Agences de développement : "Ma priorité est de rendre le réseau fort et cohérent" (Jalil Benabdillah, président du Cner)

Élu le 5 mars 2025 pour trois ans à la présidence du Cner, la fédération des agences de développement économique, d’attractivité et d’innovation, Jalil Benabdillah livre à Localtis les grands axes de sa feuille de route qui sera détaillée à l’occasion du forum annuel du Cner qui aura lieu à Montpellier, les 13 et 14 novembre 2025.

Localtis - Dans un contexte budgétaire difficile pour les collectivités, comment se portent les agences de développement économique, d’attractivité et d’innovation ?

Jalil Benabdillah - Toutes les agences sont plus ou moins affectées par les restrictions budgétaires des collectivités locales, selon leur volume. Certaines fonctionnent en effet avec moins de 100.000 euros quand la plus importante, l’Agence Ad’Occ (Occitanie), dont je suis le vice-président, a un budget de 25 millions d'euros. D’après les dernières estimations du Cner, la baisse globale des budgets atteint 6,1%, soit -220.750 euros en moyenne, et nous constatons une baisse maximale de 28% pour une agence locale. La baisse la plus importante en euros (3,9 millions d'euros), est celle subie par Choose Paris Région, l’agence d’attractivité internationale de la région Île-de-France. Enfin, une agence départementale employant 15 salariés a dû être dissoute (Essonne Développement). 

À la suite de mon élection, j’ai réuni en séminaire toutes les agences adhérentes du Cner - environ 80 sur les 126 agences françaises -, qui nous ont fait part de leurs inquiétudes. Certaines envisagent de ne pas remplacer les fins de contrats et les départs à la retraite en 2025, ou même de licencier. Et la plupart des agences vont réduire leurs actions, y compris à l’international.

Je n’en veux pas aux collectivités. Elles traversent de fortes turbulences et doivent faire des choix. En tant que chef d’entreprise dans l’industrie [Jalil Benabdillah est président du Groupe SDTech], je sais bien qu’en temps de crise, les dirigeants sont tentés de réduire les budgets de communication, de marketing ou de R&D. Mais c’est une décision dangereuse pour l’avenir. Faire des agences de développement une variable d’ajustement l’est aussi.

J’ai d’ailleurs mis en garde les pouvoirs publics : ils ne peuvent pas se permettre de se priver d’un réseau d’acteurs qui connaissent parfaitement le tissu économique, politique et associatif local, à un moment où le pays passe par des incertitudes économiques fortes mais connaît également un début d’effectivité dans la réindustrialisation grâce aux actions engagées sur les territoires. Le jour de mon élection, Laurent Saint-Martin, ministre chargé du commerce extérieur, a déclaré : "Plus que jamais, c’est l’heure du Cner et des territoires." C’est cette force collective capable de porter la voix des territoires que l’on doit reconnaître au Cner aujourd’hui.

De quelle manière le Cner peut-il aider les agences en difficulté ?

La priorité est de ne pas les perdre et qu’elles se sentent toujours appartenir à notre communauté. Nous réfléchissons à des solutions pour les agences qui ne peuvent pas payer leur cotisation.

Quels sont les grands axes de votre feuille de route 2025-2028 ?

Ma priorité est de rendre le réseau fort et cohérent. Ce qui unit les agences et fonde leur légitimité, c’est leur connaissance très fine des territoires en métropole et en outre-mer. En tant que fédération, le Cner joue un rôle fédérateur, forme et fait monter en compétences les agences. C’est la raison pour laquelle j’ai nommé un vice-président en charge de la modernisation du réseau [Alexandre Vantadour]. Il sera notamment chargé de l’information et de la formation des agences, et d’examiner l’incidence que pourrait avoir l’intelligence artificielle sur leur fonctionnement.

Le Cner doit devenir la caisse de résonance de l’expertise multiforme des agences, en valorisant leur travail. Cela lui permettra de devenir un interlocuteur lisible, audible et respecté des pouvoirs publics, et donc incontournable. Pour ce faire, nous devons être capables de produire du contenu, d’animer des écosystèmes, de créer des synergies entre les acteurs pour plus d’efficacité, moins de redondances et pour porter des projets ambitieux.

