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Les obligations réelles environnementales, un outil encore très virtuel, notamment pour les collectivités

Introduit en 2018, le mécanisme d'obligations réelles environnementales tarde à percer, justifiant pour le gouvernement la remise tardive du rapport qu'il devait au Parlement sur la mise en œuvre de ce dispositif. Ce rapport était également tenu de présenter des moyens pour renforcer l'attractivité, notamment fiscale, de cet outil mais il se révèle in fine peu disert en la matière, en dépit des besoins.

C'est avec près de trois ans de retard que le gouvernement a officiellement remis au Parlement, le 29 mars dernier, le rapport sur la mise en œuvre du mécanisme d'obligations réelles environnementales (ORE) et les moyens d'en renforcer l'attractivité, "notamment au moyen de dispositifs fiscaux incitatifs". Un rapport prévu par l'article 73 de la loi Biodiversité du 8 août 2016 – loi dont le Cese a naguère dénoncé la mise en œuvre "très lacunaire".

Une greffe récente, qui ne prend guère

Un retard que le gouvernement justifie cette fois par "le très faible nombre de contrats d'ORE signés à l'été 2018", date de remise prévue. Un argument repris dans une réponse ministérielle du 4 mai dernier : "Le dispositif des ORE étant récent, il était nécessaire de pouvoir disposer d'un recul satisfaisant sur l'appropriation par les acteurs d'un tel dispositif." Ce nouvel outil foncier – héritier en ligne directe de la "servitude environnementale" anglo-saxonne – n'a été il est vrai introduit que par l'article 72 de cette même loi Biodiversité. Il permet à des propriétaires d'un bien immobilier de conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu'à celle des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors qu'elles ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques.

Les chiffres présentés – même indicatifs, compte tenu de l'absence d'intervention de l'État dans la procédure – corroborent la position : "Au 31 décembre 2019, 12 contrats seulement [à visée patrimoniale, le rapport évoquant également 5 contrats à des fins de compensation] avaient été signés, dont 80% au cours de l'année 2019". Le tout couvrant environ… 150 hectares. Parmi les co-contractants, figurent seulement trois collectivités (deux communes et une communauté de communes), dans les trois cas en tant que propriétaire.

Des avantages fiscaux insuffisamment attractifs

Ces contrats bénéficient pourtant d'avantages fiscaux : établis en la forme authentique, ils ne sont pas passibles de droits d'enregistrement et ne donnent pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière. En outre, depuis 2017, les communes peuvent exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties les propriétaires ayant conclu une ORE. Mais le rapport ne peut que relever que les deux premières mesures ne semblent "pas avoir d'effet significatif sur la promotion de l'outil". Quant à la troisième, "elle n'apparaît quasiment pas utilisée". Le rapport relève qu'au titre "de la taxation 2020, seules deux communes ont pris une telle délibération", et "dans les deux cas […] sans que des propriétaires n'en bénéficient à ce jour".

C'est dire que la partie "Renforcement de l'attractivité" – et singulièrement les incitations fiscales – du rapport était attendue. Las, si ce dernier concède que "l’existence d’avantages fiscaux significatifs apparaît [être] un facteur important du déploiement des servitudes ou dons écologiques dans les exemples étrangers", il se borne à présenter soit les pistes examinées mais non retenues par le gouvernement, soit celles déjà prises dans la loi de finances pour 2021 : d'une part, l'exonération de contribution de sécurité immobilière (prélevée lors de l'enregistrement, égale à 0,1% de la valeur estimée par les requérants), d'autre part l'élargissement aux EPCI de la possibilité d'exonérer pour la part de taxe foncière qui leur revient les propriétaires ayant signé une ORE.

Deux mesures dont on peut douter qu'elles soient de nature à changer la donne. La première – qui n'est en quelque sorte que la suite logique de l'absence de taxe sur la publicité foncière – compte tenu de son impact financier limité. La seconde – qui n'est, ici aussi, qu'un alignement logique sur le régime en vigueur pour les communes – parce que, comme le relève le rapport lui-même, "pour que cette incitation soit significative, elle dépendra de la volonté des communes et EPCI". Or, on l'a vu, cette volonté (s'il s'agit bien de cela, et pas de méconnaissance, par exemple), est plus que limitée pour l'heure. Et ce même si, comme l'expose le rapport, "eu égard au faible nombre de contrats signés à ce stade, les conséquences budgétaires d’une telle exonération pour la commune ou l’EPCI apparaissent limitées et n’appellent pas de mécanisme de compensation par l’État".

In fine, si le rapport souligne que "l’essor limité des ORE à visée patrimoniale semble en partie dû à un temps d’appropriation nécessaire, mais également à des craintes au sujet de la possible perte de valeur du bien immobilier", il ne formule aucune proposition de nature à lever ce frein.

Dans une récente analyse des expériences étrangères, qui "confirment qu’un régime fiscal incitatif est nécessaire si l’on souhaite que les ORE se développent en France", la Fondation pour la recherche sur la biodiversité a souligné que de telles incitations fiscales devaient concerner "aussi bien le revenu imposable et l’impôt sur le revenu que les impôts portant sur la valeur du bien concerné (plus-values, droits de mutation à titre gratuit, etc.)". Faute de tels dispositifs, le succès des ORE reposera donc surtout sur la capacité des différents promoteurs de cet outil – dont les notaires, de concert avec la Caisse des Dépôts, la fédération des conservatoires d'espaces naturels, le Conservatoire du littoral, les agences de l'eau, ou encore des acteurs comme CDC Biodiversité, qui a signé sa première ORE avec la commune de Messimy l'an passé – à sensibiliser les collectivités.