Trait de côte : la nouvelle stratégie nationale de gestion intégrée en consultation
Les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont mis en consultation jusqu’au 23 septembre le projet de stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte pour la période 2025-2030. Face au changement climatique dont les effets sont déjà visibles sur le littoral, elle vise à mieux anticiper les évolutions en cours et à faciliter l’adaptation des territoires concernés. Mais les moyens d’accompagnement des collectivités restent limités à ce stade.

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Depuis 50 ans, 30 km² de terres ont disparu en France du fait du recul du trait de côte. Le chiffre est mis en avant dans le projet de stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) pour la période 2025-2030 mis en consultation jusqu’au 23 septembre prochain par les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique. Lancée en 2012, la SNGITC a fait l’objet de deux programmes d’actions (2012-2015 et 2017-2019), avant l’adoption de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 qui en a consacré l’existence.
Prise en compte de la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique
Le nouveau programme d’actions 2025-2030, qui concerne les territoires littoraux en France hexagonale, en Corse et dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), vise à accélérer l’adaptation de la bande côtière aux effets du changement climatique. Il s’appuie désormais sur la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique, qui prévoit une hausse moyenne de la température dans l’hexagone de +4 °C d’ici à 2100, et s’articule avec d’autres plans et stratégies nationales comme le Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), la stratégie nationale pour la mer et le littoral, la stratégie nationale biodiversité ou la stratégie nationale de gestion du risque inondation. "L’ambition de la révision de la SNGITC et de son programme d’actions est de renforcer la dimension intégratrice de la politique de gestion du trait de côte et d’encourager les territoires à concevoir des trajectoires d’adaptation à plus long terme, tout en développant des stratégies locales d’adaptation opérationnelles", soulignent les ministères.
Un plan d'actions en cinq axes
Pour accompagner les collectivités, la SNGITC, qui doit être in fine adoptée par décret, incite à un renforcement des connaissances, interroge les alternatives aux logiques défensives par le développement de solutions fondées sur la nature et invite les décideurs à repenser leurs politiques d’aménagement et de préservation de la biodiversité à travers une approche pluridisciplinaire. Le projet se présente sous la forme de 9 principes communs, de 8 recommandations stratégiques (notamment la limitation de l’urbanisation, la planification "dès à présent" de la recomposition spatiale du littoral, la construction d’un projet territorial, l’appréhension globale des territoires côtiers et du recul du trait de côte…) et d’un plan d’actions 2025-2030 organisé en cinq axes.
Le premier axe passe par "l’amélioration progressive" - et le partage - de la "connaissance des évolutions à venir de la bande côtière et de leurs conséquences physiques, sociales, économiques, environnementales, techniques et financières" afin d'"engager les territoires dans une trajectoire d’adaptation".
Scénarios locaux à élaborer sur la base de cartes
Les collectivités sont invitées à "constituer des scénarios [locaux] à différentes échelles temporelles d’évolution de la bande côtière", notamment sur la base des cartes de recul du trait de côte à trente et cent ans prévues pour les communes inscrites au décret-liste du 29 avril 2022 dont un projet de modification a été mis en consultation le 25 août (lire notre encadré ci-dessous). Ainsi, elles pourront bâtir des scénarios "de gestion et d’adaptation afin de repenser l’aménagement de leurs territoires et redessiner les équilibres qui les composent", soutient le projet de stratégie nationale. Celui-ci défend une échelle supracommunale pour porter les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, "en renforçant la gouvernance locale et la vision à long terme". La "gouvernance intercommunale ou intercommunautaire" doit ainsi permettre "l’émergence d’une solidarité entre les communes littorales et celles adjacentes". Le projet de stratégie nationale propose aussi de faire figurer des objectifs de gestion du trait de côte dans le Sraddet ou le SAR, et plus largement dans les documents de planification régionale.
Mobiliser les outils fonciers
Le document passe aussi en revue les moyens disponibles pour les collectivités pour "dépasser le stade des expérimentations et généraliser l’utilisation d’outils d’adaptation dont l’efficacité a été éprouvée". Il préconise ainsi de "renforcer l’acquisition des terrains par les collectivités, autant par l’action à l’amiable que par préemption", de "mobiliser les établissements publics fonciers, comme structures de portage foncier au service des collectivités territoriales", de "renforcer la coordination entre les acteurs fonciers sur les territoires en vue d’une planification cohérente de la recomposition spatiale" et d’"accompagner les collectivités littorales dans la mise en œuvre de PPA [projets partenariats d’aménagement] Trait de côte incluant un volet ambitieux de recomposition spatiale". Il propose aussi de déployer les solutions fondées sur la nature sur les zones littorales mais avant de les amplifier et de structurer les acteurs de la filière, les ministères entendent évaluer les apports des opérations déjà menées.