Je souhaite donner une identité forte au Cner pour que toutes les agences qui en sont membres se sentent appartenir à la même famille, et pour nous faire connaître des agences qui ne font pas encore partie du réseau.

Vous dites que l’acceptabilité d’un projet industriel sur un territoire est un sujet insuffisamment pris en compte par les acteurs économiques. Pouvez-vous préciser ?

Aujourd’hui, on arrive à mesurer l’effet des aides aux entreprises, l’attractivité touristique ou industrielle, la disponibilité du foncier, etc., mais on a encore du mal à évaluer le niveau d’acceptabilité d’un projet d’implantation industrielle sur un territoire. Laurent Saint-Martin l’a dit lui-même lors de notre assemblée générale du 5 mars, lorsqu’il fait la promotion de la destination France auprès des investisseurs étrangers, il reste très prudent sur les territoires vers lesquels orienter tel ou tel projet parce qu’il y a toujours un risque de rejet au niveau local : par un maire qui ne veut pas délivrer d’autorisation, par un schéma de cohérence territoriale (Scot), par un plan local d’urbanisme (PLU), par une association de défense de l’environnement, etc. Quand on rencontre une entreprise étrangère qui voulait s’implanter dans un département et qui a échoué, cela signifie que le lien entre le national et le local n’a pas été fait. Ce rôle de facilitateur revient par nature aux agences de développement. Seuls leurs agents sont en mesure d’évaluer l’acceptabilité d’un projet industriel car ils connaissent tous les acteurs du territoire, son histoire et sa culture. 

Quel rôle jouent les agences de développement auprès des entreprises en difficulté ?

Elles sont bien évidemment mobilisées sur cette question. Elles accompagnent les entreprises de leur naissance jusqu’à leur mort. Lorsque la situation sur le plan économique devient difficile, les agences veillent à ce que le dialogue social se déroule correctement, elles recherchent des solutions (notamment un repreneur) en lien avec les services de l’État. Si l’entreprise a besoin de se diversifier, l’agence travaille aussi sur cette question et si un plan de formation doit être mis en place, elle fait le relais avec la région. Elle peut également intervenir au niveau financier. L’agence Ad’Occ dispose ainsi d’un fonds souverain régional doté de 400 millions d'euros qui a la possibilité de prendre des parts dans des entreprises ou de garantir des prêts. Enfin, elles travaillent en lien étroit avec l’État qui intervient sur le chômage partiel notamment.

La fédération fête ses 73 ans cette année. Est-ce l’occasion d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire ?

Notre plus ancienne agence, l’Adira, l’agence de développement d’Alsace, va même fêter ses 75 ans dans quelques jours ! Un des temps forts de 2025 sera l’organisation du forum annuel du Cner les 13 et 14 novembre, à Montpellier. Toutes les agences du réseau seront présentes, quelques ministres, Carole Delga, la présidente du conseil régional d’Occitanie, le maire de Montpellier... Ce sera l’occasion de montrer l’ambition du Cner et de détailler sa nouvelle feuille de route. En parallèle, nous avons engagé une série de transformations comme la refonte de l’identité visuelle du Cner et le lancement d’un nouveau site internet.

› Le parcours de Jalil Benabdillah 

Ingénieur diplômé de l’École des mines d’Alès (Gard) et docteur en génie des procédés et génie particulaire, Jalil Benabdillah a fondé en 1997 SDTech, une entreprise spécialisée dans la micronisation, l’analyse et le traitement à façon des poudres fines et ultrafines.

Depuis 2021, il est vice-président de la région Occitanie en charge de l’économie, l’emploi, l’innovation et la réindustrialisation et vice-président de l’agence de développement économique Ad’Occ. Il était vice-président du Cner avant de succéder à François Rebsamen à sa présidence. Il a été également président de Leader Occitanie, un réseau fédérant plus de 200 entreprises en croissance maîtrisée.

Jalil Benabdillah a été par ailleurs conseiller municipal délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, au mécénat et aux partenariats de la ville d’Alès, et premier vice-président d’Alès Agglomération en charge du développement économique et des relations internationales. Il était également élu au pôle métropolitain Nîmes-Alès.

 

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