France services : "Consolider avant d'élargir le panier de services"
Face aux fractures numériques et territoriales, le Sénat mise sur le renforcement du réseau France services mais met en garde contre une extension trop rapide. Il confirme "la réelle professionnalisation des conseillers France services" mais estime qu'une clarification avec le rôle des conseillers numériques est nécessaire.

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Dans les territoires où les services publics se raréfient, le réseau France services s'est imposé comme le relais indispensable. Issues de la transformation des anciennes maisons de services au public (MSAP), les maisons France services sont aujourd'hui plus de 2.700 espaces répartis sur le territoire. Après s'être intéressé aux effets de la dématérialisation dans un premier article publié jeudi 18 septembre 2025, Localtis s'est penché sur le le volet consacré au réseau France services, aux conseillers France services et aux conseillers numériques du rapport de la mission sénatoriale, présenté mardi 16 septembre 2025.
Logique d'aller-vers
La création du réseau des maisons France services procède d'une logique d'aller-vers, puisqu'il s'agit de réimplanter les services publics dans des territoires dont ils ont tendance à disparaître. "Cette logique a toutefois été poussée encore plus loin avec les versions itinérantes des France services", rappelle le rapport qui cite Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'Aménagement du territoire et de la Cécentralisation, chargée de la ville : dans les quartiers politique de la ville (QPV), "46 bus France services […] se déplacent quotidiennement à la rencontre des usagers. Ce choix d'aller-vers est également complété par 12 France services se déplaçant de site en site, souvent mis à disposition par les collectivités. Au total, près de 10% (58) des France services en QPV sont itinérantes".
Dans les campagnes, "des maisons France services mobiles sont installées dans des camping-cars et vont dans de nombreux villages au moins une fois par mois", a pour sa part rappelé Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, citée dans le rapport.
Enfin citons le dernier échelon de l'aller-vers : la Banque des Territoires a financé l'AMI "Aller-vers et faire-venir en France services" qui a permis à 22 lauréats d'être accompagnés jusqu'en 2025, parmi lesquels des projets d'itinérance en scooter électrique, stand mobile ou vélo cargo.
Ces guichets de proximité incarnent une réponse à l'éloignement des administrations et à la complexité des démarches en ligne. Mais le réseau reste à consolider.
Consolider avant d'élargir le panier de services
Le rapport met en effet en garde contre une extension trop rapide : "Il faut stabiliser et consolider le réseau avant d'élargir le panier de services." Plusieurs défis persistent. Le rapport cite le financement équilibré entre l'État et les collectivités, alors que certains élus dénoncent un désengagement financier (voir notre article du 13 décembre 2024) .
Il insiste également sur la nécessité de renforcer les liens entre France services et les grands opérateurs nationaux (CAF, CPAM, Cnav, etc.), notamment par des lignes téléphoniques dédiées pour les conseillers. Il encourage aussi à développer des permanences physiques d'opérateurs dans les espaces, afin de répondre aux cas les plus complexes.
Conforter le métier de conseiller France services
"Un nouveau métier s’est créé" : cette réflexion a été entendue par le président et la rapporteure pendant la visite d'un France services à Beaulieu dans le Rhône, le 16 juin 2025. Elle illustre et confirme la réelle professionnalisation des conseillers France services. Leur rôle est jugé déterminant, mais leur statut reste précaire. La mission appelle à "conforter le métier", "en structurant les fiches de poste, la formation et le déroulement de carrière". Le rapport mentionne le fait que certains élus ont exprimé des réserves à propos de la qualité de l'information délivrée dans les France services : les France services ne répondraient qu'à des besoins "basiques" et feraient aux usagers des réponses "trop souvent incomplètes", car "les agents n'ont pas forcément des formations aussi pointues que les services concernés".
Le rapport souligne que la formation continue représente dans les France services un enjeu considérable, "peut-être plus important encore que la formation initiale". D'abord parce que la réglementation évolue constamment ; ensuite parce que cet enjeu a été particulièrement mis en évidence par les agents eux-mêmes. "Les conseillers France services doivent en effet se tenir à jour des dernières évolutions chez les douze partenaires nationaux, ce qui induit un besoin quasi permanent de formation".
Le Sénat propose donc d'assurer une meilleure prise en compte des évolutions du métier de conseiller France services en structurant la formation, les fiches de postes et le parcours professionnel des agents et en leur assurant un déroulement de carrière à hauteur de leurs compétences.
Conseillers numériques : clarifier les missions
En parallèle, l'État a financé depuis 2021 le dispositif de plusieurs milliers de conseillers numériques, piloté par l'ANCT, la Banque des Territoires intervenant plus particulièrement au titre du conventionnement avec les structures d'accueil et de la formation initiale et continue. Ces conseillers numériques ont pour vocation d'accompagner les Français dans l'apprentissage des usages numériques.
Au total, selon la Banque des Territoires, "plus de 3,5 millions de personnes ont pu être accompagnées depuis le lancement du dispositif en 2021".
Si leur action est saluée, leur positionnement reste flou, estiment les sénateurs : comment articuler leur mission avec celle des conseillers France services ? "De même qu'il importe de clarifier l'avenir du financement des conseillers numériques", soulignent le rapport.
Celui-ci appelle aussi à une clarification, en désignant un chef de file national de l'inclusion numérique, chargé de coordonner financements et missions. "Sans cela, le risque est grand de juxtaposer des dispositifs sans cohérence", craignent les sénateurs.
En définitive, ces guichets France services et ces métiers constituent une réponse humaine aux dérives d'une dématérialisation mal vécue. Encore faut-il leur donner des moyens pérennes, une organisation claire et une reconnaissance professionnelle à la hauteur de leur rôle. Or, lors de la présentation du rapport de la mission, mardi 16 septembre, les rapporteurs n'ont pas su répondre à la question de savoir si les financements annoncés pour la politique d'inclusion - 40 millions pour 2025 - étaient bel et bien confirmés pour l'année en cours (voir notre article du 23 mai 2025).