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Pauvreté : pas de hausse du RSA, mais un ensemble de mesures à 1,8 milliard

Jean Castex a finalement annoncé ce samedi 24 octobre les mesures pour "prévenir et lutter contre la bascule dans la pauvreté". Sans surprise, pas de revalorisation des minima sociaux ni d'ouverture du RSA aux jeunes mais un "arsenal" incluant l'aide exceptionnelle annoncée une semaine plus tôt, des actions en matière d'accès aux droits, un volet insertion par l'activité (nouvelles aides aux postes dans l'IAE, doublement du nombre de PEC), le lancement du service public de l'insertion dans 30 territoires, un pan hébergement et logement... et l'on a eu des nouvelles du RUA. Pas d'abandon mais pas pour tout de suite.

Le samedi 24 octobre, lors d'un déplacement en compagnie de plusieurs ministres dans un CHRS géré par Emmaüs à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Jean Castex a annoncé les mesures du gouvernement pour lutter contre la pauvreté dans le contexte du retour de la pandémie de Covid-19. Le Premier ministre aurait dû annoncer ces décisions le 17 octobre, mais la présentation a été annulée en raison de l'assassinat de Samuel Paty, le professeur d'histoire du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Intitulé "De nouvelles mesures pour prévenir et lutter contre la bascule dans la pauvreté", cet ensemble de dispositions concrétise l'engagement pris par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale le 15 juillet dernier. Jean Castex avait alors déclaré : "Nous ne retrouverons pas l'unité sans une attention accrue aux plus vulnérables d'entre nous. Ils ont été davantage touchés par la crise sanitaire, révélant de vraies inégalités en santé. Ils seront également les plus fortement affectés par la crise économique. La solidarité nationale doit continuer à jouer à plein, pour éviter une crise sociale majeure et des drames humains, individuels, désastreux. Des mesures de soutien pour nos concitoyens les plus précaires seront donc prises" (voir notre article du 15 juillet 2020).

Une enveloppe de 1,8 milliard d'euros

Deux événements sont toutefois venus perturber l'annonce de ce plan. D'une part, le décalage d'une semaine de sa présentation, qui a conduit à annoncer prématurément le lancement, dès le 18 octobre (lendemain du jour initialement prévu pour l'annonce), de la campagne hivernale pour l'hébergement, qui commence normalement le 1er novembre, ce qui doit permettre "l'ouverture des places d'hébergement afin d'assurer une mise à l'abri dès le début du couvre-feu". D'autre part et surtout, les propos insuffisamment précis du chef de l'État lors de son intervention du 14 octobre. Face aux incompréhensions, le Premier ministre a donc anticipé l'annonce de la mesure en faveur des jeunes bénéficiaires des APL et des étudiants boursiers (sur ces deux points, voir notre article du 18 octobre 2010).

Au-delà de ces annonces anticipées, le dispositif présenté le 24 octobre par Jean Castex constitue un ensemble complet de mesures. Il s'agit en effet de répondre aux effets de la pandémie de Covid-19 sur l'activité économique, qui se traduisent déjà dans un certain nombre de données significatives : progression du nombre de demandeurs d'emploi de 6,7% entre le premier et le deuxième trimestre 2020, hausse de près de 20% des demandes de RSA et de 10% des dépenses de RSA...

Sans surprise compte tenu du choix de privilégier l'insertion par le travail, il n'est cependant pas prévu de revalorisation des minima sociaux et notamment du RSA, pourtant réclamée par la quasi-totalité des associations et organismes consultatifs (voir nos articles ci-dessous des 5 et 8 octobre 2020).

Le "nouvel arsenal d'actions" présenté par le Premier ministre entend répondre à trois grandes priorités : soutenir le pouvoir d'achat des personnes précaires et modestes en leur apportant un accompagnement au quotidien, favoriser la sortie de la pauvreté en développant des solutions d'insertion et d'activité pour les personnes sans emploi et, enfin, assurer des conditions de logement et d'hébergement adaptées et prévenir les impayés de loyers.

Comme souvent dans ce type de plan, les mesures présentées intègrent quelques mesures déjà engagées ou annoncées. Le Premier ministre a toutefois indiqué que plus de 1,8 milliard d'euros seront mobilisés pour financer les nouvelles mesures (y compris celles déjà annoncées la semaine dernière). Cette enveloppe s'ajoutera à celle de la stratégie Pauvreté (plus de 8 milliards), aux mesures de lutte contre la pauvreté prises durant la crise sanitaire (plus de 1,5 milliard), ainsi qu'aux mesures contribuant à lutter, même indirectement, contre la pauvreté dans le plan de relance (plus de 6 milliards).