Financements à préciser
Sur la question du financement de la gestion du trait de côte, le projet de SNGITC entretient le flou alors que des sommes colossales devront être mobilisées dans les prochaines années. Dans un rapport publié en mars 2024 (lire notre article), la mission des inspections générales de l’État (IGA et IGEDD) chargée d'établir un inventaire des biens menacés par l'érosion du littoral avait recensé 1.046 locaux résidentiels et commerciaux concernés d'ici moins de cinq ans, pour une valeur de 238 millions d'euros, 8.200 locaux à l'horizon 2050 (5.200 logements et 3.000 locaux d'activités), pour une valeur d'environ 1,2 milliard d'euros et 450.000 logements et 55.000 locaux d'activités à l'horizon 2100, pour une valeur de 94 milliards d'euros.
Le projet de nouvelle SNGITC renvoie surtout aux outils existants (fonds vert, taxe Gemapi, agences de l’eau, contrats de plan État-région, financements de l’Union européenne ou de la Banque des Territoires…) dont il prône une meilleure mobilisation. Tout en précisant poursuivre les réflexions au sein du Comité national du trait de côte et l’analyse, par les ministères concernés, de ses propositions (notamment la création d’un fonds dédié au recul du trait de côte).
Pour mieux prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins, une mission d’inspection a été lancée, rappelle le document. "Elle permettra d’évaluer la valeur des biens menacés, d’identifier des sources de financements et de d’envisager d’éventuelles adaptations législatives et réglementaires."
Enfin, "en complément des dispositifs publics, l’adaptation des territoires littoraux au recul du trait de côte nécessite une mobilisation accrue des financements privés" (fonds d’investissement, banques, assurances, fondations, entreprises et industriels du littoral…), insiste le projet de SNGITC qui propose de cartographier les différents acteurs financiers susceptibles d’investir dans des projets d’adaptation.
55 communes devraient intégrer prochainement le "dispositif d’adaptation" au recul du trait de côteLe ministère de la Transition a mis en consultation jusqu’au 15 septembre un projet de décret visant à modifier le décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 qui établit la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral. Si cette liste doit être "révisée au moins tous les neuf ans", selon l’article L.321-15 du code de l’environnement, elle a déjà été révisée en 2023, puis en 2024. Le nouveau texte pourrait intégrer à la liste 55 communes volontaires dont 23 situées en Bretagne, 9 en Normandie, 7 dans les territoires d’outre-mer, 6 dans les Hauts-de-France, 4 en Occitanie, 4 en Provence-Alpes-Côte d'Azur et 2 dans les Pays de la Loire, portant à 372 le nombre de communes concernées par le dispositif. Celui-ci "met à disposition des élus locaux des outils pour anticiper le recul du trait de côte et enclencher des dynamiques locales d’adaptation", souligne la note de présentation du projet de décret. "La démarche repose sur la connaissance des phénomènes en cours sur les zones menacées par les communes, rappelle-t-elle. Cette connaissance sera matérialisée par des cartes locales de projection du recul du trait de côte aux horizons de 30 ans et 30-100 ans." Une fois intégrées dans les documents d’urbanisme, ces cartes emporteront de nouvelles dispositions d’urbanisme (principe de non-constructibilité à 30 ans et principe de constructions temporaires démontables entre 30 et 100 ans) et donneront accès aux nouveaux outils créés par la loi : droit de préemption spécifique, mobilisation des établissements publics fonciers, bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC), possibilité de déroger à certaines règles de la loi Littoral sous certaines conditions, etc. En plus de la révision du décret annoncée pour 2025, la direction de l’Eau et de la Biodiversité affirme dans la note de présentation qu'"une future révision du décret […] pourrait [également] avoir lieu courant 2026". C’est d’ailleurs dans ce cadre que "les délibérations des communes et des EPCI qui parviendront ultérieurement aux services du ministère […] pourront être prises en compte". |