"La ruralité pourrait se voir confier un rôle central dans la résilience du pays", estiment deux chercheurs
La ruralité comme terrain d'expérimentation des transformations à venir. Olivier Bouba-Olga, économiste et professeur des universités en aménagement de l'espace et urbanisme de l'université de Poitiers et Dylan Buffinton, expert associé en prospective à la Fondation Jean Jaurès, analysent dans une note les différences entre rural et urbain et identifient les atouts du rural face aux enjeux majeurs auxquels le pays est confronté, du changement climatique à la pénurie de foncier, en passant par la dynamique démographique et l'accessibilité des services aux populations.

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"La ruralité pourrait bien incarner une avant-garde silencieuse des transformations à venir." Dans une note publiée début juillet, Olivier Bouba-Olga, économiste et professeur des universités en aménagement de l'espace et urbanisme de l'université de Poitiers, en détachement à la région Nouvelle-Aquitaine depuis octobre 2020 où il dirige le service études prospectives et évaluations du pôle Datar, et Dylan Buffinton, expert associé en prospective à la Fondation Jean Jaurès, explorent les potentiels des ruralités d'aujourd'hui et de demain, avec un premier constat : représentant 20% des habitants pour le rural périurbain et 14% pour le rural "autonome" (qui désigne les communes les plus isolées), et jusqu'à 23% en Nouvelle-Aquitaine, la population rurale périurbaine a diminué jusqu'aux années 1970 pour remonter depuis, avec le début du "renouveau rural". La population rurale autonome baisse quant à elle jusqu'à la fin des années 1990 et est globalement stable depuis.
Les deux auteurs s'interrogent sur les différences qu'il peut y avoir entre ces types de territoires, urbain, périurbain et rural, en remettant en question l'idée que cette distinction soit valable pour tous les sujets.
Sur certains d'entre eux, comme l'accessibilité aux services à la population (santé, urgence, emploi), les différences sont bien marquées, mais sur d'autres, comme les dynamiques démographiques, "la catégorisation urbain-rural n'est pas la plus éclairante, estiment-ils, certains territoires urbains sont dynamiques, d'autres non, idem pour les territoires ruraux ; les différences macro-territoriales sont en revanche plus décisives, l'ouest et le sud du pays sont plus dynamiques, à l'inverse d'un grand quart Nord-Est".
La ruralité, un territoire-refuge ou laboratoire de nouveaux modes de vie
Concernant la démographie, les auteurs pensent que "la ruralité pourrait devenir un territoire-refuge ou un laboratoire de nouveaux modes de vie". Ils constatent le vieillissement de la population avec une personne sur quatre qui aura plus de 65 ans d'ici 2040 et une sur sept plus de 75 ans, avec une dynamique plutôt en faveur des villes. Mais dans le même temps, les tensions climatiques et la densité urbaine pourraient peser sur ces dernières. "Si les villes n'évoluent pas, des dynamiques de décentralisation résidentielle et économique pourraient s'accélérer, portées par le télétravail et les relocalisations", indique la note. Dynamiques qui seraient, là, plutôt en faveur du rural.
Autre atout de la ruralité vis-à-vis de la question des ressources, dans un contexte de dérèglement climatique et de perturbations économiques ou géopolitiques : "en tant que réservoir potentiel de souveraineté alimentaire, énergétique ou foncière, la ruralité pourrait se voir confier un rôle central dans la résilience du pays". Mais cela nécessite une condition pour assurer le vivre-ensemble : l'intégration par la ruralité d'une population plus mobile, plus diverse, parfois en va-et-vient constant entre ville et campagne.
Une ruralité connectée mais autonome
En matière d'accessibilité aux services à la population, constatant de véritables handicaps pour le rural (20 minutes de temps d'accès aux communes-centres dites structurantes pour les habitants du rural autonome contre 4 minutes pour les habitants des communes urbaines), les auteurs estiment qu'il faut repenser les zones rurales. "Il ne s'agit plus seulement de desservir les métropoles, mais de structurer des bassins de vie plus équilibrés", soutiennent-ils, citant notamment le soutien aux services de proximité et l'amélioration de l'infrastructure numérique, une "ruralité connectée mais autonome, capable de s'inscrire dans un nouvel équilibre entre emploi, bien-être et transitions".
Enfin, les auteurs s'interrogent sur les différences rural/urbain concernant les transitions environnementales, et particulièrement l'enjeu du foncier et du bâti. "Le bâti existant représente un point de vulnérabilité croissant : plus de 50% des maisons françaises, dont une grande part située en zones rurales, pourraient être touchées par des phénomènes de retrait-gonflement des argiles liés au dérèglement climatique", indique la note, avec deux réponses principales : l'extension vers de nouvelles terres, qui participe à l'artificialisation des sols ou la destruction/reconstruction, considérée comme plus simple et plus rentable.
Considérer la ruralité comme un levier stratégique d'expérimentation et de transformation
"Ces approches sont aujourd'hui remises en cause tant pour des raisons écologiques que foncières, précisent les auteurs, rénover, réhabiliter, transformer les usages devient la priorité". Des arbitrages sur l'usage du sol devront aussi être réalisés au sein des espaces ruraux : faut-il privilégier le logement, la production d'énergie, l'agriculture, la préservation de la biodiversité, l'installation d'activités industrielles ? "Ces tensions pourraient faire émerger de nouvelles formes de gouvernance, plus locales, plus collectives, inspirées des logiques de biens communs, en rupture avec l'opposition traditionnelle entre propriété privée et domaine public", assure la note.
Pour les auteurs, la ruralité vit déjà et de manière pionnière plusieurs défis majeurs "qui façonnent la France de demain", comme la résilience face au changement climatique, la gestion de la rareté des ressources ou encore les tensions autour de l'accès aux services publics. En réaction, une multitude d'initiatives innovantes sont prises : circuits courts, mutualisation des ressources, entraide horizontale… "Ces expérimentations dessinent, en creux, une autre manière d'habiter le territoire, plus sobre, plus collective, plus enracinée, concluent les deux auteurs, il ne s'agit pas de faire de la ruralité un refuge du passé, ni un angle mort des politiques publiques, mais de la considérer comme un levier stratégique d'expérimentation et de transformation".