La médiatrice de l'Éducation nationale pointe les discontinuités de parcours des élèves les plus fragiles
Dans son rapport annuel, la médiatrice de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur fait état d'une hausse croissante des saisines de ses services, en particulier dans le primaire et dans l'enseignement supérieur privé. Elle révèle aussi les ruptures qui peuvent émailler le parcours scolaire des élèves les plus fragiles, notamment de ceux suivis par l'aide sociale à l'enfance.

© Ministère de l'éducation nationale/ Catherine Becchetti-Bizot et Elisabeth borne
"L'année 2024 n'a pas été facile." Dès les premiers mots de présentation de son dernier rapport annuel, ce mercredi 9 juillet 2025, Catherine Becchetti-Bizot, médiatrice de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, donne le ton. Et pour cause. Les quelque quatre-vingt dix médiateurs académiques présents sur tout le territoire ainsi que les services centraux de la médiation de l'Éducation nationale ont traité l'an passé 23.700 saisines, un nombre en hausse de 16% sur un an et de 50% sur cinq ans.
Si cette augmentation des saisines – qui sont autant de demandes individuelles suite à un désaccord sur une décision ou à un conflit avec un membre de l'administration ou de la communauté éducative – "témoigne d'une meilleure visibilité donnée à la médiation au fil des ans", Catherine Becchetti-Bizot souligne également un besoin de sécurité et d'écoute qui s'accroît avec le temps, tant chez les personnels de l'Éducation nationale que chez les usagers que sont élèves, parents d'élèves et étudiants. Non seulement, pointe la médiatrice, l'institution "manque de moyens", mais elle est avant tout "faite pour une gestion de masse plus que pour un soutien individualisé". Une configuration qui mène parfois à des "situations absurdes".
Les saisines présentées par les usagers sont très largement majoritaires, puisqu'elles représentent 76% du total. Près de la moitié (49%) provient de collégiens ou lycéens, mais avec 24% du total, les saisines des usagers du primaire sont en très forte augmentation : +31% en un an et +105% sur cinq ans. Quant aux saisines d'usagers provenant des étudiants (27% du total), elles sont marquées par une progression des cas touchant à l'enseignement supérieur privé (+236% sur cinq ans).
Réponses inadaptées à la continuité des parcours
Alors que les domaines de réclamations sont "à peu près les mêmes d'année en année" et que les questions de "violence et harcèlement ressortent avec acuité", la médiatrice a choisi, pour son rapport 2024, de mettre en avant le thème des ruptures et des transitions, en particulier lorsqu'elles touchent les élèves les plus fragiles.
D'emblée, le rapport note que "les saisines reçues par les médiateurs montrent que le système scolaire n'est pas toujours en capacité de proposer aux élèves des réponses ou des dispositions adaptées". Ainsi, les requêtes parvenues à la médiation ont témoigné d'obstacles lors de l'inscription ou de l'orientation (4.508 saisines, +25% en un an), dont plus de la moitié (2.558 saisines) ont porté sur l'absence de solution d'affectation dans les établissements scolaires. On relève également des difficultés liées à des absences d'enseignements prolongées ou répétées, un "sujet très sensible" en hausse de 100% depuis 2018. Ou encore des discontinuités dans l'attribution des aides pour des élèves présentant des fragilités – 2% des saisines portant sur le non-respect des notifications d'AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap) – ainsi que des réponses incomplètes ou inadaptées pour garantir la continuité des parcours d'élèves souffrant de problèmes de santé ou ayant subi un harcèlement.
Le cas des enfants de l'ASE
La médiatrice a particulièrement retenu le cas d'élèves relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont les réclamations "mettent en évidence des complexités administratives qui, soit les empêchent d'accéder à la scolarisation espérée, soit interrompent des parcours déjà engagés". Par exemple, celui d'une jeune fille, suivie par l'ASE et scolarisée en seconde, qui, allant devenir majeure et devant quitter sa famille d'accueil, a demandé à revenir dans le département dans lequel elle était scolarisée antérieurement pour y poursuivre sa scolarité mais a vu sa demande rejetée car elle ne disposait pas encore d'une adresse dans ce département. Elle n'a pu réintégrer une classe de première dans sa filière que trois mois après la rentrée scolaire.
À propos des élèves éloignés de l'école pour des raisons de santé, la médiatrice cite la possibilité de bénéficier d'un accompagnement pédagogique à domicile, à l'hôpital ou à l'école (Apadhe), mais constate que "ce dispositif repose sur le volontariat des enseignants" et que les besoins dans les établissements "étant croissants et les professeurs volontaires peu nombreux et très sollicités, les personnels de direction peinent parfois à le mettre en place". Et cela sans compter "un manque de connaissance de l'information, des ressources et des dispositifs existants" de la part des requérants comme des professionnels.
Collaborer avec les élus
Côté recommandations, Catherine Becchetti-Bizot joue sur la corde raide. "Il est facile de voir ce qui ne va pas, mais il est plus difficile de faire des recommandations qui ne mettent pas des bâtons dans les roues de l'administration", fait-elle valoir.
Ce qui ne l'empêche pas de préconiser "une attention particulière" et "un suivi individualisé" en faveur de la continuité du parcours scolaire des jeunes relevant de l'ASE, par exemple en acceptant "toute forme de justification du domicile, y compris une attestation d'hébergement", et en travaillant "en étroite collaboration avec les élus pour s'assurer de l'inscription dans les établissements de tout enfant résidant sur le territoire dont les responsables légaux en font la demande".
Plus largement, la médiatrice de l'Éducation nationale demande que soit assurée "une forme de continuité pédagogique pour tous les élèves en attente d'affectation, en lien avec leur projet d'orientation", en s'appuyant notamment sur les outils et ressources numériques ou sur le Centre national d'enseignement à distance (Cned). Ou que soient développés des partenariats entre les académies et les établissements de soin pour mieux accompagner les jeunes pendant les périodes d'éloignement des établissements et plus encore à leur retour dans le système scolaire. Ce qui nécessite de "renforcer le maillage territorial des personnels de santé, médecins, infirmières et psychologues de l'Éducation nationale". Ce qui revient à poser la question des moyens...