Zéro artificialisation nette : une proposition de loi à l’Assemblée, en contre-pied du texte voté au Sénat
La proposition de loi transpartisane déposée ce 21 mai à l’Assemblée nationale par les députées Sandrine Le Feur (EPR-Finistère) et Constance de Pélichy (Liot-Loiret), dans le sillage de leur rapport remis en avril dernier, vise à tenir le cap du zéro artificialisation nette (ZAN), en donnant aux élus locaux les moyens d’agir, notamment par des outils fiscaux adaptés.

© Sandrine Le Feur/ Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy lors de la conférence de presse de présentation de la proposition de loi « Réussir la transition foncière ».
"Proposition de loi pour réussir la transition foncière", c’est ainsi que s’intitule le texte dédié au ZAN (zéro artificialisation nette) déposé, ce 21 mai, par les députées Sandrine Le Feur (EPR-Finistère) et Constance de Pélichy (Liot-Loiret), en riposte à la PPL d’assouplissement dite "Trace" (pour trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux) - adoptée en première lecture au Sénat le 18 mars - perçue comme le "détricotage" des ambitions de la loi Climat et Résilience.
Une contre-offensive transpartisane, à laquelle se sont ralliés cinq autres députés "de tous horizons" (à l'exception toutefois de LR, LFI et RN) - Marcellin Nadeau (GDR), Stéphane Delautrette (Socialistes), Lisa Belluco (Écologistes), Jimmy Pahun (MoDem) et Anne-Cécile Violland (Horizons) -, et qui reprend dans leur totalité les propositions opérationnelles formulées par le binôme initiateur dans un rapport remis en avril dernier (voir notre article du 9 avril 2025) sur l’articulation des politiques publiques ayant un impact sur la lutte contre l’artificialisation des sols. "Tenir le cap du ZAN sans le subir": c'est le chemin de crête défendu par cette proposition de loi à travers des "outils fiscaux adaptés" et des "leviers fonciers concrets" à la main des élus locaux. Au total, le texte - non encore publié sur le site de l’Assemblée à cette heure mais divulgué par la rédaction de Contexte - contient 23 articles répartis en trois titres.
Le calendrier dans lequel il pourra s’inscrire demeure toutefois incertain. Pour voir aboutir le texte, il faudra en outre s’accorder avec le Sénat "pour trouver un chemin", concèdent les auteurs. La bataille entre les deux propositions de loi s’annonce rude… La stratégie est de ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot. Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy tablent donc également sur le futur projet de loi de finances pour 2026 pour héberger leurs propositions fiscales.
Stabiliser le cadre légal
Pas question de souscrire aux "multiples dérogations" à l’objectif ZAN portées par la proposition de loi Trace. "Depuis trois ans, les échéances ont été modifiées à deux reprises, les assouplissements se sont succédé et chaque nouvelle réforme a repoussé un peu plus la visibilité du cadre juridique", a rappelé Sandrine Le Feur, estimant que les élus avaient besoin de "stabilité juridique". Le texte proposé tient bon sur les objectifs fixés, en adaptant "à la marge" certaines des dispositions issues de la loi Climat et Résilience. Il pérennise ainsi la mesure de l'artificialisation par le décompte de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) pour une seconde décennie (2031-2041).
Le texte prévoit également une mutualisation de droit de la garantie communale sauf délibération contraire et motivée de la commune rurale éligible qui souhaite en bénéficier pour la réalisation d’un ou de plusieurs projets. Il y est aussi question de modifier la composition par défaut des conférences régionales de gouvernance et d’assouplir les modalités d’application du ZAN en Guyane et à Mayotte. Sur l’objectif intermédiaire de moins 50% de consommation foncière d’ici 2031 - seul point de "friction" entre les deux députées -, Constance de Pélichy devrait de son côté ultérieurement porter un amendement pour reporter ce premier jalon à 2034.
"Qui consomme, paye ; qui préserve est soutenu"
C’est le mantra martelé par Constance de Pélichy, car "préserver les sols, c'est rendre un service environnemental essentiel à la collectivité". Le texte envisage selon cette logique simple "une transformation profonde du cadre fiscal existant". Il prévoit entre autres de supprimer diverses exonérations fiscales contraires à l’objectif de sobriété foncière : celles de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les constructions nouvelles, de la taxe d'aménagement pour les entrepôts, les hangars, les parkings couverts, des taxes sur les plus-values des terrains devenus constructibles. Il s’agit aussi de réformer la taxe d’aménagement "en doublant le taux maximal de droit commun" (de 5 à 10%) et en créant "un taux spécifique pouvant atteindre 50% pour les secteurs urbanisés sur des espaces naturels, agricoles et forestiers". Ou encore de généraliser la taxe sur les friches commerciales, d’en créer une pour les friches industrielles et d’élargir l’assiette de la taxe sur les surfaces commerciales aux entrepôts logistiques et aires de stationnement. À l’inverse, le texte valorise les actions qui préservent les sols non artificialisés, et prévoit des exonérations renforcées de taxe foncière pour les terres agricoles soumises à un bail rural à clauses environnementales (BRE) ou à un contrat d’obligations réelles environnementales (ORE), par exemple.
