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Ségur de la santé II : le bouquet final d'une démarche à 28 milliards

Après le protocole d'accord du 13 juillet sur les rémunérations, carrières et créations de postes, Olivier Véran a présenté ce 21 juillet le second volet du Ségur de la santé, consacré aux réformes structurelles. À la clef : l'annonce d'une enveloppe de 19 milliards d'euros d'investissements pour le secteur hospitalier et le secteur médicosocial. Les Ehpad en bénéficieront amplement. Également au programme : gestion plus déconcentrée de ces investissements, réduction de la part de la T2A, ouverture de 4.000 lits "à la demande", possible adaptation locale des règles du code de la santé publique, simplification des procédures, développement des délégations départementales des ARS, meilleure association des élus, organisations mixtes ville-hôpital...

Après le protocole d'accord signé le 13 juillet sur les rémunérations et les carrières des personnels médicaux et non médicaux des établissements de soins et des Ehpad, ainsi que sur la création de 15.000 postes (voir notre article du 15 juillet 2020), Olivier Véran et Nicole Notat, chargée d'animer la concertation, ont présenté ce 21 juillet le second volet du Ségur de la santé, consacré aux réformes structurelles. Celui-ci prend la forme de 33 mesures pour "accélérer la transformation du système". S'il répond ainsi pour partie aux critiques formulées sur le premier volet, consacré uniquement aux rémunérations, il ne modifie pas en revanche la perception d'un Ségur de la santé qui aura été essentiellement un Ségur des établissements, pour ne pas dire un Ségur des hôpitaux.

19 milliards d'investissements pour les hôpitaux et le médicosocial

Après, donc, le premier "pilier", concrétisé avec le protocole du 13 juillet sur les rémunérations et repris dans le document final, le second volet du Ségur comporte trois autres piliers intitulés respectivement : "Définir une nouvelle politique d'investissement et de financement au service de la qualité des soins", "Simplifier les organisations et le quotidien des équipes de santé pour qu'ils [elles, ndlr] se consacrent en priorité à leurs patients" et "Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers".

Sur le deuxième pilier, la mesure la plus spectaculaire – mais qui était attendue – réside sans nul doute dans l'annonce d'une enveloppe de 19 milliards d'euros d'investissements pour le secteur hospitalier et le secteur médicosocial. Le montant est impressionnant, mais il faut toutefois distinguer entre la reprise par l'État de 13 milliards d'euros de dette hospitalière (déjà programmée et financée dans le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la dette sociale à l'autonomie, mais qui redonnera néanmoins de la capacité d'autofinancement et d'emprunt aux établissements et allégera leurs frais financiers) et un plan d'investissement proprement dit de 6 milliards d'euros : 2,5 milliards sur cinq ans pour les projets hospitaliers prioritaires et – accessoirement – les investissements ville-hôpital (qui restent assez flous), 2,1 milliards sur cinq ans pour la transformation, la rénovation et l'équipement des établissements médicosociaux (notamment les Ehpad) et 1,3 milliard sur trois ans pour rattraper le retard sur le numérique. Les investissements dans le numérique doivent notamment "préparer au mieux l'arrivée, en janvier 2022, de l'espace numérique de santé (ENS), l'outil phare du citoyen pour être acteur de sa santé".

Un sérieux coup de pouce à l'investissement hospitalier, plus encore pour le médicosocial

Pour mémoire, les investissements hospitaliers tournent actuellement autour de 3 milliards d'euros par an. L'enveloppe de 2,5 milliards sur cinq ans (hors investissements numériques) représenterait donc un coup de pouce de l'ordre de 17% par an sur la période de cinq ans. Pour le secteur médicosocial, Olivier Véran a expliqué qu'"au moins un quart des places en Ehpad pourront être rénovées, accessibles et conformes à la rénovation énergétique".

Pour mémoire également, le plan d'aide à l'investissement (PAI) financé chaque année par la CNSA était de 101 millions d'euros pour les Ehpad en 2019, auxquels se sont ajoutés 32,4 millions apportés par les ARS. Un montant à comparer à l'apport de 420 millions d'euros par an prévu par le Ségur de la santé (pour l'ensemble des structures médicosociales). Il donc est clair que le Ségur apporte un très sérieux coup d'accélérateur aux investissements des établissements médicosociaux, supérieur en intensité à celui, déjà conséquent, dont bénéficient les hôpitaux.

Une déconcentration des décisions d'investissement, mais peu de changements pour la T2A

Il est également prévu une nouvelle gestion de ces investissements. Ainsi le Copermo (comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers), actuellement chargé de la revue des projets d'investissements, sera remplacé par un "conseil national de l'investissement en santé, porteur d'une nouvelle approche fondée sur l'équité territoriale, le conseil et l'association des élus locaux à la prise de décision". Il reste toutefois à connaître la composition, les compétences et le fonctionnement de cette nouvelle instance. En revanche, la décision – si elle est effectivement respectée – de valider au niveau national uniquement les projets aidés à 100% ou dépassant 100 millions d'euros (HT) pourrait davantage changer la donne dans un système de santé aujourd'hui hyper-centralisé.

