par exemple en matière d'"inclusion" et de "circularité".

Deux jours après la fin de la convention, Sébastien Martin, président d’Intercommunalités de France, était nommé au gouvernement en tant que ministre délégué à l’Industrie, Sébastien Miossec et Virginie Lutrot assurent l’intérim de cette présidence, a fait savoir ce lundi l'assocation.

 

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