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Social/Santé : le cinquième risque officiellement créé, la dette sociale cantonnée

Publiées au Journal officiel du 8 août 2020, la loi organique et la loi ordinaire relatives à la dette sociale et à l'autonomie doivent permettre de mettre en œuvre des mesures importantes liées à la pandémie de Covid-19, notamment le transfert à la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) de 136 milliards d'euros de déficit actuel et à venir de la sécurité sociale et la création d'une cinquième branche dédiée à l'autonomie. Elles ouvrent aussi la voie à de nombreux débats à venir sur la question du financement.

La loi organique et la loi du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l'autonomie mettent en œuvre deux mesures importantes, liées plus ou moins directement à la pandémie de Covid-19. La première – le transfert à la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) de 136 milliards d'euros de déficit actuel et à venir de la sécurité sociale –, doit permettre de faire face aux dépenses imputables à la pandémie (soins, mais aussi coût des mesures du Ségur de la santé) et à la perte de recettes imputable à la crise économique. La seconde – la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l'autonomie – était en germe depuis près de quinze ans, mais elle a été sans conteste accélérée par la pandémie. En ce sens, elle est liée au Covid-19, comme la création de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) est liée aux 15.000 décès de la canicule de 2003.

Quinze ans après...

La création de la cinquième branche – ou cinquième risque – de la sécurité sociale était évoquée depuis près de quinze ans. Elle avait en effet été annoncée par Nicolas Sarkozy dès sa prise de fonction en 2007, puis reprise par François Hollande, sans davantage de concrétisation (voir notre article du 3 août 2020). Le dossier s'est brusquement accéléré avec l'annonce, le 20 mai dernier, de "l'ouverture des travaux de création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale relative à l'autonomie" (voir notre article du même jour). Au final, après plus de quinze ans d'attente, il se sera écoulé moins de trois mois entre la présentation des projets de loi au conseil des ministres (voir notre article du 29 mai 2020) et leur publication au Journal officiel du 8 août.

Cette rapidité s'explique toutefois par l'urgence de la situation pour ce qui concerne la dette sociale et par le fait que les dispositions sur la cinquième branche figurant dans la loi ordinaire et, dans une moindre mesure, dans la loi organique, se limitent à poser le principe de sa création, sans donner de précisions sur les contours, la gouvernance et les prestations de ce nouveau régime. La seule précision – très vague et introduite par amendement dans le texte initial du gouvernement – est que "la Nation affirme son attachement au caractère universel et solidaire de la prise en charge du soutien à l'autonomie, assurée par la sécurité sociale. La prise en charge contre le risque de perte d'autonomie et la nécessité d'un soutien à l'autonomie sont assurées à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé".

La CNSA sera chargée de la cinquième branche, mais sous quelle forme ?

La loi ordinaire du 7 août introduit dans divers articles du code de la sécurité sociale (articles L.111-1, L.200-1, L.200-2) une cinquième branche consacrée à l'autonomie. Celle-ci s'ajoute aux quatre branches instaurées en 1945 : maladie, maternité, invalidité et décès ; accidents du travail et maladies professionnelles ; vieillesse et veuvage ; famille.

La loi ordinaire modifie également l'article L.14-10-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF), qui liste les missions de la CNSA. Là où la rédaction initiale de l'article indiquait "La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a pour missions : [...]", la nouvelle rédaction précise que "La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie gère la branche mentionnée au 5° de l'article L. 200-2 du code de la sécurité sociale et a pour missions : [...]". En revanche, la loi n'apporte aucune modification à la quinzaine de missions listées par l'article L.14-10-1 du CASF. Une solution qui contraindra très vraisemblablement le législateur à revenir sur la liste de ces missions. De même, la loi ne fournit aucune indication sur la gouvernance de la future cinquième branche. Or, dès lors que l'autonomie devient un régime de sécurité sociale, il sera indispensable de modifier fortement la gouvernance actuelle de la CNSA – à commencer par son conseil d'administration – dans la mesure où celui-ci n'assure pas la représentation paritaire des employeurs et des salariés qui vont financer directement le régime (la subvention actuelle de l'assurance maladie à la CNSA n'ayant plus de sens dès lors que l'autonomie devient un régime à part entière).

Le temps presse

Autre point important : le calendrier, même si la mise en place effective de la cinquième branche est prévue pour 2024. Or le temps presse puisque, comme s'y est engagé le gouvernement, la loi prévoit qu'"au plus tard le 15 septembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement, après consultation des différents financeurs, des collectivités territoriales ainsi que des associations de retraités et de personnes en situation de handicap et de représentants d'usagers et d'aidants, un rapport sur les modalités de mise en œuvre d'un nouveau risque et d'une nouvelle branche de la sécurité sociale relatifs au soutien à l'autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Ce rapport présente les conséquences de la création de cette branche en termes d'architecture juridique et financière et en termes de pilotage, gouvernance et gestion de ce nouveau risque".

