Agences de développement : les chefs d’orchestre des territoires
Pendant deux jours, les 13 et 14 novembre 2025, les agences de développement économique de toute la France se sont réunies à Montpellier pour le huitième forum national Dev&Co, le congrès annuel du Cner. Placée sous le thème "Faire territoires, faire alliance", cette édition a mis en lumière l’importance d’un travail collectif renforcé pour répondre aux défis économiques, faire face aux transitions et renforcer l’attractivité des territoires.
© Valérie Grasset-Morel/ Jalil Benabdillah, président du Cner
"Faire réseau pour mieux faire territoire." C’est par ces mots que Jalil Benabdillah, président du Cner, la fédération des agences de développement économique, d’attractivité et d’innovation, a conclu la séquence d’ouverture du huitième forum national Dev&Co. Pour Jalil Benabdillah, également vice-président de la région Occitanie, en charge de l’économie, l’emploi, l’innovation et la réindustrialisation, une conviction s’impose : "Les solutions viennent et viendront toujours des territoires." Il appelle ainsi à une reconnaissance pleine et entière du rôle stratégique que ceux-ci jouent dans le développement économique. Encore faut-il, selon lui, que "l’État leur accorde sa confiance et aligne ses discours avec ses financements".
Un constat partagé par Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, qui estime que "l’exécutif actuel a tendance à tout recentraliser". Or, rappelle-t-il, dans une période de crise comme celle que traverse la France, "les territoires et leurs agences s’imposent comme des acteurs essentiels du développement économique du pays".
Des budgets en baisse
Indispensables aux yeux des élus, ces agences n’en sont pas moins affectées par les restrictions budgétaires des collectivités locales. Lorsque nous l’avions interrogé en juin dernier (lire notre article), le président du Cner avait estimé à 6,1% la baisse globale des budgets des agences sur un an, entre 2023 et 2024. En réalité, cette baisse moyenne s’est élevée à 9,2% avec des écarts assez importants entre les agences en fonction de leur volume.
"Il va nous falloir faire plus avec moins", constate Mathieu Dejouy, délégué général du Cner. "Nous cherchons à nous positionner auprès des pouvoirs publics pour défendre le travail des agences de développement", ajoute-t-il. Le 9 septembre 2025, le Cner a d’ailleurs publié un manifeste mettant en valeur les capacités d’ingénierie de ces structures (lire notre article). Le document rappelle qu’"une agence de développement économique n’est pas seulement un guichet d’implantation : elle constitue la porte d’entrée du territoire, facilite les démarches d’installation, apporte son expertise sur les filières locales, sert de trait d’union entre entreprises et collectivités, et assure la liaison avec les agences de l’État".
À ce jour, le réseau du Cner est composé de 131 agences : 52 à l’échelon local, 39 à l’échelon départemental, 23 à l’échelon régional et 17 à l’échelon métropolitain. Elles emploient au total 3.170 salariés, soit 24 en moyenne par agence. Leurs missions demeurent principalement centrées sur l’attractivité économique et territoriale (respectivement 68% et 64%) et l’accompagnement endogène (63%). Ces trois missions traditionnelles sont suivies par celles consistant à aider au développement de filières, l’accompagnement exogène, l’innovation et l’ingénierie territoriale notamment.
Travailler ensemble pour s’en sortir
Contraint de "faire plus avec moins", le réseau des agences s’en sortira en "jouant ‘collectif’", observe Mathieu Dejouy. Tout au long du congrès, il fut question de cette dynamique collective, parfaitement illustrée par la présence et les propos de Patrice Canayer, conseiller régional Occitanie délégué à l’attractivité, au rayonnement et aux marques et ex-entraîneur/manager du club multivictorieux Montpellier Handball. Pour lui, "le collectif n’est plus une option" au regard de la situation économique actuelle. Mais il faut lui "redonner du sens", en clarifiant le rôle de chacun.
Pour l’ancien entraîneur, les agences de développement économique doivent "disposer d’une vision stratégique large, partagée avec les élus, et, en tant qu’expertes, avoir pour rôle de leur dire la vérité". Il souligne également que leur souplesse constitue un véritable atout, leur permettant de travailler de manière extraterritoriale. "Aujourd’hui, les agences sont rattachées aux métropoles ou aux départements. Demain, il s’agira peut-être de s’appuyer davantage sur des territoires", afin d’élargir leur champ d’action tout en respectant l’identité de chacun.
