Une enquête met en exergue le "ressentiment rural"

A moins d'un an des élections municipales, une vaste enquête met le doigt sur le "ressentiment rural" exprimé par les habitants des campagnes, qui représentent un tiers de la population. Un ressentiment qui se nourrit aussi bien des difficultés matérielles (le "malus rural") que des représentations culturelles, médiatiques et politiques en décalage avec leur vécu.

"On est soit les gentils arriérés qui cultivent la terre avec amour, soit les beaufs qui ne comprennent rien. Y’a jamais juste… Nous." C’est le témoignage de Nadine, 60 ans, habitante du Finistère, en exergue d’une vaste enquête intitulée "Paroles de campagne. Réalités et imaginaires de la ruralité française" menée par quatre associations - Bouge ton Coq, InSite, Rura et Destin commun - qui oeuvrent chacune à leur manière à redynamiser la ruralité. Cette enquête "inédite", publiée le 11 juin, a permis d’interroger 3.532 personnes de 18 ans et plus représentatives de la population, selon la méthode des quotas, dont un échantillon de 1.557 personnes représentatives de la population rurale.

L’objectif :  jauger l’état d’esprit des ruraux, qui représentent un tiers de la population, et les difficultés qu'ils rencontrent, à moins d'un an des élections municipales. Il en ressort un profond sentiment de "relégation" et même de "ressentiment rural" qui puise sa source dans un déficit de représentation à la fois politique, économique et culturel. Ainsi, 81% des ruraux considèrent que les partis politiques accordent trop d’attention aux villes et pas assez aux campagnes. Seuls 10% s’estiment bien représentés par le gouvernement et à peine 12% par le Sénat, censé pourtant incarner les territoires. Et qui fait même moins bien que l’Assemblée (13%). "C’est aussi sur le plan culturel et symbolique que se manifeste un fort sentiment de décalage", soulignent les auteurs. 81% des ruraux interrogés estiment que les urbains ne comprennent ou ne respectent pas leur mode de vie. Ce décalage est très marqué dans la perception qu’ils ont des médias : à peine 21% se sentent bien représentés par eux. L’émission de télévision qui passe pour le mieux représenter la ruralité est le 19/20 de France 3, suivie de programmes comme Des Racines et des ailes ou Echappées belles. A l’opposé, seuls 5% des ruraux s’estiment bien représentés par Quotidien, sur TMC. 

Vision caricaturale

"J'aime bien regarder l'émission Quotidien sur TMC, mais quand ils parlent des événements qui se passent en province, c’est toujours un poil moqueur. (…)  Le ton utilisé est toujours supérieur, et surtout c’est une façon de systématiquement nous faire passer pour des ploucs", s'indigne Hugo, 40 ans, dans l’Oise.

Pour 83% des ruraux, "les médias et les politiques imposent souvent une vision caricaturale de la ruralité depuis la ville". A cet égard, l’enquête démonte un certain nombre de clichés. Par exemple, les agriculteurs ne "représentent que 2% de la population rurale et 6% de ses actifs". Et 4% des ruraux affirment chasser régulièrement, contre 3% des urbains, or ces derniers étant deux fois plus nombreux, "la France compte davantage de chasseurs urbains que ruraux". Les préoccupations écologiques sont à peu près également partagées par les uns et les autres.

Par ailleurs, les discriminations ne sont pas réservées aux quartiers. Un tiers des ruraux estiment en avoir été victime en raison de leur lieu de vie. Une proportion qui monte même à 68% chez les jeunes. Ces situations prennent plusieurs formes : difficultés à l’embauche (16%), remarques méprisantes sur leur mode de vie (14%), moqueries liées à l’accent (13%), ou encore critiques liées à leur appartenance régionale (11%), détaille l’enquête.

Malus rural

Ces difficultés de représentations se doublent d’une accumulation de contraintes : manque de transports, disparition des services publics, difficulté d’accès aux soins, fermeture des commerces de proximité "vécue comme un signal d’alerte, voire un traumatisme local"... Ce que l’enquête nomme le "malus rural". Phénomène qui touche plus durement les jeunes qui vivent de surcroît les difficultés d’accès à l’emploi. 

“Les théories qui réduisent le vote rural aux conséquences d’une condition sociale ne sont pas suffisantes. Elles font notamment l’impasse sur un profond ressentiment rural largement décortiqué dans notre enquête et dont les racines sont à la fois politiques, culturelles et économiques", analyse Salomé Berlioux, fondatrice et directrice générale de Rura (ex-Chemins d’avenirs). De fait, l’enquête montre une "corrélation directe entre la distance aux services de proximité, le niveau de ressentiment rural et la probabilité de voter pour le Rassemblement national". Ce dernier s'impose comme "le premier parti" de la campagne, "toutes catégories de la ruralité confondues" avec des scores oscillant entre 35 et 45%. Toutefois, soulignent les auteurs, l'enquête montre que "la réelle fracture électorale n’oppose pas les villes aux campagnes mais plutôt les grands centres urbains (24% de vote Rassemblement national en moyenne) à tous les autres types de territoires (au-dessus de 37%) – ruralité, mais aussi petites villes et périurbain".

Si le ressentiment rural apparaît comme "un ressort politique puissant", il emprunte parfois d'autres chemins que les urnes. Et se traduit dans un "complexe rural", l'idée que le retrait des services est "normal, voire inéluctable". Les auteurs invitent à passer du "complexe" à la "fierté". D'autant qu'ils ont développé de nombreux atouts dans le monde actuel : sens du compromis, formes d'autonomies matérielles, sobriété, sens de la débrouille, engagement dans la vie locale... "Alors que 51% des habitants de la ruralité considèrent aujourd’hui qu’aucune des trois valeurs de la devise républicaine n’est bien appliquée, les élections municipales de mars 2026 représentent une opportunité déterminante de réparer leur lien avec notre pacte républicain, pour le bénéfice de notre société dans son ensemble", affirment les auteurs.

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis