Numérique en commun[s] : Anne Le Hénanff réaffirme l'importance du lien territorial face aux incertitudes budgétaires
Pour sa première intervention publique depuis sa nomination, la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, Anne Le Hénanff, a choisi l'ouverture de Numérique en commun[s], à Strasbourg, les 29 et 30 octobre 2025. Devant 1.800 acteurs de l'écosystème, elle a réaffirmé son attachement à la politique d'inclusion numérique et au réseau des conseillers numériques France services, tout en appelant à une gouvernance "partenariale et territoriale". Une déclaration qui intervient alors que le projet de loi de finances 2026 annonce une forte contraction des crédits dédiés à l'inclusion qui soulevé une levée de bouclier et a été retoquée en commission à l'Assemblée.
© V. Fauvel/ Anne Le Hénanff
Trois semaines après sa prise de fonctions, Anne Le Hénanff a tenu à placer son premier discours sous le signe de l'émancipation numérique. "Je suis avant tout une élue de territoire", a-t-elle rappelé d'entrée, revendiquant une approche ancrée dans le terrain : "Ce sont des territoires que naissent les initiatives, les énergies et les bonnes idées." Pour preuve, le projet Lapin - qui vise à améliorer le taux de rendez-vous honorés - et qu'elle cite, lancé par du conseil départemental du Pas-de-Calais comme exemple de "coconstruction réussie entre État et collectivités". "Il est devenu l'outil de prise de rendez-vous de l'Etat disponible dans la Suite numérique et la Suite territoriale", a t-elle précisé.
La ministre a ensuite repris les grands axes du nouveau débat voulu par le président de la République sur la démocratie à l'heure des réseaux sociaux et les menaces que représente internet : "résister, prendre soin et émanciper". Pour la ministre, ces principes ne peuvent se traduire qu'à travers un maillage territorial : "L'État ne peut et ne doit pas intervenir seul ; il doit s'inscrire dans un jeu d'alliances avec les collectivités, les associations et le monde de la recherche."
Les CNFS au cœur de la politique d'émancipation
Au cœur de ce dispositif, le programme Conseillers numériques France services (CNFS), lancé en 2021, constitue aujourd'hui le socle de la médiation numérique dans les territoires. Avec plus de 6 millions d'accompagnements réalisés, ces médiateurs sont, selon la ministre, "les garants d'un numérique qui ne creuse pas les inégalités sociales".
L'ancienne élue du Morbihan s'est dite "profondément attachée" à leur mission. "Je défendrai cette politique à vos côtés", a-t-elle assuré, tout en reconnaissant que "les missions des conseillers numériques doivent évoluer pour répondre aux nouveaux risques et aux nouvelles attentes".
La ministre a également réaffirmé vouloir travailler avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) à une redéfinition de la gouvernance du dispositif, "autour de missions stratégiques et d'une structuration adaptée".
Les crédits de l'inclusion numérique réduits de 49 à 14 millions d'euros dans le PLF 2026
Si la ministre a salué "la qualité du travail des médiateurs", son discours n'a pas dissipé les inquiétudes. Deux jours plus tôt, lors de l'audition budgétaire du 27 octobre 2025 devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, plusieurs députés ont alerté sur une baisse drastique des crédits dédiés à l'inclusion numérique dans le PLF 2026, de 49 à 14 millions d'euros soit -66% ce qui revient à transférer la charge sur les collectivités. Un amendement (LFI) visant à rétablir le montant affecté en 2025 a reçu un avis favorable du rapporteur et a été adopté.
En tout état de cause, les montants actuels alloués à la mission "Cohésion des territoires" et au programme "Société numérique" risqueraient de fragiliser le dispositif portés par l'ANCT et la pérennisation du réseau CNFS. Dans ce contexte, les propos de la ministre - "Je n'élude pas la question des moyens et des financements des conseillers numériques. Vous connaissez le contexte budgétaire actuel et la position du gouvernement, c'est le Parlement qui mettra le point final à la copie budgétaire. Je serai pleinement mobilisée dans les discussions parlementaires pour défendre cette politique" - on le comprend, vont sans doute être accueillis avec prudence par les collectivités, soucieuses de voir confirmer la participation de l'État au financement de la médiation numérique au-delà de 2026.
Appel à une gouvernance partagée
La ministre a donc souligné la nécessité d'une gouvernance partagée, intégrant les ministères, les opérateurs nationaux, les associations et les collectivités : "Face aux transformations rapides, nous devons structurer une gouvernance partenariale qui garantisse la cohérence des missions et l'efficacité des financements."
Les acteurs territoriaux présents à Strasbourg - régions, intercommunalités, structures France Services, tiers-lieux - ont rappelé quant à eux l'importance d'une approche différenciée selon les besoins locaux : maintien de médiateurs dans les zones rurales, accompagnement renforcé dans les quartiers prioritaires, articulation avec les politiques d'emploi et d'éducation.
Cette orientation rejoint les priorités de l'ANCT, qui plaide pour une décentralisation maîtrisée de la stratégie d'inclusion, permettant aux collectivités de piloter localement les moyens humains et financiers.
Strasbourg, vitrine d'un numérique citoyen
À travers les interventions successives de la ville et de l'eurométropole de Strasbourg, la dimension territoriale de Numérique en commun[s] a trouvé une résonance particulière.
Caroline Zorn, vice-présidente de l'eurométropole, a rappelé que Strasbourg a inscrit son action numérique dans une démarche "SSL : sobriété, solidarité et liberté". "Le numérique d'intérêt général n'est pas qu'une affaire de technique, c'est une affaire de liberté et de résistance à l'oppression", a-t-elle souligné.
La région Grand Est, pour sa part, revendique un rôle pionnier, avec 99,6% du territoire désormais éligible à la fibre, et une stratégie tournée vers les usages et les compétences numériques locales.
1.800 participants mobilisés pour Numérique en commun[s]
Pour conclure, la ministre a salué la mobilisation de 1.800 participants. "Le fait que vous soyez tous réunis ici illustre le décloisonnement et l'attention portée aux besoins de nos concitoyens." Pour Anne Le Hénanff, la réussite de la transformation numérique passe par le dialogue entre l'État et les territoires, dans un équilibre à reconstruire entre impératifs de souveraineté et besoins d'émancipation citoyenne.
Reste à savoir si cette méthode trouvera sa traduction budgétaire dans les semaines à venir. Car au-delà des discours, le maintien du réseau CNFS et la stabilité des crédits de l'inclusion numérique conditionnent la capacité des collectivités à garantir un numérique réellement "en commun".