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Muriel Pénicaud présente son "big-bang" de la formation professionnelle

Le 22 février 2018, les partenaires sociaux signaient un accord sur la réforme de la formation professionnelle. Le soir même, la ministre du Travail annonçait que cet accord n’allait pas assez loin dans la simplification du système. Ce lundi 5 mars elle a mis les points sur les i, quitte à se mettre à dos les partenaires sociaux, en annonçant une réforme qui transforme radicalement le système : davantage de droits pour les salariés, monétisation du compte personnel de formation (CPF), refonte complète de la gouvernance… Pour les régions, une "première étape est franchie", même si elles restent sur leur faim concernant la formation des demandeurs d'emploi.

Muriel Pénicaud avait prévenu qu’elle irait plus loin que l’accord signé par les partenaires sociaux le 22 février 2018. Elle voulait un véritable "big-bang" de la formation professionnelle… Elle l’a présenté avec ferveur lundi 5 mars, assurant que la France avait se doit aujourd’hui "comme tant d’autres pays européens", de faire face aux changements du monde professionnel.
"50% des emplois vont être transformés dans les dix ans qui viennent, 10 à 20% vont être créés et autant vont disparaître. Pour répondre à cette situation il faut changer notre système professionnel et donc la formation et l’apprentissage", a martelé la ministre du Travail lors d’une conférence de presse.

Monétisation du compte personnel de formation

Les partenaires sociaux s’étaient entendus pour faire évoluer le compte personnel de formation (CPF), que tout salarié et demandeur d’emploi peut utiliser dans sa carrière depuis 2015. Mais ils étaient également d’accord sur le fait de rester sur une base horaire. Muriel Pénicaud a décidé de procéder autrement pour “que ce soit plus juste”, et a choisi de se baser désormais sur un crédit en euros. Chaque salarié à temps plein va voir son CPF crédité de 500 euros par an, plafonnés à 5.000 euros. Les personnes sans qualification auront 800 euros, avec un plafonnement à 8.000. Les salariés en CDD auront les mêmes droits que ceux en CDI, pour aider notamment les femmes, a bien insisté la ministre, "puisque 80% des salariés à temps partiel sont des femmes et 30% des femmes sont à temps partiel". Une rampe de lancement pour la réforme sur les inégalités hommes-femmes, qu’elle va mettre en oeuvre d’ici peu en concertation avec le Premier ministre.
A titre d'exemple, 800 euros correspondent à une formation pour le TOEIC, diplôme d’anglais, ou au Caces, certificat à la conduite de chariot. L’idée est d’aider les salariés non qualifiés (sans repartir non plus de zéro), en ajoutant des compétences indispensables aux transformations des professions. Pour les formations longues qui sont souvent plus onéreuses, les entreprises pourront abonder selon certains critères.
Pour Muriel Pénicaud, "il faut vivre avec son temps". Si un soutien financier aux formations est obligatoire selon la ministre, il faut en finir avec une administration trop lourde et trop "dirigeante" et rendre ces formations accessibles à tous. Avec la mise en place en 2019 d’une application mobile CPF, chaque bénéficiaire aura "la liberté de choisir sa vie professionnelle". On pourra s'inscrire et payer directement une formation, sans passer par un intermédiaire ; connaître ses droits acquis ; les formations certifiantes dans son bassin d'emploi ; le taux de satisfaction des stagiaires ou celui d'insertion dans l'emploi.

