Territoires zéro chômeur de longue durée : le comité scientifique appelle à poursuivre, malgré "un coût significatif"

Conduite dans 83 territoires, l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée a des effets positifs pour les 4.000 personnes employées et pour les territoires concernés, cela "à un coût significatif qui est loin de la neutralité budgétaire" qui était promise par les promoteurs du projet, selon le comité scientifique chargé de l’évaluation. Ce dernier souligne l’apport spécifique de la dynamique par rapport aux autres dispositifs d’insertion, pour des personnes très éloignées de l’emploi et en fin de parcours. Et se prononce pour la pérennisation de la démarche, mais sur un champ plus ciblé de bénéficiaires et de territoires. 

 

"Personne n’est inemployable", "ce n’est pas le travail qui manque", "ce n’est pas l’argent qui manque" : trois présupposés qui sont au cœur de la démarche Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), expérimentée en France depuis près de 10 ans. Alors que dix territoires avaient été soutenus et autorisés à expérimenter entre 2016 et 2021, 83 territoires ont été concernés au cours de la deuxième étape qui a démarré fin 2021. Au total, 4.051 salariés, recrutés dans 92 entreprises à but d’emploi (EBE), étaient recensés mi-2025. Par son ambition, ses modalités et sa durée, son ampleur et la diversité des territoires concernés, cette expérimentation est véritablement "inédite", juge le comité scientifique qui a rendu public, ce 23 septembre 2025, son rapport d’évaluation de la deuxième phase de l’expérimentation. 

Particulièrement attendu, ce rapport permettra aux parlementaires de disposer de données objectives dans le cadre de l’examen de la proposition de loi (PPL) visant à pérenniser l’expérimentation. En juin dernier, les premiers débats sur ce texte avaient été vifs à l’Assemblée nationale, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet ayant en particulier émis des doutes sur la neutralité – ou la quasi-neutralité – budgétaire de la démarche (voir notre article). Dans son rapport, le comité scientifique apporte des éléments de chiffrage visant à estimer au plus juste le "coût réel" de l’expérimentation pour les finances publiques. 

Un coût net entre 11.300 et 13.700 euros par ETP

Le coût brut d’un emploi en entreprise à but d’emploi (EBE) est estimé à 26.600 euros par équivalent temps plein (ETP) – pris en charge par l’État et les départements -, somme à laquelle s’ajoute une dotation d’amorçage de 6.200 euros (versée l’année suivant la création d’un emploi). Quant aux coûts sociaux évités (allocations chômage, revenu de solidarité active, allocations adulte handicapé…) et aux recettes fiscales et sociales générées par l’emploi, ils s’élèveraient entre 12.900 et 15.300 euros par ETP. Le coût net pour la puissance publique serait donc compris entre 11.300 et 13.700 euros par ETP, "auquel il convient d’ajouter la dotation d’amorçage", selon le rapport. 

"On a donc un coût significatif qui est loin de la neutralité budgétaire qui a été promise à l'origine par les porteurs de projets", a jugé ce jour Yannick L’Horty, président du comité scientifique, lors de la conférence de presse de présentation des résultats de l’évaluation. 

"Des effets très favorables pour les personnes"

Mais la promesse de cette expérimentation était "triple", a rappelé le chercheur. Certes, la promesse à la collectivité était celle d’un "coût minimal pour les finances publiques" (du fait notamment de l’"activation de dépenses passives"). Aux territoires, il a été promis que les activités développées par les EBE ne concurrenceraient pas l’économie locale (y compris celle portée par les structures de l’insertion par l’activité économique). Enfin, l’offre "extrêmement attractive" aux personnes privées durablement d’emploi était de leur permettre d’occuper un emploi stable, en contrat à durée indéterminée, à temps choisi et à proximité de leur domicile, sur une activité utile au territoire et correspondant à leurs compétences et leur projet. 

