L'IGEDD invite les collectivités à s'emparer des obligations réelles environnementales, mécanisme toujours méconnu
Dans un rapport commandé par Agnès Pannier-Runacher sur les dispositifs encadrant la maîtrise de l'usage et de l'occupation du sol en général, et sur le mécanisme des obligations réelles environnementales (ORE) en particulier, l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) recommande singulièrement au ministère de la Transition écologique d'inviter les collectivités à s'emparer de ce dispositif qui reste très largement inconnu ou, au mieux, mal connu. Les auteurs proposent par ailleurs quelques pistes afin d'en faciliter l'expansion, tout en insistant sur le fait que son déploiement "ne pourra augmenter qu’avec une volonté partagée d’une ingénierie territoriale d’accompagnement et de suivi" et que "sa réussite dépendra aussi d'un portage politique national fort".

© RAIMBAULT CC BY-NC-SA 2.0/ Saint-Loup Hors dans le Calvados
"Inviter les collectivités à s'emparer des obligations réelles environnementales (ORE)". Telle est l'une des principales recommandations qu'adresse au ministère de la Transition écologique l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), dans un rapport consacré à "la valorisation et l'optimisation des outils fonciers pour la protection et la restauration de la biodiversité" que lui avait commandé Agnès Pannier-Runacher en novembre dernier – en lui demandant de mettre singulièrement l'accent sur ces ORE –, et qui vient d'être publié.
Un dispositif le plus souvent inconnu, au mieux mal connu
Introduit en 2016, ce dispositif permet au propriétaire d'un bien immobilier de s'imposer volontairement (ainsi qu'aux propriétaires suivants) des obligations environnementales sur ce dernier, via un contrat noué avec un "garant" – un établissement public ou une collectivité publique, ou encore une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Mais près de 10 ans après son instauration, il reste toujours embryonnaire, comme l'avait déjà déploré il y a quatre ans un rapport gouvernemental (lire notre article du 11 mai 2021). "Le développement des ORE a été très lent car insuffisamment connu. Encore aujourd’hui, leur nombre précis est ignoré. Il est estimé au niveau national à environ 300 contrats signés, avec une forte marge d’incertitude sur le nombre exact", observe ainsi l'IGEDD. Cette dernière décèle trois causes principales : d'abord, "l'absence de portage politique" et de "relais administratif" ; ensuite, "une compréhension juridique faible voire erronée par de nombreux acteurs" ; enfin, "une insuffisance de communication, notamment à destination du monde agricole". Bref, quand il n'est pas tout simplement inconnu, ce mécanisme est mal connu.
Un outil victime de sa souplesse ?
Il est vrai que les contours de cet "outil de haute couture foncière" – dixit le rapport – ne sont pas aisés à cerner, notamment en raison de la souplesse offerte par sa nature contractuelle. Pour l'IGEDD, "le temps d’appropriation de l’ORE est souvent long et mobilise un temps d’ingénierie et de discussion, voire de persuasion, trop important". Pis, "cette liberté ne suffit […] pas à rassurer les propriétaires fonciers, signataires potentiels, ou encore le monde agricole", déplorent les rapporteurs. Pas plus que les collectivités, d'ailleurs, classées avec le secteur agricole au rang "des acteurs les plus réticents". Aussi l'IGEDD préconise-t-elle "une part importante de pédagogie et de formations" auprès de ces derniers. Ou encore de "systématiser et standardiser 'autant que possible' les clauses administratives et de faciliter la rédaction des clauses techniques", afin de faciliter la compréhension et la mise en œuvre de ces ORE par les notaires – en partie à l'origine de l'outil – et par les cocontractants.
Des collectivités "frileuses"
Réticentes, les collectivités le sont à plus d'un titre. D'une part en leur qualité de propriétaire foncier, alors que la mission souligne que "rien ne s'oppose à ce qu'elles puissent être signataires d'ORE", au moins pour le foncier relevant de leur domaine privé. D'autre part en leur qualité de cocontractant, "garant de la qualité environnementale de l'ORE" – un rôle que la mission privilégie pour les collectivités, si ces dernières "ont les moyens de proposer des contreparties utiles au propriétaires ou si les effets de l’ORE offrent un gain identifiable pour la collectivité".
Mais la mission observe que les "collectivités sont plutôt frileuses à engager directement des deniers communaux pour une contractualisation d’ORE, sans gains immédiats et visibles par tous" (en prenant le contre-exemple de la commune de Saint-Loup-Hors (Calvados) pour montrer qu'il peut en aller autrement). Elle relève ainsi qu'"un dispositif fiscal incitatif comme l’exonération de taxe foncière de propriétés non bâties (TFPNB) pour les ORE n’a guère été jusqu’à présent exploité par les collectivités" (12 communes seulement ont délibéré en ce sens depuis 2016, soit 0,03%). Si elle concède que ces dernières "y perdent des recettes locales dès lors que l’État n’effectue pas de compensation directe", la mission observe néanmoins qu'elles pourraient y trouver une "compensation indirecte avec la majoration de la dotation pour aménité rurale", les ORE "étant susceptibles de constituer un vivier de zones de protection forte" pour lesquelles est associée une majoration de cette dotation. Un "bénéfice financier susceptible de venir faciliter la participation financière des communes à la démarche des ORE", veut croire la mission.
