Vie chère en outre-mer : les sénateurs attendent de "vrais remèdes"
A quelques semaines de la présentation du projet de loi annoncé par Manuel Valls pour lutter contre la vie chère en outre-mer, la délégation sénatoriale aux outre-mer a apporté sa pierre à l'édifice. Elle avance 24 propositions "à la fois immédiates et durables" pour sortir des crises à répétition que traversent ces territoires ultramarins depuis des années.

© Capture vidéo Sénat/ Dominique Théophile, Micheline Jacques et Viviane Artigalas
Dans quelques semaines, le ministre de l'Outre-mer Manuel Valls dévoilera son projet visant à lutter contre le vie chère en outre-mer. Un texte annoncé pour le mois de mai et qui, comme il l’a récemment expliqué, s’inspirera des recommandations du rapport des deux experts mandatés par Emmanuel Macron Pierre Égea et Frédéric Monlouis-Félicité, l’an dernier. Rapport discrètement remis au chef de l’Etat au mois de décembre. Mais le Sénat compte bien aussi peser dans la balance : la délégation sénatoriale aux outre-mer a présenté son rapport d’information, la semaine dernière, après avoir entendu une cinquantaine de personnalités. Elle propose d’agir dans trois directions : les produits du quotidien, les dépenses automobiles et le fret maritime et aérien. "Ces réformes apparaissent d’autant plus urgentes que les annonces du gouvernement américain ouvrent une véritable guerre tarifaire porteuse de menaces pour les économies ultramarines", souligne la délégation, dans un communiqué, sachant que l’administration américaine a évoqué des taxes douanières différenciées pour les territoires ultramarins, Saint-Pierre-et-Miquelon et La Réunion étant amenés à payer le prix fort (voir notre article du 4 avril).
Les rapporteurs appellent à "des solutions à la fois immédiates et durables" pour sortir des crises à répétition que traversent les territoires ultramarins depuis des années, la dernière en date étant celle qu’a connue la Martinique en 2024. "Seul un plan d'action global et structurel permettra d'apporter à la fois des réponses de court et long terme", a estimé la sénatrice (SER) des Hautes-Pyrénées Viviane Artigalas, co-auteure du rapport, en conférence de presse, le 3 avril, se gardant de toute "solution miracle".
Des "marges de progrès" pour l'octroi de mer
La réalité de la vie chère "ne souffre aucune contestation", soulignent les rapporteurs. Les écarts de prix dans l’alimentation varient de 30 à 41% en moyenne par rapport à l’Hexagone avec des records de 70 et 78% pour Saint-Pierre-et-Miquelon et la Martinique. Mais les causes sont "multiples", insiste le rapport : faible concurrence, étroitesse des marchés, barrière à l’entrée, forte dépendance aux importations, coûts d’approche (fret, frais de livraison, douanes), éloignement des pôles économiques mondiaux. "Nous avons souhaité éviter plusieurs écueils. Le premier est celui de vouloir chercher un coupable unique, une sorte de bouc émissaire facile. Le deuxième serait de courir après le mirage hexagonal", a expliqué Viviane Artigalas. Pour autant, il convient selon les auteurs de "rétablir la confiance" en apportant une "juste transparence" sur la formation des prix. Ils demandent notamment à l’Autorité de la concurrence de fournir une étude sur la concurrence outre-mer "tous les 5 ans au maximum" (contre le double aujourd’hui) et de la compléter par des études spécifiques par territoire.
Ils entendent par ailleurs s’inspirer du protocole signé le 16 octobre en Martinique pour abaisser les taxes sur la consommation. Ils proposent ainsi de rendre déductible l’octroi de mer sur les biens importés sans équivalent local et de réduire le nombre de taux, tout en abaissant le taux sur les produits de première nécessité, comme c’est déjà le cas à La Réunion et en Martinique. "Sans renoncer à des taxes indispensables au financement des services publics, à l’autonomie financière des collectivités ultramarines et à la protection des productions locales, des marges de progrès importantes existent pour réduire leurs effets pervers", estiment les sénateurs. En début d'année, une étude commandée par l'AMF et l'ACCD'OM avait conclu que l'octroi de mer ne jouait qu'à la marge sur les différences de prix avec l'Hexagone (voir notre article du 10 janvier).
Moratoire de trois ans sur les hypermarchés
Autres préconisations de la délégation : atténuer l’impact de l’éloignement (en engageant un plan de modernisation des infrastructures portuaires, aéroportuaires et douanières) et transformer le modèle économique de l’outre-mer. "L'intégration économique régionale, le développement de la production locale et le soutien aux revenus du travail sont trois axes à privilégier à long terme pour sortir par le haut de la tragédie de la vie chère", souligne le rapport.
Alors que, lors des auditions, des voix ont dénoncé les pratiques de la grande distribution et la constitution d’oligopoles (voir notre article du 15 novembre 2024), les sénateurs exigent davantage de contrôle sur les marges arrière qu’ils souhaitent par ailleurs voir plafonnées. Ils préconisent aussi un moratoire de trois ans sur les hypermarchés.
Le document qui comporte au total 24 recommandations a été envoyé au ministre. Il s’ajoute aux nombreux rapports et propositions de loi débattus ces derniers mois. "On ne peut plus se contenter de pansements, il nous faut de vrais remèdes", a martelé Micheline Jacques, sénatrice LR de Saint Barthélémy.