D’autres mesures concernent les logements vacants s’agissant notamment de créer un crédit d’impôt des dépenses engagées pour leur réhabilitation et leur remise sur le marché dans les territoires en tension. Enfin ce volet introduit une nouvelle dotation aux communes pour la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, et supprime le critère de la longueur de voirie dans la répartition de la dotation de solidarité rurale (DSR) au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF), pour le remplacer par un critère combinant superficie et densité.
Nouveaux outils pour les maires
C’est l’objet du dernier titre du texte, dans lequel figurent un nouveau droit de préemption pour les collectivités territoriales sur les Enaf, la généralisation du sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme entraînant une consommation foncière, le recours facilité à la procédure de biens sans maître pour les successions ouvertes depuis plus de 10 ans (au lieu de 30 ans). Des dérogations d’urbanisme élargies sont par ailleurs proposées pour favoriser la "densification douce", notamment dans les zones rurales et les friches urbaines. Une ultime mesure de simplification concerne enfin, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la maison mère pour la réhabilitation d’un site pollué par une de ses filiales défaillantes.
Un attentisme qui agace au Sénat
"Il arrive un moment où le silence devient une faute et l’inaction une faute politique. Ce moment, nous y sommes !", s’agacent les sénateurs Guislain Cambier (UC-Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse), coauteurs de la proposition de loi Trace, dans une lettre ouverte adressée, ce 22 mai, au Premier ministre, François Bayrou (en téléchargement ci-dessous). Un texte, qui depuis son adoption, par la Chambre haute, "avec une écrasante majorité : 260 voix pour, 17 voix contre", soulignent-ils, et sa transmission à l’Assemblée nationale "dès le lendemain", attend depuis trois mois une fenêtre d’examen. "Les élus locaux l’attendent. Les professionnels de l’aménagement et les acteurs de la transition écologique le réclament. Mais l’Assemblée nationale reste figée, suspendue à une décision que vous semblez, Monsieur le Premier ministre, hésiter à prendre", déplorent-ils. D’autant qu’à cette attente vient désormais s’ajouter "l’inquiétude" suscitée par la proposition de loi déposée par les députées Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy, qui à leurs yeux, "ajoute du flou et du doute dans l’esprit des élus locaux, déjà confrontés à un cadre instable". "À vouloir multiplier les textes sans construire une véritable trajectoire claire et concertée, nous risquons d’aggraver la confusion", s’alarment les deux sénateurs, pressant le Premier ministre d’inscrire "sans attendre" la PPL Trace à l’ordre du jour de l’Assemblée.
› Intégration des objectifs de sobriété foncière dans les Scot : près de 70% des territoires sont en train de modifier leur documentDans le cadre de la législation actuelle, les schémas de cohérence territoriale (Scot) ont l’obligation d’intégrer les objectifs fonciers de la loi Climat et Résilience d’ici le mois de février 2027 (document approuvé et opposable) et les PLUi d’ici février 2028, les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) étant censés les avoir intégrés depuis novembre 2024 pour permettre aux territoires de décliner les objectifs territorialisés. Pour disposer d'un état des lieux de l’intégration de la trajectoire zéro artificialisation nette (ZAN) dans les Scot et des attentes des territoires concernant une potentielle modification des échéances et objectifs tels que proposés par la proposition de loi Trace adoptée au Sénat, la Fédération nationale des Scot a adressé un questionnaire à tous les territoires porteurs de Scot en France, soit 447 établissements publics couvrant 97% de la population et 86% des communes. 303 structures y ont répondu (67,8 % des porteurs de Scot). Parmi eux, 69,2% indiquent être en train de modifier leur document pour intégrer les objectifs de la loi Climat et Résilience et 17,9% ont prévu de le faire à court terme, selon le bilan publié ce 22 mai. 59,3% des Scot ont déjà débattu de leur projet d’aménagement stratégique qui intègre la trajectoire de sobriété foncière de la loi Climat. Seuls 16,8% des territoires ont mis leur travail en pause, dont la moitié en raison de la PPL Trace. La très grande majorité des documents de Scot, en cours de modification ou de révision, seront au stade de l’arrêt de projet avant les élections municipales d’avril 2026. Les collectivités ont mobilisé plus de 62,5 millions d’euros pour modifier leur stratégie territoriale de Scot et s’inscrire dans les obligations de la loi Climat & Résilience, indique encore l’enquête, réalisée avant le dépôt de la nouvelle proposition de loi portée par les députées Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy. En mars dernier, la Fédération nationale des Scot avait contesté l’objectif de la proposition de loi Trace, estimant avec d'autres acteurs locaux que les élus avaient besoin de stabilité plutôt que d’une nouvelle évolution législative, la troisième en quatre ans (lire notre article). Pour Michel Heinrich, président de la Fédération nationale des Scot, "les résultats de cette consultation inédite révèlent que le bloc local a pris conscience des enjeux de la loi Climat et Résilience. Partout les élus locaux font évoluer leur stratégie d'aménagement, notamment pour faire face aux effets du dérèglement climatique. Les députés peuvent aujourd'hui les accompagner en répondant à leurs attentes : stabilité, fiscalité, financement et ingénierie. Ce sont là les véritables priorités". |