Territoires zéro chômeur de longue durée : Astrid Panosyan-Bouvet craint un "gâchis d’argent public"

La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a manifesté de nombreuses réserves sur la proposition de loi visant à pérenniser l’expérimentation "territoires zéro chômeurs de longue durée", dont elle critique tant la philosophie que le coût pour les finances publiques. 

Les soutiens du projet "territoires zéro chômeur de longue durée" vont devoir prendre leur mal en patience. Le 4 juin dernier, les députés n’ont pas eu le temps de voter le texte visant à pérenniser ce dispositif expérimenté depuis 2016 et employant plus de 3.800 personnes. Les premiers échanges autour de la proposition de loi transpartisane signée par 125 députés (lire notre article) n’ont pas été tout à fait consensuels. Et le rapporteur du texte, le député Liot Stéphane Viry (lire notre article), s’est heurté au fort scepticisme de la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet. La date de reprise des débats n’est pas encore connue. 

Regrettant que l’examen de la proposition de loi démarre avant la remise des évaluations de la Cour des comptes et d’un conseil scientifique (lire notre article) présidé par le chercheur Yannick L’Horty, Astrid Panosyan-Bouvet a énuméré les "réelles interrogations que soulève ce dispositif", pointant des risques de concurrence avec le secteur de l’insertion par l’activité économique et d’éloignement du marché du travail ordinaire. 

"Comment éviter que des personnes qui, avec un parcours en insertion ou un accompagnement de trois ou six mois par France Travail, pourraient rejoindre l’économie classique, soient embauchées trop vite en EBE [entreprise à but d’emploi], avec à la clé une perte de compétences pour les entreprises –⁠ sans parler du gâchis d’argent public ?", a-t-elle interrogé. 

Une neutralité budgétaire à démontrer

La ministre a attaqué le coût budgétaire du dispositif, qui s’élève à 28.000 euros par équivalent temps plein et représente 70 millions d’euros en 2025, contre 13 millions en 2021. "Dans un contexte de redressement impératif de nos finances publiques, le soutien de l’État ne peut se faire au guichet, selon un principe d’exhaustivité qui est difficilement tenable, tant pour l’État que pour les départements tenus de cofinancer le dispositif", a-t-elle souligné. 

Elle a par ailleurs remis en cause l’idée selon laquelle TZCLD permet d’éviter une partie des coûts liés aux prestations sociales versées en compensation du chômage. "Le principe d’une neutralité – ou d’une quasi-neutralité – budgétaire par l’activation de dépenses passives et la mobilisation des coûts évités doit faire l’objet d’une discussion sincère. Or je le dis très clairement, il n’a jamais été démontré de manière indépendante". 

La ministre exige un "conventionnement pluriannuel comparable à celui dont bénéficient les opérateurs de l’IAE et les entreprises adaptées dans le champ du handicap", loin du mode de financement prévu par le texte qui pérennise l’organisation actuelle à travers l’institution d’un "fonds d’activation des territoires zéro chômeur de longue durée", centralisé au niveau national. 

Alors que le texte sanctuarise les comités locaux pour le droit à l’emploi et prévoit d’y intégrer les acteurs locaux du réseau pour l’emploi, la ministre estime que les pistes visant à mettre en cohérence l’expérimentation avec la nouvelle architecture du service public de l’emploi "risquent de fabriquer une nouvelle complexité". 

Un vote "prématuré" à ce stade

Une partie du centre et de la droite a elle aussi manifesté ses doutes. "Nous risquons donc de créer un système qui se nourrit lui-même et qui, ce faisant, pourrait produire des effets inverses à ceux que l’on recherche en fragilisant des entreprises, en créant des chômeurs et en générant des emplois aidés éligibles aux EBE", a déclaré Perrine Goulet (Nièvre), du groupe Démocrate. En l’absence des conclusions des études de la Cour des comptes et du comité scientifique (lire notre article), la députée Josiane Corneloup (Saône-et-Loire) a indiqué que le groupe Les Républicains va s’abstenir. 

François Gernigon (Maine-et-Loire), du groupe Horizons & indépendants a de son côté appelé à ne pas juger ce dispositif "à l’aune des seuls chiffres" (entre 22.000 et 28.000 euros par emploi contre 18.000 à 20.000 pour un accompagnement classique) mais souhaite que soit confirmée "l’hypothèse de travail selon laquelle le coût des emplois créés serait compensé par les dépenses évitées". "Nous soutenons l’ambition du dispositif, mais nous estimons qu’en l’absence des garanties indispensables, le vote de ce texte est prématuré", a déclaré Christine Le Nabour (Ille-et-Vilaine) du groupe Ensemble pour la République (EPR) 

Soutien de la gauche et de l’extrême droite

Le texte reçoit en revanche le soutien plus franc des autres groupes politiques, de la gauche à l’extrême droite en passant par Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Côté Rassemblement national, Gaëtan Dussausaye (Vosges) veut "acter le plus rapidement possible la pérennisation dans la loi du dispositif", tout en veillant à centrer le dispositif sur les personnes durablement privées d’emploi pour ne pas verser dans un "dirigisme quasiment socialiste multipliant les emplois subventionnés". 

"Nous voterons la proposition de loi, en espérant que les clarifications nécessaires concernant son financement seront apportées dans le cadre des prochaines lois de finances", a déclaré Yannick Monnet du groupe de la gauche démocrate et républicaine. Selon Gabriel Amard (Rhône), du groupe La France insoumise, "les TZCLD ont permis à plus de 9.000 personnes de retrouver un CDI –⁠ 3.000 équivalents temps plein en 2024 – dans des activités socialement utiles, et cela sans faire de concurrence au secteur privé local". "Le dispositif Territoires zéro chômeur nous propose finalement un contrepied au paradigme qui structure les politiques actives de l’emploi en rompant avec la logique culpabilisante de nombreuses réformes récentes, dont celle de l’assurance chômage", a salué Océane Godard (Côte-d’Or), du groupe socialistes et apparentés. 

Autre soutien au texte, Marie Pochon, du groupe Écologiste et social, a de son côté déploré que dans sa circonscription, le département de la Drôme ait décidé de retirer son soutien au projet local "au motif qu’il y avait une faute de frappe dans le transfert de la délibération" et "masquant ainsi son choix politique de couper dans les budgets". 

Dans la newsletter de TZCLD, le président du programme, Laurent Grandguillaume, affirme que "les débats à l’Assemblée nationale reprendront à la rentrée sur le texte, puis au Sénat". Il reste confiant dans le fait que le projet bénéficie toujours d'un "courant largement majoritaire" au Parlement, même si "rien ne nous sera épargné pendant les débats parlementaire"s. Il regrette "le discours rétrécissant" de la ministre et revendique le soutien du Premier Ministre, de Michel Barnier, de François Hollande, de Gérard Larcher, ainsi que du président de la République, Emmanuel Macron.

 

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