Face à des ruralités "devenues très plurielles", on ne peut avoir "une politique unique"

Remis au gouvernement fin avril, le rapport "Des campagnes aux ruralités" du conseil scientifique de France Ruralités installé en août 2023 par Dominique Faure, alors ministre, fait le point sur les ruralités, le regard qu'on leur porte et la nécessaire adaptation des politiques publiques à leurs réalités et diversités. Entre misérabilisme et romantisme, bouillonnement d'initiatives et pluralités des profils, les 19 chercheurs ont travaillé sur tous les aspects du monde rural. La présidente de ce conseil scientifique, Monique Poulot, professeure de géographie émérite à l'université Paris-Nanterre, commente les principales conclusions du rapport.

Localtis - Quel est l'enjeu de ce rapport ?

Monique Poulot - L'idée au départ était d'avoir un comité d'expertise, de réfléchir ensemble aux ruralités et de se forger une culture commune. Nous sommes 19 chercheurs aux profils très différents, des ruralistes, des urbanistes, des juristes, des économistes, des politistes, des agronomes… Et nous avons décidé de traiter trois thèmes en trois ans : le rapport actuel, un deuxième rapport qui devrait arriver à la fin de l'année sur les aspects socio-économiques, rédigé notamment à partir de la matière issue de la caravane des ruralités et d'auditions, et un troisième qui abordera le rapport compliqué de l'agriculture avec la ruralité. Il nous semble que ces trois aspects permettent d'être exhaustifs. Le premier rapport a été présenté à la ministre actuelle, Françoise Gatel. Il est en discussion. Nous avons des réunions avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Mais il est encore compliqué de dire comment il sera utilisé car pour le moment, les approches en silo continuent de dominer, avec l’accent mis sur le logement, les jeunes et les femmes. On a encore du mal à faire valoir une vision globale même si celle-ci n'est pas contestée en tant que telle. On reste sur des actions ponctuelles, de rattrapage et de compensation qui doivent certes être réalisées mais qui ne peuvent constituer une politique globale. On ne parle plus d'aménagement du territoire ou d'aménagement des territoires depuis trop longtemps !

Quels sont vos principaux constats ?

Le premier constat c'est que les ruralités sont devenues très plurielles et cela depuis déjà un certain temps. Il n'y a pas grand chose en commun entre les ruralités qui perdent des habitants et celles qui en gagnent, entre celles qui ont une attractivité industrielle ou d’activités de pointe et celles qui n'en ont pas... Mais on a beau le dire, on continue d'avoir une politique unique ! Le second constat, c’est celui de la prégnance de certaines idées reçues sur le rural avec toujours en toile de fond la comparaison avec la ville : entre misérabilisme, quand on pense aux déserts médicaux par exemple ou aux déserts dits culturels, et romantisme, avec le concept de l'exode urbain post-Covid. Ces deux idées restent fortes et on peine à s'en départir. Elles sont vraies en soi mais tout dépend de quel rural on parle. Le rapport aborde aussi l'agriculture, car si elle ne fait plus le rural, on ne résoudra pas le problème du rural sans en parler.

Vous parlez aussi des initiatives en matière d'aménagement rural ?

La dernière partie aborde en effet ce qui peut être neuf comme approche en matière d'aménagement rural. On a eu une grande décennie dans ce domaine dans les années 1970-1980, durant laquelle il y avait des idées fortes. Il s'agit de voir ce qu'on peut en faire aujourd'hui. Une des idées fortes est par exemple celle du développement local, une notion née dans les campagnes, et qui permet précisément de prendre en compte des situations plurielles. Or, le développement local est aujourd'hui percuté par la définition des grands territoires institutionnels comme les intercommunalités et communautés de communes : la question de l’articulation entre ces différentes logiques territoriales est centrale pour l’avenir des territoires, entre territoires de projet et territoires de gestion. Nous avons beaucoup insisté sur les aspects novateurs de certaines politiques qui se sont inventées dans le rural, comme la politique des parcs naturels régionaux. Ces politiques ont pu émerger car des territoires se sont trouvés des points communs, des ressemblances et un désir de créer quelque chose en commun.

Vous préparez donc deux autres rapports ?

Dans notre deuxième rapport, nous souhaitons montrer le bouillonnement d'initiatives qui caractérise aujourd’hui le rural dans différents domaines (énergie, logement, culture….) et comment cela peut créer des modèles. Nous souhaitons aller à contre-courant de l'idée que le rural est passéiste. Le troisième rapport abordera, donc, la question de l'agriculture.

Les travaux se poursuivent. L'équipe ministérielle est très intéressée. On sent qu'il y a une très forte demande aussi des partis politiques. Mais c’est difficile de dire si les travaux du comité scientifique vont faire évoluer les choses de manière plus globale ou si c'est juste un "sparadrap". Souvent après une crise, on passe à autre chose alors qu'il y a une vraie réflexion à avoir sur le rôle de la ville et des territoires ruraux à l'heure de la transition écologique. Il y a de vraies questions à se poser ! Il serait aussi nécessaire de réaliser des évaluations qualitatives des politiques à l'œuvre, comme France Ruralités.

Que pensez-vous des programmes actuels ciblés sur le rural, tels que Petites Villes de demain et Villages d'avenir ?

La maille du programme Petites Villes de demain est très importante. On a besoin de ces villes qui sont des centralités de services. Le seul bémol selon moi c'est que le dispositif est centré sur la petite ville et peu sur le territoire environnant. On travaille sur le commercial, les infrastructures publiques mais il ne faut jamais oublier que la ville vit en symbiose avec l'espace environnant et vice-versa. Il faut réfléchir sur cette maille, celle du bassin de vie. L’exemple des mobilités est significatif : qui vient dans cette petite ville, comment ils viennent, comment organiser du transport à la demande ? Il y a des dispositifs sur la mobilité dans le programme mais pas toujours pour penser la manière dont ces petites villes structurent un "local". Concernant Villages d'avenir, c'est plus compliqué. Autant le constat qu'il n'y a pas d'ingénierie dans le rural est vrai, autant on semble oublier qu'il y a plein d'initiatives dans les territoires ruraux ! Notre objectif est de montrer comment elles naissent et d'appeler à un travail plus important avec les associations. Il faut aussi trouver la bonne maille, réfléchir à ce qui fait centralité. On ne pourra pas avoir des commerces partout !

 

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