Economie - Le Cese continue de "croire en la France" mais pointe les risques de décrochage
L'économie française donne des signes d'amélioration mais est-ce durable ? C'est la question posée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son rapport sur l'état de la France en 2016, présenté par Pierre-Antoine Gailly et Bénédicte Donnelly au nom de la section de l'économie et des finances et adopté le 14 juin 2016 en assemblée plénière. Prévu par la loi organique qui régit le Cese, ce rapport a été fortement modifié cette année et intègre une dizaine d'indicateurs en plus du PIB, proposés initialement par le Cese et France Stratégie, à l'issue d'une large concertation menée dans le prolongement de l'avis du Cese publié en 2009 sur le développement durable. Ces indicateurs sont organisés en trois axes : cohésion sociale, qualité de vie et préparation de l'avenir.
Globalement, le Cese signale que le PIB de la France a progressé de 1,3% en 2015 en volume (contre +0,7% en 2014) et qu'une bonne partie des indicateurs observés sont en phase de stabilisation ou d'amélioration. Il en est ainsi pour les inégalités de revenus, qui, après une croissance continue de 1996 à 2012, se réduisent depuis 2013. "Dans les comparaisons internationales, la France (indice 4,2) ressort comme un pays ayant une distribution des revenus globalement moins inégalitaire que la moyenne européenne (5,3)", insiste le rapport, précisant que "la France est le pays qui réduit le plus les inégalités de revenu grâce aux politiques fiscales et sociales menées depuis 1945". Autres indicateurs stables : le taux de pauvreté (variant entre 12,2% et 13,3% selon les années depuis 2005) inférieur à la moyenne européenne (19,6%), et le taux d'emploi (64,3% en 2014, stable depuis 2009) qui se situe à la moyenne des pays européens (13e rang sur les 28 pays de l'Union européenne). Mais la récente embellie en matière de chômage "devra se confirmer dans les mois à venir pour que s'inverse durablement la pente de la courbe du chômage, en hausse régulière depuis 2009", précise le document, notant que le taux d'emploi s'accroît pour les 50-64 ans (+6 points depuis 2009), mais que celui des jeunes de 15-24 ans se dégrade légèrement.
Le taux de sortie précoce du système scolaire atteint quant à lui 9,5% en 2013 pour une moyenne européenne de 12%. "Pour autant, nuance le rapport, cela signifie que près d'un Français sur dix de 18 à 24 ans ne poursuit ni études, ni formation." L'empreinte carbone est en stabilisation ou en légère baisse, et l'espérance de vie en bonne santé atteint 62,6 ans pour les hommes et 63,8 ans pour les femmes, en augmentation de deux ans sur les vingt dernières années.
Un sentiment de perte de cohésion
Malgré ces éléments positifs, le "sentiment de perte de cohésion existe dans nos villes et banlieues", signale le rapport. Et d'autres indicateurs analysés restent en berne. L'investissement dans la recherche et développement et dans l'innovation en fait partie. "Avec un taux de 2,26% du PIB en 2014, la France se situe en deçà de l'objectif de 3% de la Stratégie de Lisbonne de 2002, niveau dépassé régulièrement par l'Allemagne, l'Autriche et les pays scandinaves", précise le document, qui estime que la baisse de la part de la France dans les publications scientifiques (- 15,1% entre 1999 et 2013) et la chute dans les demandes de brevets européens (8,3% en 1994 contre 6,4% en 2012) sont les signes d'un "décrochage certain". Autre point négatif : le niveau d'artificialisation des sols plus élevé en France (5,8%) qu'en moyenne en Europe (4,6%). "En France, les sols spécialisés couvrent 5,1 millions d'hectares, soit 9,3% du territoire métropolitain en 2014, en croissance de 490.000 hectares depuis 2006", détaille le rapport, qui martèle que "la France ne prépare pas suffisamment bien son avenir". L'indicateur de satisfaction dans la vie reste aussi en-dessous de la moyenne européenne.
R&D : un effort supplémentaire de 16 milliards d'euros par an
Face à ce constat, le Cese avance plusieurs préconisations avec un objectif majeur : réduire le chômage de masse et ses impacts. Pour ce faire, le Cese estime qu'il faut mieux cibler les politiques publiques aux populations les plus exposées au risque de chômage, à savoir les jeunes de 16 à 25 ans qui ne poursuivent pas d'études au-delà de la scolarité obligatoire et les plus de 50 ans. Il faudrait aussi davantage investir dans la formation des demandeurs d'emploi, avec un suivi personnalisé mobilisant au plus près du terrain l'ensemble des acteurs, et réorienter le dispositif français de formation professionnelle. Autres préconisations : mettre en œuvre un accompagnement adapté et un parcours d'orientation choisi et progressif, notamment lors des césures entre école maternelle et primaire, primaire et collège, collège et lycée et lycée et enseignement supérieur, pour éviter le décrochage scolaire.
Pour lutter contre l'artificialisation des sols, le Cese propose de lutter contre le mitage du territoire par une politique très volontariste en matière d'habitat et d'urbanisme commercial, via la rénovation, la revitalisation et la densification des centres-villes et des centres-bourgs, "qui tendent dans de nombreuses communes rurales à se vider, alors que leur périphérie s'étend sous forme d'habitat diffus", précise le document. Il s'agirait aussi de rééquilibrer l'offre commerciale en encadrant davantage la création des grandes et moyennes surfaces et de privilégier la rénovation de l'habitat ancien et la reconversion des bâtiments industriels et commerciaux existants.
Enfin, pour mieux préparer l'avenir, le Cese estime que l'effort de recherche doit atteindre 3% du PIB, en progressant à la fois dans la recherche publique et privée. "Cela nécessiterait dès à présent un effort supplémentaire de 16 milliards d'euros par an", insiste le rapport.
"Il faut aller vite, concluent les auteurs, et résolument s'engager dans les réformes proposées, au risque, sinon, de décrocher."