Aide de solidarité, masques gratuits, accès aux droits...

Sur le volet du soutien aux personnes précaires, le Premier ministre a bien sûr rappelé la nouvelle aide de solidarité annoncée la semaine dernière : 150 euros aux bénéficiaires du RSA et de l'ASS (allocation de solidarité spécifique, pour les chômeurs en fin de droits), plus 100 euros par enfant aux personnes titulaires du RSA, de l'ASS et ou des APL. Répliquant le dispositif mis en place en mai dernier, cette aide sera versée automatiquement, le 27 novembre, à plus de quatre millions de foyers. Au total, en cumulant les diverses mesures passées et annoncées, le gouvernement estime qu'une famille au RSA avec trois enfants aura bénéficié d'une aide supplémentaire de 1.200 euros en 2020, versée directement.

Parmi les nouvelles mesures figure une nouvelle vague de distribution de masques gratuits pour les personnes précaires (bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire ou de l'aide médicale d'État). Ce nouvel envoi de 52 millions de masques lavables, confié aux préfectures, sera finalisé à la mi-novembre. Un troisième envoi est par ailleurs en cours de préparation pour le début de 2021.

De même, 100 points conseils budgets supplémentaires vont être déployés d'ici à 2022. Ils s'ajouteront aux 400 points déjà programmées, dont 150 déjà installés, qui viennent de faire l'objet d'un appel à projets pour 250 points (voir notre article du 9 juin 2020). Ces nouveaux points permettront d'accompagner gratuitement plus de 75.000 personnes en situation de fragilité financière. Dans le même esprit, l'offre de domiciliation – portée notamment par les CCAS et les associations et qui facilite entre autres l'accès aux prestations sociales légales – va être augmentée, avec l'objectif de passer de 400 à 700 structures de domiciliation d'ici à 2023.

Le Premier ministre annonce également un renforcement des mesures en faveur de l'accès aux droits, comme le développement du datamining ou le renseignement automatique des formulaires de demande avec les informations déjà transmises. Enfin, Jean Castex annonce la mise sur pied d'un groupe de travail sur la simplification administrative, spécialement destiné à "permettre aux associations de concentrer leurs ressources sur l'accompagnement des personnes précaires".

30.000 aides au poste pour l'IAE et le financement des PEC par l'État porté à 80%

Le second volet du dispositif regroupe les mesures favorisant "la sortie de la pauvreté en développant des solutions d'insertion et d'activité pour les personnes sans emploi". Il s'agit, en l'occurrence, d'aller au-delà des mesures d'accompagnement vers l'emploi et l'activité mises en œuvre dans le cadre de la stratégie Pauvreté, puis par le plan de relance, notamment à travers le dispositif "Un jeune, une solution" (voir nos articles ci-dessous). Cinq nouvelles mesures s'ajoutent ainsi à l'ensemble existant.

Tout d'abord, la création de 30.000 nouvelles aides aux postes dans le secteur de l'IAE (insertion par l'activité économique), notamment dans "les secteurs d'avenir et transformateurs du modèle social". En outre, et afin de limiter les sorties sèches dans une situation de l'emploi qui s'annonce tendue, la possibilité de rester dans une structure d'IAE est prolongée de 12 mois, soit 36 mois au lieu de 24 actuellement.

L'État va également porter à 80% son taux de cofinancement des parcours emplois-compétences (PEC) dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et dans les zones de revitalisation rurale (ZRR). Le nombre de PEC dans ces territoires va être doublé et ils seront orientés vers des secteurs en tension (comme l'aide alimentaire).

Aide à la mobilité et service public de l'insertion expérimenté dans 30 territoires en 2021

Une autre mesure concerne la mise en place d'une aide à la mobilité pour 100.000 demandeurs d'emploi, grâce à de nouvelles plateformes mobilité solidaire proposant des locations de voitures à des tarifs solidaires, des microcrédits pour l'achat d'un véhicule... Ces mesures bénéficieront "à la moitié des personnes en insertion qui ont dû renoncer à un emploi ou à une formation faute de solution de mobilité". Elles visent donc en priorité les demandeurs d'emploi résidant dans les zones en déprise, dans les zones rurales et dans les QPV.

Enfin, le Premier ministre a annoncé que le service public de l'insertion et de l'emploi (Spie) sera lancé en 2021 dans 30 territoires, "afin d'assurer un parcours d'accompagnement sans couture aux personnes éloignées de l'emploi, en développant notamment les échanges de données entre Pôle emploi, les départements et la CAF, ainsi que la mise en réseau de ces professionnels". À l'origine, le Spie devait être expérimenté dans 14 départements en mars 2020, mais la pandémie a évidemment bouleversé la donne. Le contenu de ce service public de l'insertion et de l'emploi, qui reste encore assez vague, "s'appuiera sur un socle de propositions d'accompagnement issu de la concertation menée avec les associations, les acteurs de terrain et les départements". Avec pour objectif de de renforcer les coopérations et la concertation entre professionnels, afin de favoriser un retour plus rapide à l'emploi.