L'idée est en effet d'introduire éventuellement certaines mesures sur la prise en charge de la dépendance dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, qui doit être déposé avant le 30 septembre. Sur ces points, le Gouvernement et le Parlement ne pourront guère s'appuyer sur le rapport de Dominique Libault, dans la mesure où celui-ci, s'il formule de nombreuses préconisations (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019), reste très discret sur l'éventuelle création d'une cinquième branche, afin de ne pas s'engager dans ce qui semblait alors être une impasse.

En outre, la date du 15 septembre risque d'être difficile à tenir, dans la mesure où Olivier Véran et Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée en charge de l'Autonomie, ont annoncé, le 28 juillet, la tenue d'un "Laroque de l'autonomie" à la rentrée (voir notre article du 30 juillet 2020), en vue d'un dépôt du projet de loi Grand âge et autonomie avant la fin de l'année et une discussion au début de 2021. Or cette nouvelle concertation à la rentrée pourrait rendre difficile, sinon même impossible, l'anticipation de certaines mesures dans le PLFSS 2021, sauf sous forme d'amendements en cours d'examen du texte.

Un financement esquissé, mais encore incertain

La question du financement de la cinquième branche sera cruciale. À ce jour, le budget de la CNSA – financé essentiellement par la contribution de l'assurance maladie, la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) issue de la "Journée de solidarité" et une fraction de la CSG - est de 27,8 milliards d'euros (avant prise en compte de l'impact de la pandémie). Mais le rapport Libault estime à 9,2 milliards d'euros les dépenses supplémentaires annuelles qu'il sera indispensable de financer à l'horizon 2030 pour faire face à la montée du nombre de personnes très âgées, avec notamment la perspective d'un doublement du nombre de personnes dépendantes d'ici à 2050. Pour l'instant, la loi du 7 août se contente de prévoir l'attribution à la CNSA, à compter de 2024, d'une fraction supplémentaire de la CSG à hauteur de 0,15 point, soit environ 2,3 milliards d'euros. En plus de cette recette future, Olivier Véran a toutefois annoncé, à la mi-juin, que le PLFSS 2021 prévoira également "au moins un milliard d'euros" supplémentaire afin de financer la perte d'autonomie des personnes âgées et handicapées.

Enfin, une disposition de la loi organique prévoit que le PLFSS présentera, chaque année, les dépenses et les prévisions de dépenses de sécurité sociale relatives au soutien à l'autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Cette présentation devra comporter une analyse de l'évolution des prestations financées, ainsi que de celles consacrées à la prévention, à l'apprentissage de l'autonomie et à la recherche. De même, cette annexe annuelle au PLFSS devra également indiquer l'évolution de la dépense nationale en faveur du soutien à l'autonomie (donc incluant également les dépenses assurées par l'État et par les départements), ainsi que les modes de prise en charge de cette dépense Cette obligation de présentation des dépenses en annexe du PLFSS porte sur le dernier exercice clos, l'exercice en cours et l'exercice à venir.

Dette sociale : Cades et CDRS prolongées jusqu'en 2033

Le second volet de la loi organique et de la loi ordinaire du 7 août est le cantonnement de la dette sociale. La dette 2020 liée au Covid-19 est estimée à plus de 50 milliards d'euros. Elle résulte de deux causes principales. D'une part, les dépenses afférentes à la pandémie et la perte de cotisations due à ses conséquences économiques. D'autre part, le coût du Ségur de la santé – soit 28 milliards d'euros (voir notre article du 21 juillet 2020) – assumé pour sa quasi-totalité par l'assurance maladie.

Le transfert ne porte pas seulement sur la dette advenue du fait de ces deux éléments, mais aussi sur celle à venir. Il tient compte aussi du fait qu'il restait encore 89 milliards d'euros de dette sociale antérieure à amortir au 31 décembre 2019. Depuis sa création en 1996, la Cades s'est vue en effet transférer 260 milliards d'euros de dette sociale. Au 31 décembre 2019, elle en avait déjà amorti 171 milliards, grâce aux ressources issues d'une fraction de la CSG, de la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale) et aux versement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR).

Au total, ce sont ainsi 136 milliards d'euros de dette sociale advenue et à venir qui sont transférées à la Cades. L'apurement de la dette sociale devait initialement arriver à échéance en 2024, année qui aurait dû voir également la suppression de la Cades. La loi organique du 7 août 2020 prolonge la Cades jusqu'en 2033, ce qui permet de lui transférer les 136 milliards d'euros supplémentaires de dette sociale advenue et à venir. Par la même occasion, la CRDS est donc maintenue jusqu'en 2033. L'intérêt de cette reprise massive – plutôt qu'une reprise étalée dans le temps – est de permettre à la Cades d'émettre dès à présent des titres et de s'endetter sur l'ensemble de sa durée de vie, ce qui lui permettra de bénéficier sur le long terme des conditions favorables actuelles.

Références : loi organique n°2020-991 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie ; loi n°2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie (Journal officiel du 8 août 2020).
 

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