Hydroélectricité : les pistes de députés pour sortir les barrages de l'impasse
La mission d'information de l'Assemblée consacrée aux modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques entend rompre avec la procrastination des gouvernements successifs pour mettre enfin un terme à vingt ans de différends avec l'Union européenne relatifs à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques, qui entravent la maintenance, la modernisation et l'extension d'installations pourtant plus que jamais indispensable à la stabilité du système électrique. Pour "sortir de l'impasse", elle propose deux pistes "à approfondir" et à mener de front – le passage d'un régime concessif à un régime d'autorisation et la révision de la directive Concessions –, en les assortissant de mesures complémentaires pour clore le précontentieux lié à la position d'EDF.

© Adobe stock
"Sortir de l'impasse". Telle est l'ambition des députés Marie-Noëlle Battistel (Soc.,Isère) et Philippe Bolo (Dem, Maine-et-Loire), co-auteurs du rapport sur les modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques présenté ce 13 mai, après sept mois de travaux de la mission d'information créée à cet effet par l'Assemblée. "Cela fait désormais plus de vingt ans que [les concession hydroélectriques françaises] sont dans le viseur de la Commission européenne", déplorent-ils. Si la première procédure initiée en 2003 par Bruxelles est désormais close, la France reste en effet concernée par deux procédures précontentieuses – portant l'une sur la position dominante d'EDF, l'autre sur l'absence de mise en concurrence des concessions hydroélectriques lors de leur renouvellement. En cause, jugent les rapporteurs, la "frilosité" des "gouvernements français successifs", accusés de refuser de "mettre en œuvre cette ouverture à la concurrence, ou [de] lui trouver des alternatives", de manquer "de ténacité et de volonté pour s'impliquer dans le règlement" de la situation.
Préserver le système de la noyade
Il y a pourtant urgence. Faute d'être réattribuées, les concessions échues – 61 au 31 décembre prochain, et la moitié des 340 installations concernées, qui représenteraient 90% de la puissance hydroélectrique installée, entre 2035 et 2039 – sont toutes prolongées sous le régime dit des délais glissants. Or si ce dernier permet la poursuite d'activité du bénéficiaire de la concession, d'une part il interdit les "investissements de développement", d'autre part il soumet les installations concernées à une redevance supplémentaire spécifique (naguère affectée à parité entre l'État et les collectivités traversées par les cours d'eau concernés, mais désormais redistribuée avec des modalités de calcul "très défavorables aux collectivités").
Pis, le flou de la situation dissuade les actuels exploitants de conduire les nécessaires travaux de maintenance, de modernisation et d'extension de ces installations pourtant "essentielles pour répondre aux objectifs climatiques et de souveraineté énergétique de la France". Plus encore, "seule technologie de stockage aujourd'hui viable et disponible à grande échelle", le parc hydroélectrique constitue plus que jamais, compte tenu du développement des énergies renouvelables intermittentes, un "outil crucial" pour assurer la stabilité du système électrique – que l'on songe au black-out ibérique du 28 avril dernier. Dernière goutte d'eau, le seul contentieux relatif à la position dominante d'EDF engendre un risque d'astreinte, en cas de condamnation de la France, d'un montant pouvant atteindre 727.000 euros par jour – aucune provision n'a été faite –, soulignent les rapporteurs, en se référant à la Cour des comptes.
Les options écartées…
Convaincus de la nécessité d'agir, les auteurs entendent en outre tirer parti du consensus politique qui s'est désormais noué "autour de l'impérieuse nécessité de ne pas remettre en concurrence les concessions hydroélectriques", "l’un des rares sujets qui fait l’unanimité au sein des différentes sensibilités politiques représentées au Parlement", est-il relevé.
Pour sortir de la fondrière, les auteurs passent en revue plusieurs options, pour en écarter la plupart. À commencer, logiquement, par le statu quo, "pas tenable" puisqu'il "ne permettra pas de débloquer les investissements". Autres pistes rapidement balayées, la tentative "d'une prolongation contre travaux", qui "s'est déjà heurtée au refus de la Commission", la création d'un établissement public et commercial, "solution menant droit à un nouveau contentieux", ou la qualification de service d'intérêt économique général, "difficile à obtenir". Examinée plus attentivement, la piste de la "quasi-régie, option juridiquement accessible, mais largement rejetée", tant par les exploitants actuels que les organisations syndicales représentatives de leurs personnels, est également abandonnée.
… et deux pistes à approfondir
Restent deux pistes que les rapporteurs proposent "d'approfondir" et de mener de front.
D'une part, le passage d'un régime concessif à un régime d'autorisation, lequel pose toutefois "la question centrale de la cession des ouvrages aux exploitants" – "un changement de paradigme majeur" – et ne permet en outre pas de répondre aux enjeux liés à la position dominante d'EDF.
D'autre part, la révision de la directive Concessions, "option partagée par tous"… en France et "à défendre absolument à Bruxelles", mais qui "prendra du temps – au moins 5 ans", dont l'issue est incertaine" et qui, elle aussi, "ne saurait suffire à faire classer le précontentieux" relatif à EDF. Pour les partisans de la solution, pourrait inviter à l'optimisme le fait que, selon les rapporteurs, "la Commission semble avoir véritablement pris conscience que la France n’ouvrira pas mécaniquement à la concurrence ses concessions hydroélectriques échues ou arrivant à échéance". À l'inverse, le fait que la France soit, en ce domaine, désormais "isolée sur la scène européenne", puisque seul État membre dont le modèle reste mis en cause par la Commission, n'aidera pas.
Pour les rapporteurs, "la mise en place de contreparties pourrait être déterminantes pour la Commission" – elles sont nécessaires pour clore le précontentieux relatif à EDF. Elles pourraient prendre la forme d'une "mise à disposition de volumes d'électricité", en "déplaçant l'objet de la mise en concurrence de l'exploitation vers l'accès à une partie du productible", ce qui permettrait notamment de réduire la position dominante d'EDF, "de nature à faciliter la clôture des précontentieux". Une solution proche d'une "Arenh Hydro", dont les rapporteurs ne veulent pourtant pas entendre parler. Reste que cette solution naguère honnie semble recouvrer chaque jour de nouveaux atours, à condition de corriger ses défauts pas toujours originels (lire notre article du 28 février).