La lutte contre la pollution portuaire à la peine
Une étude souligne la faible électrification des principaux ports européens, alors que l'obligation pour les navires de plus de 5.000 tonnes de jauge brute de se raccorder à l'alimentation électrique à quai approche à grands pas. Motif pris de la protection de la santé des habitants de la métropole niçoise, Christian Estrosi avait, lui, décidé par arrêté d'interdire à certains navires de croisière de faire escale dans les ports de cette dernière. À tort, vient de juger le tribunal administratif de Nice en référé. Prenant acte de la décision, l'élu niçois appelle désormais l'État à prendre ses responsabilités.

© C.M/ Le port du Havre
Une étude réalisée par DNV pour l'association environnementale T&E constate la faible électrification (en avril 2024) de 31 des principaux ports du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) – certains n'ayant pas été intégrés à l'étude faute de réponse de leur part, parmi lesquels ceux de Marseille, de Calais et de Dunkerque. Dans l'ensemble, il est observé que seules 82 des 270 connexions haute tension requises (30,4%) et 7 des 175 connexions basse tension requises (4%) y ont été installées.
Des obligations réglementaires qui approchent à grands pas
Pourtant, le temps presse puisque le règlement européen FuelEU Maritime impose aux ferries, navires de croisière et porte-conteneurs de plus de 5.000 tonnes de jauge brute (ou GT) – lesquels représentent 90% des émissions de CO2du secteur maritime – de se raccorder, à compter de 2030, à l'alimentation électrique à quai dans les ports maritimes des réseaux central et global du RTE-T lorsqu'ils sont amarrés à quai pendant au moins deux heures (une exigence qui s'appliquera à tous les ports développant une capacité de branchement à quai à compter de 2035). Un règlement par ailleurs complété par celui sur le déploiement d'une infrastructures pour carburants alternatifs (dit Afir), lequel exige parallèlement, que les ports maritimes des réseaux central et global du RTE-T soient équipés pour fournir, chaque année, l'alimentation électrique à quai pour au moins 90% des escales portuaires effectués par ces mêmes navires amarrés à leurs quais à partir de 2030.
Le segment des navires de croisière le moins mal loti…
L'étude fait ainsi ressortir que sur les 28 ports concernés par les obligations de raccordement à l'alimentation électrique à quai du règlement Afir (ce qui exclut notamment le port de Rouen), seuls sept, dont celui du Havre, ont "suffisamment de points de connexion installés ou contractés pour au moins l'un des trois principaux segments de navire, mais pas pour tous". Le segment des navires de croisière est celui qui bénéficie de la meilleure couverture, puisque cinq ports – dont ceux du Havre et de Rouen – ont suffisamment de points de connections pour les navires de plus de 5000 GT. Quatre ports sont suffisamment équipés pour accueillir les ferries de plus de 5.000 GT. En revanche, aucun port ne dispose de suffisamment de points de connexions pour les porte-conteneurs de plus de 5.000 GT.
"Les ports ne sont pas à la hauteur des habitants et des passagers en permettant une pollution inutile issue des navires inactifs […]. Pour les navires qui passent beaucoup de temps dans les ports, comme les navires de croisière, le branchement changerait la donne", souligne Inesa Ulichina, chargée du transport maritime chez T&E.
… par ailleurs dans le collimateur à Nice
En la matière, c'est précisément au motif de vouloir "protéger la santé des habitants, répondre à l’urgence environnementale et préserver la qualité de vie locale face à la croissance non maîtrisée des escales de croisière" que le président de la métropole de Nice avait opté pour une autre méthode, plus radicale, qui n'avait pas manqué de susciter d'emblée la polémique (lire notre article du 31 janvier). Par un arrêté du 9 juillet, Christian Estrosi a d'une part interdit "l’amarrage, l’embarquement et le débarquement des passagers des navires de croisière dont la capacité d’accueil excède 450 passagers, via les infrastructures du port et de la gare maritime de Nice" ainsi que "l’embarquement et le débarquement, via les infrastructures de la gare maritime de Villefranche-Santé, des passagers des navires de croisière dont la capacité d’accueil excède 2.500 passagers". Et d'autre part fixé à 65 escales par an, dans la limite d’un seul navire de croisière par jour, l’embarquement et le débarquement des passagers des navires de croisière autorisés via les infrastructures de la gare maritime de Villefranche-Santé.
À contentieux, contentieux et demi
À tort, estime le juge des référés du tribunal de Nice, qui vient de suspendre l'arrêté en jugeant que l'élu avait outrepassé ses compétences, et compromis illégalement la liberté d’aller et venir des passagers des navires de croisière ainsi que l’exercice de la liberté du commerce et d’industrie des opérateurs de ces navires. Sans attendre la décision au fond, Christian Estrosi a pris acte de cette ordonnance — sollicitée par le préfet des Alpes-Maritimes — et "appelle solennellement l'État à prendre ses responsabilités". Et d'avertir d'ores et déjà que, dans une forme de retour à l'envoyeur, "si aucune mesure de police administrative n’était édictée dans des délais raisonnables pour prévenir les effets néfastes – scientifiquement établis – des mégacroisières sur la santé humaine, la préservation de l’environnement et la lutte contre le surtourisme, la métropole engagera la responsabilité de l’État devant le juge administratif pour carence fautive".