Demandeurs d’emploi et entreprises : la réforme touche tout le monde

Etre autonome dans son choix de profession, c’est bien. Mais comme l’avaient préconisé les partenaires sociaux, le suivi est également nécessaire. La ministre du Travail veut donc un nouveau conseil en évolution professionnelle (CEP) gratuit, "un outil pour trouver sa voie". Mais elle va plus loin en mettant en place dans chaque région un opérateur de conseil et un financement dédié. Le CEP sera géré par les régions, l'Etat et les partenaires sociaux au lieu des cinq opérateurs actuels dont Pôle emploi.
Les demandeurs d’emploi vont également bénéficier d’un meilleur accès à la formation. Aujourd’hui, un chômeur sur dix a accès à une formation. Face à cette situation, le gouvernement a prévu la formation d’ici cinq ans d’un million de chômeurs peu qualifiés et d’un million de jeunes éloignés de l’emploi supplémentaires, grâce au Plan d’investissement compétences (PIC) de 15 milliards d’euros. Les Régions de France qui demandaient à être le pilote unique de cet aspect de la réforme, ont tout de suite réagi, regrettant dans un communiqué que le gouvernement ne soit pas allé suffisamment loin dans la simplification de la gouvernance de la formation des demandeurs d’emplois, où se superpose une multitude d’acteurs. Elles soulignent cependant qu’"une première étape est franchie" et partagent le diagnostic et les enjeux présentés par la ministre, sur la nécessité de concentrer l’effort de formation vers ceux qui en ont le plus besoin.
Quant aux petites entreprises, elles se voient elles aussi gratifiées d’une "solidarité financière" des grandes entreprises. "Les grandes entreprises ont besoin que leurs fournisseurs, les TPE et PME, évoluent. C’est normal qu’elles les aident à la formation de leurs salariés", a souligné Muriel Pénicaud. Les entreprises s'acquitteront désormais d'une seule cotisation, au lieu de deux actuellement (1% formation et taxe d'apprentissage). Mais la contribution totale restera à 1,68% pour les entreprises de plus de 11 salariés et 1,23% pour celles de moins de 10 salariés.

La révolution dans la gouvernance et le financement

Mais le véritable "big-bang" de la formation professionnelle, c’est bien au niveau de la gouvernance qu’on le retrouve dans la réforme du gouvernement. Les sommes destinées à la formation, dont la cotisation unique des entreprises, seront désormais collectées par les Urssaf - organismes collecteurs des cotisations sociales -, qui les transféreront à la Caisse des Dépôts. Une nouvelle disposition qui annonce la mise à l'écart des 18 Opca, ce qui va à l’encontre de l’accord signé par les partenaires sociaux qui souhaitaient que les organismes paritaires collecteurs agréés continuent la collecte dans un souci "d'efficacité et de visibilité".
Les entreprises et les branches professionnelles pourront alors s’appuyer sur des opérateurs de compétences, qui remplaceront les Opca, pour anticiper la transformation des métiers, bâtir une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et construire leur plan de formation. Ces structures seront construites sur des logiques cohérentes de filières économiques et non par métier et financeront notamment les centres de formation d'apprentis (CFA), le plan formation des TPE-PME et pourront "co-construire" les diplômes avec les branches "qui le souhaitent".
Enfin pour boucler la boucle de la réelle ”simplification” du système, Muriel Pénicaud annonce la mise en place d’une agence nationale, France Compétence, qui remplacera les trois instances de gouvernance actuelles : Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), Cnefop et Copanef. France compétence sera gérée par l’Etat, les régions et les partenaires sociaux. Parmi les missions de l'agence : la régulation des prix des formations qui peuvent varier de 1 à 6 suivant les régions et la qualité des formations avec une certification obligatoire des organismes de formation pour pouvoir être éligibles aux financements liés au CPF.
Un chamboulement assumé par la ministre du Travail malgré les critiques des partenaires sociaux. "Faites le big, pas le bang", a ainsi demandé dès dimanche 4 mars le président du Medef dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche. Du coté des syndicats, on s’indigne "de la politique destructrice du droit du travail, qui est de nouveau un tournant libéral indéniable. Et le big bang risque bien de produire le néant !", a ainsi lancé la CGT.
Muriel Pénicaud le sait, il y a encore beaucoup de travail et de discussions à l’horizon mais “on est dans l’urgence”, a-t-elle martelé tout en donnant son agenda : cette réforme sera inscrite dans le projet de loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" qui sera présenté en conseil des ministres lors de la "deuxième quinzaine d'avril".

 

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