Outre-mer : la continuité territoriale "n'existe pas dans les faits"

Malgré des progrès accomplis depuis quelques années, la politique de continuité territoriale ne parvient pas à résorber les fractures sociales et économiques entre l'outre-mer et l'Hexagone, constatent deux députés qui préconisent un véritable "droit opposable" à la mobilité.

Déficits d’accès aux services publics de transport, de santé, de formation, de communication… Malgré une "réelle amélioration des aides aux mobilités", la politique nationale de continuité territoriale (PNCT) "peine aujourd’hui à répondre à des besoins extensifs". Et elle échoue à assurer une "égalité de traitement" entre les territoires ultramarins et l’Hexagone, constatent les députés Olivier Serva (Guadeloupe, Liot) et Annie Vidal (Seine-Maritime, Ensemble pour la République) dans un rapport d’évaluation sur l'application du principe de continuité territoriale. Principe qui, selon eux, "n’existe pas dans les faits"… 

Fort sentiment d'injustice

Créé en 1976 pour la Corse, il n’a été étendu aux territoires ultramarins qu'au début des années 2000. En 2023, un rapport sénatorial estimait que "les dépenses étatiques annuelles par habitant en faveur de la continuité territoriale avec la Corse (275 euros) étaient 16 fois supérieures à celles destinées aux habitants des outre-mer (16 euros)", rappellent les députés. De quoi générer un "fort sentiment d’injustice" chez les ultramarins.

Cette politique destinée à atténuer les effets de l’éloignement et de l’insularité des quelque 2,7 millions d’ultramarins et des 343.700 Corses se chiffre à 369 millions d’euros en 2024. Lors du Comité interministériel des outre-mer (Ciom) du 16 juillet 2023, une batterie de mesures ont été prises pour renforcer les dispositifs de continuité territoriale et créer de nouvelles aides, notamment le "passeport pour le retour", dont le décret a enfin été publié le 7 septembre (lire notre article).

Entretemps, l’action de Ladom (Agence de l’outre‑mer pour la mobilité) chargée de distribuer les aides à la mobilité a enregistré des "progrès remarquables", avec 83.323 bénéficiaires en 2024, soit 10.000 de plus qu’en 2023.

Pour autant ces mécanismes pléthoriques s’avèrent souvent "inadaptés à la réalité des déplacements et inefficaces pour réduire les coûts supplémentaires qui résultent de l’éloignement". Ainsi les billets d’avion – en partie compensés - se sont-ils envolés depuis 2021. Et les ultramarins doivent aussi composer avec la "saisonnalité" des dessertes. Mais c’est dans tous les champs de la vie quotidienne que les écarts avec l’hexagone se manifestent : précarité beaucoup plus présente, taux de pauvreté qui atteint les 34% en Guadeloupe et même 77% à Mayotte contre 14,9% sur l’ensemble de la France... Cette "inégalité des chances" se traduit notamment dans l’accès à la formation. Lorsqu’un concours est organisé à 9 heures du matin en métropole, il a lieu à 3 heures du matin en Guadeloupe, les élèves étant "mis dans des sas", a notamment fait observer Olivier Serva, lors de la présentation du rapport, le 23 octobre. 

Droit opposable

Alors que le Parlement débat en ce moment du projet de loi contre la vie chère en outre-mer, les députés estiment que le sujet des prix plus élevés en outre-mer (jusqu’à 16% en Guadeloupe et même 42% pour les produits alimentaires) est une "répercussion quotidienne de la discontinuité territoriale". L’aide au fret versée aux entreprises pour compenser les surcoûts liés aux importations se montre "complexe et inefficace". Seules 107 entreprises ont ainsi été subventionnées en 2024, dont 2 à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

En dépit des crédits alloués dans les contrats de convergence et de transformation (CCT), le rapport pointe aussi des retards dans la modernisation des infrastructures (aéroports, ports, numérique) et de grandes inégalités selon les collectivités. Les dispositifs de désenclavement "ne possèdent qu’une incidence très limitée", déplorent les députés.

Alors pour renforcer l’application du principe de continuité territoriale, les rapporteurs formulent dix-sept propositions dont la création d’un "droit opposable" pour tous les résidents, comme c’est le cas en Corse. Pour plus de lisibilité dans les aides, ils recommandent la création d’un "guichet unique d’information numérique sur l’ensemble des dispositifs de mobilité étudiante et professionnelle, réunissant Ladom, les Crous, les régions et les établissements d’enseignement supérieur". 

Modèle corse

Pour ce qui est des transports, ils appellent l’Etat à garantir la concurrence pour diminuer les tarifs et à affermir son soutien aux compagnies aériennes locales. Ils invitent là encore à s’inspirer du "modèle corse" de délégations de service public (DSP) passées avec des compagnies aériennes et maritimes, pour exploiter certaines liaisons et mettre en œuvre des obligations de service public (OSP). Cette politique s’est aussi traduite par des tarifs "résidents" au bénéfice des Corses. Elle est financée intégralement par une "dotation de continuité territoriale" qui se chiffre à 187 millions d’euros par an.

Les rapporteurs préconisent de renforcer les connexions régionales afin que la continuité territoriale ne soit pas exclusivement tournée vers l’hexagone mais orientée vers les bassins géographiques de chaque territoire. Ce qui passe par le développement de liaisons aériennes et maritimes avec leur environnement proche. Les rapporteurs soutiennent aussi le déploiement de solutions numériques d’accès aux services publics. 

 

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