Les sénateurs alertent sur un possible "crash" de l'industrie automobile française

Face à la concurrence chinoise et avec la décision de la Commission européenne d'interdire d'ici 2035 les véhicules thermiques, l'industrie automobile est au bord du "crash", alerte un rapport sénatorial. Quelque 800.000 emplois, en aval et en amont, sont en danger. Le rapport formule 18 recommandations à court et long terme pour limiter la casse.

"Je suis de ceux qui pensent qu'on va vers un crash de l'industrie automobile aujourd'hui si rien n'est fait." C'est la sérieuse mise en garde d'Alain Cadec, sénateur LR des Côtes-d'Armor, lors de la présentation à la presse, mardi 14 octobre, du rapport de la mission d’information à laquelle il a participé sur l’avenir de l’industrie automobile française, pour la commission des affaires économiques. Le corapporteur va jusqu'à comparer la situation de la filière à celle de la sidérurgie. "On a besoin de temps pour s'adapter sinon notre industrie automobile va tout simplement disparaître comme la sidérurgie a disparu dans notre pays", a-t-il affirmé.

L'industrie automobile représente aujourd'hui 800.000 emplois en France, dont 350.000 chez les constructeurs et 450.000 chez les équipementiers et les sous-traitants. "Une grande partie de ces emplois sont menacés", a-t-il insisté.

La filière est en grande difficulté depuis plusieurs années : la crise sanitaire, la crise des semi-conducteurs puis la crise énergétique ont lourdement affecté les ventes. Celle des véhicules de particuliers a chuté de 20% en France, après la crise sanitaire (moyenne sur les cinq années précédant et suivant la crise). Et entre 2019 et 2024, le marché automobile européen a perdu plus de 2 millions d'unités. Les annonces d'arrêts d'usines, comme celle de Stellantis à Poissy, Sochaux et Mulhouse, se multiplient, après de nombreux sites en Allemagne, Espagne, Pologne et Italie. Et les suppressions d'emplois s'enchaînent. Renault évoque ainsi 3.000 suppressions dans le monde, y compris à son siège à Boulogne-Billancourt. 

La concurrence de la Chine au premier plan

Au cœur des enjeux : la concurrence d'acteurs extra-européens, au premier rang desquels la Chine. Autre rapporteur, Annick Jacquemet, sénatrice Union centriste du Doubs, a mis en avant la percée du pays, premier producteur de véhicules électriques dans le monde, qui assure près des deux tiers de la production mondiale, avec des exportations qui ont été multipliées par quatre en deux ans. Une réussite due, selon elle, à "une politique volontariste et planificatrice, mais surtout à des subventions colossales et des coûts de production ultra-compétitifs". Le prix de vente des véhicules est inférieur d'environ 30% aux véhicules produits en Europe, pour une qualité égale, voire supérieure… Autres risques identifiés : le protectionnisme américain, survalorisé avec le retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, et la décision de l'Europe d'interdire les véhicules thermiques dès 2035.

Face à ce constat catastrophiste, les sénateurs avancent 18 recommandations, à plus ou moins long terme, la première consistant tout simplement à repousser l'interdiction décidée par la Commission européenne, une demande également faite récemment par le chancelier allemand. "L'Europe est le seul espace, avec la Californie, à imposer une mesure de ce type, a souligné Alain Cadec, elle se tire une balle dans le pied, voire dans les deux pieds, ce n'est pas tenable !" Et le plan d'action en faveur de l'industrie automobile lancé par Bruxelles en 2025 ne semble pas suffisant pour éviter la casse (lire notre article du 6 mars).

D'après les sénateurs, il s'agirait de fixer, en accord avec les industriels, une trajectoire dégressive soutenable pour atteindre cet objectif. Autres mesures proposées par les rapporteurs : imposer un contenu local européen pour les véhicules vendus en Europe, de l'ordre de 80% pour les composants hors batteries, et fixer un objectif d'au moins 40% des batteries utilisées dans les véhicules vendus en Europe produites localement à partir de 2035, "pour obliger les constructeurs étrangers qui souhaitent profiter du marché européen à s'implanter en Europe, avec à la clé des transferts de technologie et des créations d'emplois, a précisé Annick Jacquemet, il s'agit d'un levier puissant de relocalisation".

Relever les droits de douane sur les véhicules électriques chinois

Les sénateurs proposent aussi de relever les droits de douane sur les véhicules électriques chinois pour limiter les importations et rétablir une concurrence équitable, le temps que les acteurs européens se mettent à niveau. Ils préconisent la mise en place d'un "écoscore" européen, qui puisse intégrer, outre l'empreinte carbone à l'échappement, celle de l'ensemble de la production du véhicule. "75% des émissions de CO2 découlent de la fabrication, a indiqué Annick Jacquemet, ce mode de calcul est écologiquement plus juste et bénéficierait à la France grâce à son énergie nucléaire décarbonée".

Concernant la demande, il faut augmenter la confiance dans la solution électrique, estiment les sénateurs, en poursuivant le déploiement des infrastructures de recharge, surtout dans les zones rurales et périurbaines, et en soutenant l'installation de bornes de recharge à domicile et en copropriété. "Il faut inciter les grandes entreprises comme Total Energies à faire elles-mêmes des bornes de recharge, car pour l'instant on laisse la charge aux collectivités de les faire alors qu'elles sont déjà tendues", a indiqué Alain Cadec.

Le rapport propose aussi de développer un marché de l'occasion des véhicules électriques à travers un label européen de garantie incluant un diagnostic batterie certifié. Il propose aussi d'encourager la production de petits véhicules électriques accessibles sur le modèle des "kei cars" japonaises.

 

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