Renforcement de l'hébergement... et de sa sortie

Enfin, le troisième volet consiste à "renforcer l'accès et le maintien dans le logement, ainsi que l'accès à l'hébergement d'urgence". Cinq mesures nouvelles sont prévues à ce titre. La première avait, donc, déjà été annoncée une semaine plus tôt, puisqu'il s'agit du lancement anticipé, au 18 octobre au lieu du 1er novembre, de la campagne d'hiver, avec l'ouverture concomitante des places d'hébergement (voir supra).

Le seconde mesure est plus pérenne. Elle consiste en l'ouverture de 1.500 places destinées à héberger des femmes sans abri sortant de maternité avec leur nourrisson, "afin de leur éviter de dormir dans les locaux des hôpitaux ou dans la rue, le temps qu'une solution pérenne et adaptée soit trouvée". L'annonce est un peu curieuse dans la mesure où la mission de ces structures ressemble beaucoup, a priori, à celle des centres maternels ou foyers maternels gérés par les départements au profit des jeunes mères isolées. Il est d'ailleurs précisé qu'un "accompagnement sanitaire et médicosocial adapté sera aussi proposé, avec une expérimentation d'ici la fin 2020 et un déploiement en 2021".

Autre mesure annoncée : le financement de projets innovants d'hébergement et d'accompagnement social de personnes en situation de grande marginalité, "ayant un long parcours de rue, souvent accompagnées d'animaux ou présentant des addictions". Ces structures permettront d'amorcer une prise en charge médicale et d'ouvrir des droits pour 3.000 personnes. Sans attendre l'annonce du Premier ministre, un appel à manifestation d'intérêt (AMI) a déjà été lancé à la mi-octobre pour faire émerger une dizaine de projets supplémentaires (voir notre article du 16 octobre 2020). Dans le même esprit, le plan comporte une mesure prévoyant l'accompagnement des 45.000 personnes hébergées dans des hôtels vers l'accès à l'autonomie et à une alimentation de qualité dans le cadre de la création de tiers lieux alimentaires (restaurants solidaires, cuisines mobiles).

Un doublement des logements PLAI et un renforcement de la prévention des expulsions

Ce troisième volet entend également favoriser la sortie de l'hébergement vers le logement durable – conformément à l'esprit du Logement d'abord – grâce au doublement du nombre de logements sociaux à très bas niveau de loyer (PLAI adaptés) financés en 2021. Cette mesure répond à la demande de l'USH (Union sociale pour l'habitat), exprimée dans sa réaction à l'annonce du plan de relance.

Enfin, deux mesures sont prévues pour favoriser le maintien dans le logement, en prévenant les expulsions locatives. D'une part, la création "d'équipes mobiles de visite à domicile" pour les personnes menacées d'expulsion, mais que les services sociaux "ne parviennent pas à joindre par les moyens traditionnels" (autrement dit qui ne répondent pas aux sollicitations des services sociaux des bailleurs ou des départements). D'autre part, la prolongation de l'aide aux impayés de loyers et au paiement des dépenses de logement, mise en place par Action logement le 11 juin dernier, via sa plateforme dédiée "SOS loyers impayés". En outre, les critères d'octroi de cette aide seront assouplis, dès 2021, pour les plus fragiles. Ces mesures seront mises en œuvre dans le cadre du service public "De la rue au logement", qui doit voir le jour le 1er janvier, dans le cadre de l'acte II du Logement d'abord. L'enveloppe initiale de 100 millions d'euros prévue initialement par Action logement devrait donc être augmentée à cette occasion.

Des nouvelles du RUA : un "objectif de long terme"

À noter : de façon inattendue, le Premier ministre a – enfin – donné des nouvelles, mais assez peu optimistes, du revenu universel d'activité (RUA). Le RUA n'est pas évoqué dans le dossier de présentation des mesures, mais Jean Castex a terminé son allocution à Épinay-sur-Seine en précisant que les travaux sur le revenu universel d'activité "vont se poursuivre, parce qu'il faut donner des perspectives, même si sa mise en œuvre immédiate n'est pas possible", car "il y a encore des travaux techniques à faire et tous les services du ministère et des directions départementales sont actuellement complètement mobilisés par la crise sanitaire". Néanmoins, "cet objectif de long terme reste une priorité de l'action gouvernementale".

 

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