Loi de 2005 sur le handicap : "une promesse non tenue", pour les députés Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie
Accessibilité, éducation, compensation et accès aux droits… malgré "des avancées réelles", le bilan de 20 ans de mise en œuvre de la loi de 2005 sur le handicap n’est pas à la hauteur de l’ambition initiale, pour les deux députés qui viennent de dévoiler les conclusions de leur rapport d’évaluation. A travers 86 recommandations qui concernent tous les domaines, ils appellent à "donner un nouveau souffle aux politiques de handicap", ce qui passe selon eux par des moyens de contrôle renforcés sur la mise en accessibilité, par de la simplification – dont la refonte de la prestation de compensation du handicap - et des droits plus homogènes d’un bout à l’autre du territoire.

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Sébastien Peytavie et Christine Le Nabour
La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale vient d’examiner un rapport d’évaluation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Vingt ans après l’adoption de cette loi qui "portait la promesse d’un changement profond" pour les personnes en situation de handicap, leurs proches et les associations du secteur, le constat des rapporteurs Christine Le Nabour (EPR, Ille-et-Vilaine) et Sébastien Peytavie (Écologiste, Dordogne) est "sans appel" : malgré "des avancées réelles" et une mise à l’agenda durable de la question du handicap, le bilan est "celui d’une promesse non tenue et d’une ambition contrariée".
Outre 75 auditions et deux déplacements en Côte-d’Or – département préfigurateur du pôle d’appui à la scolarité (PAS) – et dans la métropole de Lyon, les deux députés se sont appuyés sur des centaines de témoignages recueillis sur la plateforme de consultation "Rien sans nous" ouverte spécifiquement pour ce travail d’évaluation. Il en ressort 86 recommandations portant sur l’ensemble des domaines couverts par la loi de 2005, destinées à "donner un nouveau souffle aux politiques de handicap".
Accessibilité : "des retards et des reculs inacceptables"
Sans surprise, c’est en matière d’accessibilité que le constat est le plus sévère. Au terme de 20 ans d’efforts, l’accessibilité en serait encore "à ses balbutiements, qu’il s’agisse du cadre bâti, des transports, mais aussi de l’école et du monde du travail". 56% des personnes handicapées – soit deux fois plus que la population générale - font face à des difficultés d’accès au logement et, "a minima, les trois quarts des ERP [établissements recevant du public] demeurent inaccessibles aux personnes handicapées", selon les rapporteurs, qui dénoncent "des retards et des reculs inacceptables".
Pour changer la donne, Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie appellent à "bâtir une politique de contrôle des normes d’accessibilité en y accordant les moyens adéquats" et à limiter "à la stricte impossibilité technique" les dérogations accordées à la mise en accessibilité des ERP. Quant aux outils d’accompagnement, ils sont "à repenser", estiment-ils, soulignant que seulement 1,6 million d’euros du fonds territorial d’accessibilité ont été engagés à ce jour alors que ce dernier est doté de 300 millions d’euros pour la période 2023-2027. Les députés formulent également plusieurs propositions pour faciliter l’accès du plus grand nombre à Ma PrimeAdapt’. Ils jugent par ailleurs nécessaire de "contraindre les communes à élaborer les plans d’accessibilité et de la voirie des espaces publics (Pave)", d’"installer les commissions communales ou intercommunales pour l’accessibilité sur tout le territoire et les associer de manière systématique et précoce à tout projet d’aménagement de la voirie et des espaces publics" mais aussi de former les futurs urbanistes et fonctionnaires territoriaux à l’accessibilité.
Outre le bâti et la chaîne de déplacement, l’accès aux services publics numériques, très en retard (voir notre article), fait l’objet de recommandations spécifiques.
École : un "succès quantitatif" qui masque un "échec qualitatif"
En matière d’éducation, le "succès quantitatif" - un triplement depuis 2006 du nombre d’enfants handicapés scolarisés pour atteindre 468.300 élèves à la rentrée 2023 – masque "un échec qualitatif", pour les deux députés. Déplorant des démarches "longues, opaques et complexes" et l’exclusion d’encore trop d’enfants de la scolarisation ordinaire, ils estiment que les moyens "importants" dédiés à ce sujet (4,6 milliards d’euros pour l’année 2025) sont "mal employés". Et alertent : le manque de formation des enseignants, qui se retrouvent souvent "démunis", "peut nourrir un sentiment de défiance de la communauté éducative à l’égard de l’école inclusive dans son principe même".
Parmi les recommandations formulées : assurer un suivi statistique de la scolarisation des enfants handicapés et "garantir une planification territoriale" pour que chaque élève ait accès à un établissement scolaire adapté "à une distance raisonnable de son domicile", "donner aux accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) le statut de fonctionnaire" et continuer à améliorer leur rémunération et leurs conditions de travail, "resserrer très considérablement les liens entre l’école et le secteur médico-social", consacrer au déploiement des PAS (voir notre article) les moyens nécessaires, "renforcer l’accompagnement à l’orientation des élèves en situation de handicap dès le collège" notamment via des dispositifs de tutorat.
D’autres recommandations portent sur l’enseignement supérieur et l’emploi. "Le taux de chômage des personnes handicapées a diminué mais reste deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population active", mettent en avant les rapporteurs. Ces derniers attirent l’attention sur les difficultés économiques que rencontrent actuellement les Esat (établissement et service d’aide par le travail) et appellent à "aller beaucoup plus loin dans [la] transformation" de ces derniers (revenus des travailleurs, passerelles vers le milieu ordinaire, prévention de la maltraitance).
Créer un "service public de l’évaluation" pour une "application uniforme du droit"
"Avancée majeure de la loi de 2005", la prestation de compensation du handicap (PCH) n’a pas tenu toutes les promesses du droit à compensation, estiment les rapporteurs qui regrettent "le maintien de la barrière d’âge à 60 ans" et l’absence de mise en œuvre d’un reste à charge plafonné à 10% des ressources de la personne. Est préconisée "une refonte totale de la PCH" en une "prestation unique" dont le calcul reposerait "sur une approche globale de la vie quotidienne", des besoins et des aspirations de la personne (plutôt qu’une approche en "silos" - aides humaines, aides techniques, etc. - jugée "trop complexe et déshumanisante").
Des évolutions importantes sont également souhaitées concernant les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), cela afin de "remédier aux disparités territoriales". L’une des pistes identifiées serait de créer un "service public de l’évaluation" au sein de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) "afin de garantir l’application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire" et de recentrer les missions des MDPH sur l’accueil et l’accompagnement des personnes.
En matière de transformation de l’offre médico-sociale, les députés appellent enfin les pouvoirs publics à porter une stratégie assumée de désinstitutionnalisation. "L’ONU considère que l’institutionnalisation des personnes handicapées porte atteinte au droit à l’autodétermination et à l’autonomie de vie", mentionnent-ils, demandant par ailleurs "une mise en conformité des dispositions législatives françaises avec l’esprit et le contenu de la Convention internationale des droits des personnes handicapées".