Agences de l'eau : dialogue de sourds entre sénateurs et préfets coordonnateurs de bassin
L'audition au Sénat, ce 23 octobre, de trois préfets coordonnateurs de bassin sur la politique des agences de l'eau a tourné au dialogue de sourds. En cause, une divergence de diagnostic sur les aides attribuées par ces dernières aux communes isolées après l'adoption de la loi du 11 avril assouplissant la gestion des compétences eau et assainissement.
© Captures vidéo Sénat / Bernard Delcros, Marc Guillaume, Jacques Witkowski et Gérard Lahellec
S'il fallait encore une preuve que la question de l'eau constitue plus que jamais une source de tensions, l'audition de trois préfets coordonnateurs de bassin, ce 23 octobre, par la mission d'information sénatoriale portant sur les compétences des agences de l'eau, qui a oscillé entre le dialogue de sourds et la passe d'armes, n'aura pas manqué de l'apporter.
Prise en compte de la loi assouplissant la gestion des compétences eau et assainissement
Une fois encore, c'est la question de l'exercice des compétences eau et assainissement qui agite les esprits. Car l'adoption de la loi du 11 avril dernier mettant fin au transfert obligatoire de ces dernières aux communautés de communes (lire notre article) n'a en rien vidé la querelle. En l'espèce, c'est son application qui était au cœur des débats. "L'objet central" de l'audition, "c'est comment les agences de l'eau ont adapté leur dispositif pour tenir compte de l'évolution de la loi", explique en préambule le sénateur Bernard Delcros (Cantal, UC). Sous-entendu, au bénéfice des communes "isolées", naguère considérées comme quasi pestiférées.
Fleuve tranquille ?
En apparence, l'audition prenait en amont des allures de long fleuve tranquille. "Nous n'avons pas eu besoin, à la suite de la loi, de modifier notre programme puisqu'il n'y a pas de conditionnalité [des aides de l'agence Seine-Normandie] liée au type de structures", (r)assure d'emblée le préfet de la région Île-de-France, Marc Guillaume. L'ancien secrétaire général du gouvernement dépeint par ailleurs un tableau quasi idyllique de la situation, louant tant la gouvernance de l'eau en général – "un modèle, une réussite en tout cas" – que "son" agence de l'eau en particulier – "un opérateur, je ne sais pas s'il faut dire modèle, mais vraiment très bien structuré".
Dans un registre moins dithyrambique, ses collègues confortent l'analyse. "Nous n'avons pas de politique, au niveau de l'agence [Rhin-Meuse], d'attribution des aides en fonction de la typologie juridique de qui demande l'aide", déclare Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est. "[Nos aides] ne sont pas conditionnées au transfert de la compétence eau et assainissement", fait écho Bertrand Gaume, préfet de la région Hauts-de-France, relevant que "le seuil défini par le programme [de l'agence de l'eau Artois-Picardie] est globalement très bas, à 10.000 euros, ce qui montre une volonté d'accompagner tout le monde".
Bouillon ("Regardez-moi dans les yeux")
Mais la démonstration n'emporte pas la conviction des sénateurs. "Les remontées que l'on a sur le terrain nous montrent que les choses ne sont pas aussi fluides", commence sobrement Bernard Delcros. "Il nous remonte quand même des informations selon lesquelles l'acceptabilité d'un dossier est conditionnée au transfert ou pas de la compétence par la commune. Vous me dites que ça n'existe pas, je me permets de dire qu'il faut conforter vos informations", appuie Gérard Lahellec (Côtes-d'Armor, CRCE-K). "Je pense qu'il y a plus qu'une table qui nous sépare ; il y a une certaine vision de la réalité. Parce que celle que vous décrivez n'est pas du tout celle dont témoignent les élus sur terrain. Soit vous êtes mal informés, soit on nous raconte des mensonges. Je pencherais quand même pour la première [hypothèse]", se fait plus offensif encore le sénateur Cédric Vial (Savoie, LR). Et d'ajouter : "Nous considérons que dans l'immense majorité des cas, chiffres à l'appui, témoignages à l'appui, les communes qui sont dites isolées, qui gèrent en régie leur service d'eau, sont exclues des dispositifs d'aide de la plupart des agences de l'eau. Même si ce n'est pas vrai dans le règlement, c'est vrai sur le terrain."
Remous
Une charge à laquelle Marc Guillaume répond à son tour vertement, après avoir indiqué "travailler sur les questions de l'eau chaque jour que fait Dieu" : "Vous ne disposez visiblement pas des informations exactes dont nous disposons. Je vous ai dit que nous avions attribué 334 millions [d'euros] d'aides aux communes isolées [sur la période 2019-2024, soit 13% du total des aides attribuées]. Donc on ne peut pas dire qu'il n'y en a pas." Interrogé par ailleurs sur l'éventuelle nécessité de modifier la circulaire du 4 juillet 2025 (lire notre article) disposant que "l'échelle intercommunale apparaît comme la plus à même de porter une politique ambitieuse en matière d'assainissement", et invitant en conséquence préfets et agences de l'eau à "inciter à la mise en place, dans les meilleurs délais, d'une maîtrise d'ouvrage à l'échelle la plus adaptée", l'ancien secrétaire général de l'Élysée d'objecter : "Moi qui ai eu l'avantage de faire un peu de droit avant d'être préfet […], je la lis comme permettant de donner des aides aux communes qui ont conservé la compétence, et c'est bien ce que je fais. Donc elle ne me pose pas de difficulté".
Ne pas confondre avis et aval
Tentant d'apaiser les débats, Bernard Delcros met néanmoins en avant la nécessité d'éclairer des élus "perdus" et "sans visibilité". Et de tirer argument de l'une des réponses apportées par écrit par le préfet d'Île-de-France indiquant que "les communes n'ayant pas transféré leur compétence eau potable associent l'EPCI pertinent et recueillent son avis en amont du projet pour être éligibles aux aides de l'agence". "Les maires, sur le terrain, ils ont bien vu la loi : ce n'est plus l'interco qui décide. Et là, on leur dit, attention, pour avoir l'aide, il faut l'avis de l'intercommunalité. C'est incompréhensible", s'émeut-il. "Le recueil de l'avis, ça veut dire demander [à l'EPCI] ce qu'il en pense. Cela ne conditionne en rien [l'aide] et cela nous semble plutôt de bonne politique", instruit Marc Guillaume. "Peut-être que la formulation n'est pas la bonne", concède-t-il toutefois (en se gardant par ailleurs de l'exégèse du "associent"). Une chose, en revanche, semble sûre : ce dialogue de sourds aura apporté de l'eau au moulin du président du comité de bassin Loire-Bretagne, Thierry Burlot, qui déclarait naguère : "Le monde de l'eau, plus personne n'y comprend rien" (lire notre article du 14 mars).