Nécessité d'un gain pour le propriétaire, pas aisé à trouver
Une piste à exploiter, alors que, soulignent les auteurs du rapport, "le défaut de gain économique direct et de visibilité sur la portée réelle des engagements de l’ORE n’incite [guère] les exploitants agricoles à s’engager dans la démarche, lorsqu’ils sont propriétaires, ou à en accepter le principe, lorsqu’ils sont fermiers". Et ce, d'autant plus que la mission "constate qu’aucun gain économique direct au profit du propriétaire ne peut être aisément systématisé". Elle évoque néanmoins quelques autres pistes, parmi lesquelles "une fiscalité expérimentale à tester", en introduisant dans un premier temps "une compensation par l’État aux collectivités de l’exonération de la TFPNB pour les ORE sur le modèle des zones humides", et dans un second temps via une "approche fiscale globale (TFPNB, exonération de charges, impôt sur la fortune immobilière, droits de succession, etc.), si un rééquilibrage de la fiscalité était enfin arbitré en faveur de la biodiversité".
Conscients d'un "contexte budgétaire très contraint", les auteurs semblent néanmoins davantage miser sur "un accompagnement financier pragmatique pour débloquer les projets d’ORE, notamment sur le paiement des frais de notaire, mais aussi et surtout l’ingénierie d’accompagnement des ORE de la part des cocontractants sur l’ensemble de la longue durée des contrats signés". Elle juge par ailleurs "plus réaliste d’adosser tout avantage à des dispositifs déjà existants, qui peuvent ou non faire appel à d’autres intervenants, tels que les paiements pour services environnementaux (PSE) et les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), etc."
Des ORE dans les PLU(i)
Pour encourager l’intérêt des collectivités à s’intéresser aux ORE sur leur territoire, la mission met également en lumière "le rôle stratégique des services déconcentrés de l’État dans l’animation territoriale". Il semble pour l'heure d'autant plus crucial que la mission observe par ailleurs que "de nombreuses collectivités ignorent l’existence et le contenu des ORE signées par des propriétaires sur leur territoire" (nombre à relativiser vu le peu d'ORE signées). Or cette ignorance ne leur permet pas de prendre en compte les ORE dans leur planification stratégique, déplore l'IGEDD. La mission propose en conséquence de systématiser l'information des collectivités sur les ORE de leurs territoires d'une part, afin de les faire davantage prendre en compte dans les PLU(i) d'autre part. Pour ce faire, la mission propose trois options : via les services de la publicité foncière (DGFiP), en incitant les collectivités à les consulter en tant que de besoin (consultation aujourd'hui payante à l'acte, "ce qui pourrait être revu/renégocié") ; en obligeant les notaires à notifier auprès des collectivités concernées chaque ORE signée ; en prévoyant que les DREAL centralisent les informations pertinentes recueillies auprès des services de publicité foncière. Parions que la deuxième a de fortes chances de l'emporter.
Un maquis d'outils "à stabiliser"
In fine, la mission se veut "optimiste, car cet outil original suscite un frémissement d’intérêt". Elle y voit notamment "un vecteur potentiel d’apaisement et de dialogue entre des acteurs locaux pas toujours enclins à échanger en milieu rural (ONG, SAFER, CEN, CDA, etc.)". Et relève encore que "les collectivités rencontrées, et désormais convaincues, y ont vu, outre l’objectif premier de protéger la nature, un moyen de mobiliser leurs administrés, voire de promouvoir leur action".
Un outil dont elle n'attend pour autant "pas des miracles non plus", la mission semblant se garder par ailleurs de l'illusion de la panacée. Elle estime ainsi que "le panel d’outils de gestion intervenant dans la 'maîtrise du foncier' pour la protection de la biodiversité apparaît désormais très complet, voire pléthorique", fruit "d'un développement 'en silo' des réglementations de protection ou ayant un impact sur la biodiversité" portant, "non sans raison, une image de complexité, de redondance, voire de confusion". Et de prendre l'exemple des "divers outils non articulés [existants] pour la protection dans les PLU(i) : orientation d’aménagement particulier (OAP) ; espaces boisés classés (EBC) ; site naturel de compensation, de restauration et de renaturation (SNCRR) ; zone préférentielle de renaturation (ZPR) ; classements de haies ou de mares ; espaces réservés pour faciliter l’insertion environnementale des aménagements, etc.", les ORE constituant "un outil nouveau dans ce paysage bien encombré". Et de conclure à la nécessité "de stabiliser les outils présents, et d’en assurer une animation nationale et surtout une coordination et une cohérence".