L’optimisation de l’action des agences passe aussi par le regroupement de certaines d’entre elles. C’est le cas en Occitanie où Ad’Occ, l’agence de développement économique de la région va fusionner avec le comité régional du tourisme et des loisirs d’Occitanie (CRTL), d’ici le premier trimestre 2026. "Le tourisme, l’innovation et le développement économique seront ainsi bientôt regroupés au sein d’une grande agence", précise Marie-Thérèse Mercier, conseillère régionale en charge de la formation professionnelle. La présidente de la région Occitanie s’est engagée à ce qu’aucun licenciement n’accompagne cette fusion, alors même qu’Ad’Occ compte 185 salariés et le CRTL, 70. Ce projet de regroupement d’agences n’a pas empêché la création, il y a un an, aux côtés d’Ad’Occ, d’une nouvelle agence de développement et des transitions destinée à développer une culture économique plus vertueuse, dans une région particulièrement exposée aux effets du changement climatique.
Identifier la force de marché d’un territoire pour attirer les investisseurs étrangers
"Jouer collectif" est également indispensable pour attirer les investisseurs étrangers. "Les régions et les territoires ont un rôle majeur dans le développement économique du pays. Nous disposons d’un carnet d’adresses propre à chacun et parfois d’une proximité avec l’étranger", souligne Jalil Benabdillah lors de la séquence consacrée à l’international. Mais il rappelle qu’il faut aussi "savoir se rassembler sous la bannière France pour rendre nos territoires visibles à l’étranger". Ainsi, "pour les investisseurs étrangers, Airbus, c’est la France : tout le monde ne connaît pas, par exemple, la ville de Toulouse".
Au-delà des "cinq F" qui définissent les investissements étrangers (le foncier, la formation et les compétences, les financements, la fiscalité, les formalités qu’il faut rendre les moins dérangeantes possibles), Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée de Business France insiste sur "la force de marché" qui, sur un territoire, permettra de discuter avec les investisseurs. "Il est essentiel d’identifier les acteurs locaux capables de jouer un rôle d’aimant, dit-elle. Un territoire doit s’interroger sur l’offre économique qu’il est en mesure de proposer pour attirer." "Les partenariats, notamment avec les acteurs infra-régionaux sont fondamentaux", complète Jean-Marc Dessapt, directeur opérationnel attractivité et export au sein de l’agence Ad’Occ.
Une action concertée en faveur des entreprises en difficulté
Enfin, la force du collectif sur un territoire s’observe dans l’accompagnement des entreprises, surtout lorsqu’elles sont en difficulté. Les agences de développement sont mobilisées sur cet accompagnement spécifique comme nous le précisait le président du Cner en juin dernier : "Elles accompagnent les entreprises de leur naissance jusqu’à leur mort. Lorsque la situation sur le plan économique devient difficile, les agences veillent à ce que le dialogue social se déroule correctement, elles recherchent des solutions (notamment un repreneur) en lien avec les services de l’État. Si l’entreprise a besoin de se diversifier, l’agence travaille aussi sur cette question et si un plan de formation doit être mis en place, elle fait le relais avec la région. Elle peut également intervenir au niveau financier." C’est le cas de l’agence occitane Ad’Occ qui dispose d’un fonds souverain régional qui a la possibilité de prendre des parts dans des entreprises ou de garantir des prêts.
Sur les sujets de l’accompagnement des entreprises comme sur celui de l’attractivité économique, les agences travaillent main dans la main avec l’ensemble des acteurs du territoire. "C’est uniquement grâce à la force du collectif et à la volonté de chacun que l’on parvient à trouver des solutions", rappelle François Dutriez, directeur général adjoint de Nord France Invest, lors d’une table-ronde consacrée au soutien aux entreprises en difficulté. Dans les Hauts-de-France, Nord France Invest porte cette dynamique aux côtés de la région – via Hauts-de-France Entreprises -, des services de l’État et de la CCI Hauts-de-France. L’économie de la défense apparaît d’ailleurs comme "l’une des pistes pour accompagner les entreprises de l’industrie automobile".
Cette coordination étroite entre acteurs locaux, qui connaissent finement le tissu économique, est "cruciale" pour aider les entreprises souligne pour sa part Florence Bertolacci, Senior Manager au cabinet EY. Dans ce dispositif, l’agence de développement joue le rôle de "chef d’orchestre", chargée d'assurer la cohérence et le lien entre tous les partenaires.
› En 2026, changement de nom pour le Cner et cap sur l'outre-merDans quelques mois le Cner changera de nom, a annoncé son président Jalil Benabdillah, lors du huitième forum national Dev&Co. "Cette nouvelle appellation exprimera les missions de la fédération et en particulier son rôle fédérateur exercé auprès des agences de développement", précise-t-il. Après sa tournée des territoires ultramarins réalisée en septembre dernier, qui a été l'occasion d'affirmer la place stratégique des outre-mer dans la feuille de route nationale de la fédération, Jalil Benabdillah annonce que le Cner travaille à la rédaction d'une feuille de route propre à ces territoires. D'autre part, un forum du Cner se tiendra en outre-mer en 2026 ou 2027. |