Sur le financement des hôpitaux, le Ségur se contente d'une demi-mesure. Il n'envisage pas de supprimer la T2A (tarification à l'activité) – pour la remplacer par quoi ? –, mais prévoit plutôt d'accélérer la réduction de la part de la T2A au profit de modes de financement alternatifs, prenant davantage en compte la qualité et la pertinence des soins. Il est également prévu d'expérimenter un modèle mixte de financement des activités hospitalières de médecine, intégrant une approche populationnelle. Tous ces points, encore très vagues, devraient être précisés dans les prochaines semaines, avec une première étape (sur l'expérimentation) dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Création de 4.000 "lits à la demande"

Sur les capacités d'accueil, le Ségur ne propose pas de créations de lits hospitaliers proprement dits, comme le réclament médecins et syndicats (la question ne se pose pas dans le secteur médicosocial où les capacités progressent de façon continue depuis plusieurs décennies). La mesure prévue – tirée directement de l'expérience de la crise sanitaire – consiste en effet à financer l'ouverture ou la réouverture de "4.000 lits à la demande". Il s'agit en l'occurrence de permettre aux établissements de s'adapter à une suractivité saisonnière ou épidémique et, si nécessaire, de fluidifier ainsi l'aval des urgences.

Ce deuxième pilier comprend également plusieurs autres mesures un peu moins stratégiques, comme la rénovation de l'Ondam (objectif national des dépenses d'assurance maladie) pour l'"adapter à une politique de santé de long terme" (ce qui pourrait introduire une programmation pluriannuelle) et pour "créer les conditions d'un débat démocratique". De même, il est prévu d'accélérer la transition écologique à l'hôpital et dans les établissements médicosociaux, de renforcer la qualité et la pertinence des soins (en intégrant cet élément dans la rémunération des médecins et en développant des dispositifs d'intéressement collectif à la qualité des soins), de soutenir et de dynamiser la recherche en santé (avec une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros par an sur la période 2021-2028) et de développer les hôtels hospitaliers (structure intermédiaire entre l'hôpital et le domicile), à partir de l'expérimentation lancée en 2015.

Simplification : sus aux "irritants"… et le retour des services

Le troisième pilier consiste à "simplifier les organisations et le quotidien des équipes de santé pour qu'elles se consacrent en priorité à leurs patients". Il s'agit notamment de répondre à une demande forte des soignants, en luttant contre les "irritants du quotidien", sources de complexités inutiles et de pertes de temps. Marquant un net contre-pied sur l'évolution de ces deux dernières décennies, le Ségur de la santé prévoit ainsi de "réhabiliter le rôle et la place du service au sein de l'hôpital pour mettre fin aux excès de la loi HPST" (loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009, dite loi Bachelot). Les pôles (regroupant plusieurs services) ne seront pas supprimés pour autant, mais les services bénéficieront de davantage de délégation et de marges de manœuvre, tandis que chaque établissement public de santé pourra désormais proposer et adapter son organisation interne au contexte local, en allant même jusqu'à des pôles optionnels.

Il est également prévu de donner aux établissements et aux territoires la capacité "d'adapter les règles du code de la santé publique". Outre les questions juridiques qui ne manqueront pas de se poser, la nature et le périmètre de cette capacité d'adaptation restent pour l'instant très flous. La mesure vise toutefois notamment les groupements hospitaliers de territoire (GHT), jugés trop uniformes et trop rigides.

Simplifier n'est pas simple

Dans le même esprit, Olivier Véran a également annoncé une simplification des procédures, afin de libérer du temps pour les professionnels. Là aussi, les modalités restent à préciser, mais les mesures à ce titre devraient viser le régime des autorisations d'activités de soins, les processus administratifs dans le domaine de la recherche clinique, la simplification des procédures de certification qualité (très demandée notamment dans le secteur médicosocial) ou encore les outils de contractualisation avec les tutelles, comme les Cpom (contrats de performance, d'objectifs et de moyens) dans le champ médicosocial.

Sur la simplification de la commande publique – dont les règles ont pesé sur la réactivité des acteurs publics durant la pandémie –, le Ségur de la santé se contente de prévoir le lancement d'un groupe de travail sur la clarification et la simplification de la commande publique, "pour tenir compte des spécificités de l'activité hospitalière".

Gouvernance des hôpitaux : la réforme à petits pas

Sur la gouvernance des établissements, le Ségur de la santé se montre également très prudent. Il se cale en effet sur les propositions du rapport du professeur Claris, remis très récemment à Olivier Véran (voir notre article du 22 juin 2020) et qui avaient été accueillies très fraîchement par le Collectif inter-hôpitaux. Seul changement de taille : les décisions relevant du domaine médical seront désormais prises conjointement par le directeur de la structure et le président de la commission médicale d'établissement (CME). Pour le reste, les missions de la CME seront redéfinies et renforcées (avec notamment un rôle plus important dans l'élaboration du projet médical) et un représentant des personnels paramédicaux sera désormais appelé à siéger au sein du directoire, instance stratégique et décisionnaire des établissements.