"L’expérimentation produit des effets très favorables pour les personnes", affirme le comité scientifique, estimant que "la plupart" des 4.000 personnes embauchées en EBE au cours de la deuxième vague de l’expérimentation "n’auraient sans doute pas accédé à l’emploi en l’absence de l’expérimentation". Le comité scientifique met en avant des spécificités de l’emploi en EBE par rapport à celui des SIAE : des salariés plus âgés (45 ans en moyenne contre 36 ans en SIAE), une surreprésentation des femmes ("ce qui est cohérent avec le fait que les activités qu’elles vont effectuer sont surtout des activités de services", contrairement à des fonctions d’ouvrier plus courantes en SIAE) et de personnes en situation de handicap, ou encore des difficultés de mobilité fréquentes pour ces salariés. "L’expérimentation a rencontré un public qui n’est pas dans le radar des dispositifs d’insertion tels qu’ils existent aujourd’hui", conclut Yannick L’Horty. 

"Un niveau élevé de coopération entre acteurs locaux"

Autre promesse tenue : la "plus-value pour les territoires". Selon le rapport, "à une échelle territoriale très fine, celle d’un quartier de ville ou d’un petit ensemble de communes rurales", l’expérimentation favorise dans la plupart des cas, à travers le comité local pour l’emploi (CLE), "un niveau élevé de coopération entre acteurs locaux, élus, représentants du service public de l’emploi, acteurs de l’économie sociale et solidaire..." Le comité scientifique observe des logiques partenariales et des complémentarités entre les CLE et les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) et le service public de l’emploi. 

Est également souligné l’intérêt du "temps long de co-construction et donc de marge de manœuvre" pour les acteurs, par opposition à des logiques d’"application de directives nationales, descendantes, parfois vécues comme déconnectées des réalités de terrain". "Les comités mettent les acteurs en cohérence" et proposent des formes d’"aller-vers" qui sont "relativement innovantes dans l’action publique", ajoute Yannick L’Horty. 

Cibler davantage les publics et les territoires 

Le rapport d’évaluation s’intéresse évidemment aux EBE qui sont "financièrement fragiles" et "créent peu de valeur marchande", selon le président du comité scientifique. Pour les directeurs de ces entreprises qui "doivent arbitrer entre plusieurs contraintes inconciliables" (développer des activités utiles sans faire de concurrence, rechercher un équilibre sans pouvoir choisir ni le profil des salariés ni la nature des activités, s’adapter aux souhaits des salariés…), cela relève de "la quadrature du cercle". Certains de ces directeurs seraient d’ailleurs "en souffrance", parfois "à la limite du burn-out", pointe Yannick L’Horty.

Au terme de cette évaluation, le comité scientifique appelle à "pérenniser l’expérimentation", mais "selon un cahier des charges rénové" permettant en particulier de réserver l’emploi en EBE à "des situations individuelles spécifiques, comme instrument de dernier recours, ou encore, dans une logique de fin de parcours professionnel". "On sort peu des EBE", souligne Yannick L’Horty, estimant nécessaire de privilégier, lorsque c’est possible, une orientation vers l’emploi classique ou des dispositifs visant à favoriser un "rebond" vers autre chose. En cas de généralisation, un "ciblage plus explicite des territoires" est également préconisé, afin de privilégier les territoires les plus vulnérables et les "zones blanches de l’insertion". Pour réduire les "inégalités entre territoires" au moment de la candidature, une "dotation de lancement" pourrait être accordée, "certes au prix d'un coût budgétaire encore plus élevé", indique encore le président du comité scientifique. 

Composé de chercheurs (sociologues, politologues et économistes) et de représentants d’administration, le comité scientifique travaille depuis deux ans sur ces travaux d’évaluation et a été accompagné par les équipes de la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, ministère du Travail) et du Haut-commissariat au plan. Produits en tout par une cinquantaine de chercheurs, cinq rapports - restituant des données quantitatives et qualitatives – sont publiés ce jour, en parallèle du rapport d’évaluation. 

 

Un veto du gouvernement pour conventionner les EBE de deux nouveaux territoires habilités 

Dans un communiqué publié ce jour, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée déplore que le gouvernement démissionnaire ait mis un veto sur le conventionnement de deux nouvelles EBE dans deux nouveaux territoires (Costa Verde en Corse et Bouffémont-Attainville-Moisselles dans le Val-d’Oise). "Ces territoires, pourtant habilités par le même gouvernement, lorsqu’il était non démissionnaire, se voient désormais privés d'un soutien essentiel qui aurait permis la création de 55 nouveaux emplois", regrette l’association, qui appelle le Premier ministre Sébastien Lecornu à "fournir des explications claires et à reconsidérer cette décision".

 

 

 

 

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