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Environnement - Hydroélectricité : le renouvellement des concessions de barrages pose problème

Le 3 avril, les députés en charge d'une mission d'information sur la mise en concurrence des barrages hydroélectriques ont esquissé les conclusions de leur rapport final attendu d'ici quelques semaines. La pertinence du processus de remise en concurrence est remise en cause. Et des difficultés sont pointées au niveau local.

Leur rapport est attendu dans un bon mois. Et il s'annonce au vitriol ! Après avoir entendu une centaine d'acteurs de la filière, deux députés, Marie-Noëlle Battistel (Isère) et Eric Straumann (Haut-Rhin), semblent parvenir au même constat que leurs collègues sénateurs, à l'initiative le mois dernier d'une proposition de loi visant à donner du lest aux exploitants, en prolongeant de quinze ans la durée des concessions hydrauliques en cours. A savoir que la filière est fragilisée et que la procédure actuelle de renouvellement des concessions s'avère inadaptée. "Or, on l'oublie souvent, mais c'est la première source d'électricité d'origine renouvelable", rappelle Marie-Noëlle Battistel. "Clé de voûte du système électrique actuel, elle a donc vocation à constituer le cœur de la transition énergétique", a ajouté le député François Brottes, à la tête de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. L'hydroélectricité joue un rôle essentiel dans la régulation du réseau national. Prenons l'exemple du barrage Grand'Maison, dans l'Isère. Capable de stocker jusqu'à 140 millions de m³ d'eau, en grande partie issue de la fonte des neiges, "il peut fournir en quelques minutes l'équivalent de deux réacteurs nucléaires", indiquait dans un rapport le groupe de travail sur l'hydroélectricité qui a contribué à élaborer en Rhône-Alpes le Schéma régional climat air énergie (SRCAE). Par ailleurs, historiquement, ces barrages sont liés en zone montagneuse au développement d'industries électro-intensives telles que l'aluminium. "Bref, plus qu'un outil de production d'énergie, c'est aussi un aménagement qui régule les débits des cours d'eau et fait partie intégrante des paysages et des pratiques de montagne", résume Marie-Noëlle Battistel.

Nid à contentieux

Amorcée en 2006, la procédure de remise en concurrence des concessions qui arrivent à échéance vise pour l'heure 20% du parc, soit 49 barrages. Véritable casse-tête, elle a nécessité un toilettage réglementaire qui pousse à l'attentisme. "Les concessionnaires sortants ont rencontré l'an dernier des candidats potentiels à la reprise. Mais le travail qu'il reste à effectuer est considérable. Ce passage de relais s'avère coûteux en temps et en relations humaines. Car contrairement à la filière nucléaire, ici d'un site à l'autre le cadre n'est pas standardisé", explique Eric Straumann. D'où la nécessité d'un travail sur-mesure, au cas par cas, barrage par barrage. "Ce renouvellement au fil de l'eau ne sera pas sans conséquence défavorable sur l'emploi. Des salariés d'EDF seront réaffectés ou contraints à la mobilité. Des sureffectifs pourraient être à gérer", ajoute Marie-Noëlle Battistel. Autre difficulté, les conflits d'intérêt que la procédure risque d'engendrer. Bruxelles l'a d'autant à l'œil que, comme l'ajoute la députée, la France est le seul pays à s'être lancé dans cette voie concurrentielle : "C'est un nid à contentieux. Et un paradoxe de voir que les pays d'où sont issus certains candidats à la reprise des concessions n'ont eux-mêmes pas ouvert la gestion de leurs propres parcs hydrauliques à la concurrence".

Vallées hydrauliquement homogènes

Propriétés de l'Etat, les grands barrages sont concédés pour exploitation à 80% à EDF et pour le reste à la Compagnie Nationale du Rhône. Bien que les concessions soient traitées indépendamment les unes des autres - deux barrages proches peuvent avoir un échéancier de concession distinct – elles étaient jusque-là gérées en respectant une synergie de l'amont vers l'aval et une logique de chaîne hydraulique par vallée. Le risque, régulièrement pointé par des établissements de bassin tels que l'Entente interdépartementale du Lot, étant que "si la concession est accordée à un autre producteur qu'EDF, il peut y avoir rupture de cette chaîne hydraulique, et donc hydroélectrique". Sur le terrain, les choses avancent pour anticiper ce risque et préserver cette continuité. "Le problème se pose dans ma circonscription. Ce risque de segmentation de la chaîne hydraulique structurée par vallée reste bel et bien prégnant", illustre Marie-Noëlle Battistel. Autre difficulté, qui sera détaillée dans le rapport à venir : la remise en concession impose d'établir un cahier des charges, dont la rigueur crispe les tenants d'une gestion plus coopérative des barrages. Vocations diverses (pêche, tourisme), usages de l'eau en jeu : les ambitions locales sont en effet multiples et délicates à concilier. "Des consultations locales sont menées sous la houlette des préfets coordonnateurs de bassin et des Dreal", précise Eric Straumann. Les services de l'Etat planchent par ailleurs, en application du Plan national d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce), sur le classement des cours d'eau. Dans deux bassins à fort enjeu hydroélectrique, Rhône-Méditerranée-Corse et Adour-Garonne, les arrêtés de classement ne sont attendus qu'au second semestre de l'année. Pour rappel, ce travail vise à classer les cours d'eau en deux catégories. "La plus exigeante gèlera l'implantation d'ouvrages hydroélectriques. Sans nuire à la richesse de nos fleuves et cours d'eau, il faut réfléchir et procéder au cas par cas afin de ne pas se priver d'un potentiel de développement", conclut Marie-Noëlle Battistel.