Enfin, le Ségur de la santé entend "mieux prévenir les conflits à l'hôpital", à travers un effort sur la prévention et le règlement des conflits au niveau local, la généralisation des dispositifs de conciliation au sein de chaque établissement, la création d'une médiation régionale, ou encore une meilleure formation des personnels médicaux et paramédicaux.

ARS : pas de "Yalta" en vue avec les départements

Le quatrième pilier est le seul qui voit apparaître – timidement – les acteurs de la santé, hors établissements. Il s'intitule en effet "Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers". Reprenant l'insistance du Premier ministre sur la notion de territoire, Olivier Véran a affirmé que "mettre les territoires aux commandes, ce n'est pas un élément de discours, c'est un vrai changement de paradigme".

Le Ségur de la santé était notamment très attendu sur les agences régionales de santé (ARS), qui ont fait figure de bouc émissaire pendant et après l'état d'urgence sanitaire, notamment de la part des élus. Il est clair désormais qu'il n'y aura pas de bouleversement sur ce sujet, ni de "Yalta" avec les départements sur le médicosocial, comme le suggérait récemment le Sénat. Le gouvernement prévoit en effet simplement de "renforcer le dialogue territorial avec les élus en développant la présence des ARS à l'échelon départemental" (en l'occurrence les délégations départementales) et de donner davantage de place aux élus – dans des proportions qui restent à préciser – au sein des conseils d'administration des ARS. Dans le même temps, il est prévu de "redonner aux ARS les moyens pour exercer leurs missions et de renforcer leur capacité d'accompagnement de projet".

Parmi les autres mesures, on retiendra notamment la poursuite du soutien au développement de la télésanté, avec en particulier la généralisation de la télé-expertise et l'élargissement de la prise en charge conventionnelle des actes de télémédecine aux sages-femmes et aux chirurgiens-dentistes. Le principe de la connaissance préalable du patient avant une téléconsultation sera également assoupli (disposition assez théorique, dans la mesure où cette obligation n'est déjà pas respectée par les sociétés qui proposent des téléconsultations).

Une offre de prise en charge intégrée pour les personnes âgées

Les autres mesures de ce quatrième pilier sont davantage de moyen terme et, pour certaines, fixent des orientations plutôt que des dispositions concrètes. C'est le cas de la volonté affichée d'améliorer l'accès aux soins des personnes handicapées ou de "faire des hôpitaux de proximité des laboratoires en matière de coopération territoriale", avec notamment l'idée d'"intégrer dans l'architecture juridique des hôpitaux de proximité une obligation d'association des élus avec des modalités d'organisation adaptées aux enjeux locaux".

Il est également prévu d'avancer, dans le cadre de la réforme des urgences, sur le service d'accès aux soins (SAS), avec le déploiement d'une plateforme numérique partagée par le Samu et la médecine de ville, afin de faciliter l'accès à l'information en santé et aux soins non programmés, mais aussi de lancer des expérimentations sur des organisations innovantes mixtes ville-hôpital. L'accès aux soins non programmés passera également par le développement de l'exercice coordonné (prévu par la stratégie "Ma santé 2022")

Le Ségur prévoit aussi la mise en place d'une "offre de prise en charge intégrée ville-hôpital-médicosocial pour les personnes âgées". Cet objectif déjà annoncé à de nombreuses reprises depuis plusieurs années doit notamment se traduire par une pérennisation des astreintes sanitaires mises en place durant la pandémie au bénéfice des Ehpad, par un renforcement des équipes mobiles et de l'HAD (hospitalisation à domicile) mais aussi du dispositif de présence infirmière de nuit (astreinte ou garde) dans les Ehpad, ou encore par l'organisation, dans chaque territoire, de parcours d'admissions directes non programmées à l'hôpital pour les personnes âgées, afin d'éviter les passages aux urgences inutiles et déstabilisants.

Lutter contre les inégalités de santé

Sur l'objectif très ambitieux de lutte contre les inégalités de santé, le Ségur prévoit d'instaurer, dans chaque région, une "gouvernance stratégique de réduction des inégalités" associant l'ensemble des acteurs (dont les élus). Il est aussi prévu d'améliorer les moyens disponibles, avec un renforcement des 400 permanences d'accès aux soins de santé (Pass) en moyens médicaux et paramédicaux, la création de 60 centres de santé "participatifs" ou encore celle de 500 nouveaux "lits haltes soin santé" (afin d'atteindre 2.600 places d'ici à 2022).

La présentation du Ségur de la santé comporte également un chiffrage détaillé. Celui-ci débouche sur un montant d'une ampleur encore jamais vue dans ce secteur : 28,1 milliards d'euros, soit 9,1 milliards pour le fonctionnement et 19 milliards pour l'investissement (y compris les 13 milliards de reprise de la dette des hôpitaux). L'essentiel des 9,1 milliards (8,3 milliards) serviront à financer les mesures sur les rémunérations et les carrières. Le reste se répartira en 260 millions pour le pilier 2 et 573 millions pour le pilier 4, le pilier 3 regroupant des mesures d'organisation sans incidence budgétaire directe.

 

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