Le système D érigé en politique de la ruralité
Quatre jours après le comité interministériel aux ruralités, la ministre Françoise Gatel a fait l'éloge, devant les sénateurs, des solutions innovantes qu'elle a pu constater au cours de son tour de France de quarante départements. L'"itinérance" tient une large place dans ces solutions financées avec le plan France ruralités.

© Capture vidéo Sénat/ Françoise Gatel
Quatre jours après le comité interministériel aux ruralités qui s’est tenu à Mirecourt, dans les Vosges, au cours duquel le gouvernement a annoncé la poursuite du plan France ruralités à "moyens constants", la ministre déléguée chargé de la ruralité était auditionnée par le Sénat, ce mardi 24 juin, dans le cadre de la mission d’information sur les services publics. L’occasion pour Françoise Gatel de revenir sur les grands axes de cette politique qui consiste surtout à soutenir des innovations locales, à défaut, pour l'heure, d’une vraie vision d’aménagement du territoire (une mission a été confiée à l’ancienne ministre Dominique Faure sur ce sujet). Et qu’il s’agisse de mobilité, de santé ou de services publics au sens large, il est un mot qui revient de plus en plus souvent : l’itinérance. Ainsi au sujet des maisons France services : "Aujourd’hui se développe quelque chose d’important, c’est l'itinérance", a déclaré la ministre, indiquant souhaiter que les 200 nouvelles maisons attendues d’ici à 2026 (portant le total à 3.000) "soient essentiellement itinérantes, pour aller vers les habitants". "Le sentiment de déclassement ou d'abandon naît du sentiment d'éloignement ou de l'inexistence de ces services, ce qui se joue dans cette ruralité, c'est ce qu'on appelle le premier ou le dernier kilomètre, c'est-à-dire comment on permet à nos concitoyens, quel que soit l'endroit où ils vivent, d'avoir accès à des services dans des conditions qui sont raisonnables", a-t-elle soutenu.
Assignation à résidence
C’est la même logique qui prévaut en matière de transports. Le fonds vert a permis de financer un plan de 90 millions d’euros en trois ans, qui a donné lieu à 224 projets touchant 3,9 millions d’habitants. Parmi ces projets : des applications de covoiturage permettant à un conducteur se savoir "que sur leur trajet à telle heure, il y a Madame Martin qui s'arrête". "C’est absolument génial", s’est enthousiasmée la ministre devant ses anciens collègues. Elle vient de faire un tour de France de ces solutions, ayant visité 40 départements et rencontré quelque 5.000 élus. Ainsi est-t-elle revenue sur l’expérience de Chenevelles, un village de 440 habitants dans la Vienne où elle s’est rendue courant mars : la mairie prend en charge une partie du permis de conduire des jeunes en contrepartie de quoi ces derniers effectuent des missions au service de la collectivité (médiathèque, espace vert…). La municipalité a aussi passé un contrat avec Citroën, et "le maire met à disposition des jeunes des voitures sans permis". Là encore : "un truc absolument génial et remarquable". La ministre attache d’ailleurs beaucoup d’importance à ce qu’elle appelle "l’assignation à résidence" des jeunes dans la ruralité, d’où les efforts déployés au service des internats d’excellence, des campus connectés ou des territoires éducatifs ruraux (l’objectif est de porter leur nombre de 200 à 300). Elle entend aussi travailler sur le "temps scolaire". L’État va ainsi soutenir une expérimentation avec une région qui est "prête" : des bus scolaires permettront aux élèves de faire leur devoir pendant leur temps de trajet, dans les mêmes conditions que dans un train…
Les vertus de l’itinérance, Françoise Gatel les voit encore dans les "médicobus" (une dizaine sont en circulation sur les 100 qui avaient été prévus pour 2024). Un ou deux "gynécobus" vont être prochainement "mis en mouvement". Des "buccobus" vont également été créés, notamment en Haute-Saône. "Cela change le regard des gens" (et redonne le sourire, ndlr), a souligné la ministre, attendant aussi le renfort des 3.700 médecins juniors "à partir de l’année prochaine" ou des "pratiques avancées des infirmières".
Les commerces ne sont pas en reste, puisqu’il existe des "commerces ambulants", des "guinguettes itinérantes", qui sont souvent des "bus transformés". Quant au commerce sédentaire, "il ne marche que quand il est multi activités", a fait valoir François Gatel. "Un des points d’accroche ce sont les bureaux de tabac" qui ont bénéficié d’un soutien de l’État pour diversifier leurs activités. "Seulement 40% des gens qui rentrent achètent du tabac", a-t-elle indiqué, insistant sur l'importance de récréer des "flux".
Épuisement des maires
La sénatrice communiste de Seine-et-Marne Marianne Margaté a émis quelques doutes sur cette politique, à l’approche d’arbitrages budgétaires qui s'annoncent douloureux. Elle, voit surtout un "désengagement de l’État" qui "met en cause notre cohésion territoriale et contribue à l’épuisement des maires". "Vous mettez beaucoup en avant l’innovation locale et c’est fondamental", mais "on est tous confrontés à l’épuisement des maires, parce qu’ils voient disparaître leurs services publics ; ils essayent de compenser, ils trouvent des palliatifs, ils mettent en place des maisons France Services mais il faut toujours mettre la main à la poche…", a-t-elle mis en garde. "Cela réinterroge la place de l’État. Est-ce que l’État n’est là que pour accompagner des innovations locales ? (…) On a un renversement qui crée beaucoup de tensions, d’épuisement et de fatalisme dans nos territoires", estime la sénatrice qui s’interroge aussi sur l’avenir des bureaux de poste alors que le contrat de présence postale doit bientôt être renouvelé.
Pour François Gatel, "l’épuisement des maires est une réalité", mais "il est multicause" et, dans les petites communes, il est surtout dû à la "mésentente" dans les conseils municipaux (c'est effectivement ce que semble montrer une toute récente étude Cevipof / Association des maires de France). "Ce que je vois, c’est que dans des territoires qui ne sont pas des très grandes villes ou des très grandes agglomérations, il n’y a pas de solutions toutes faites, vous devez inventer la solution. (…) Ce n’est pas à Paris qu’on va inventer la solution de la mobilité pour Madame Martin qui habite dans la Creuse." Le gouvernement compte sur le "versement mobilité régional et rural", créé par la loi de finances pour 2025. François Gatel avance une autre piste : le produit des amendes de police. "Une partie de cet argent pourrait être aussi directement allouée aux intercos qui développent ces mobilités de premiers et de derniers kilomètres."