Artificialisation des sols : près de 35 milliards d’euros d’aides publiques auraient un impact, selon un rapport d’inspections

Daté de mai 2025 mais rendu public ce 18 juillet, un rapport issu d’une mission menée conjointement par l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) chiffre à 34,7 milliards d’euros les aides publiques susceptibles d’avoir un impact sur l’artificialisation des sols, via plus de 300 instruments de soutien.

Intitulé "Moyens publics et pratiques dommageables à la biodiversité", le rapport issu d’une mission menée conjointement par l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), daté de mai 2025 mais rendu public le 18 juillet seulement, répond à une demande issue de la stratégie nationale de biodiversité visant à analyser les effets potentiellement dommageables à la biodiversité des subventions publiques pour les principaux secteurs économiques (agriculture, forêts, pêche et transport maritimes, énergie et aménagement du territoire).

La construction de bâtiments et d'infrastructures de transport, "principale pression sur la biodiversité"

"En matière d'aménagement, l'artificialisation des sols, principale pression sur la biodiversité, provient essentiellement de la construction de logements, de bâtiments et lieux destinés à l’activité économique et aux infrastructures de transport", rappelle le rapport. Dans le détail, la première destination de la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF) est l’habitat - entre 62% et 66% de la consommation annuelle d’ENAF sur la période 2009-2023 (66 % entre 2022 et 2023) ; la deuxième destination est l’activité économique - entre 21% et 26% de la consommation annuelle d’ENAF sur la période 2009-2023 (24% entre 2022 et 2023) ; la consommation d’ENAF liée à la construction de routes est la troisième destination la plus importante - de 4% à 7% sur la période 2009-2023.

Plus de 300 instruments de soutiens publics recensés

Selon une méthodologie expliquée en annexe du rapport et qui s’appuie sur les travaux de l’Observatoire national de la biodiversité, la mission a recensé plus de 300 instruments de soutiens publics susceptibles d’avoir un impact en matière d’artificialisation des sols pour un montant de 34,7 milliards d’euros. Parmi ces aides, elle a identifié dans le projet de loi de finances pour 2024 : 1,3 milliard d’euros d’investissements annuels réalisés grâce aux financements issus du Feder ; 20,6 milliards d’euros de dépenses budgétaires dans le cadre des politiques de logement et d’aménagement du territoire, dont 1,9 milliard d’euros en lien avec l’accès au logement et la construction (programmes 135 et 145 du budget) ; 2,1 milliards d’euros au titre de la politique immobilière de l’État ; 10,2 milliards d’euros pour le soutien à la construction et à l’entretien d’infrastructures ; 6,5 milliards d’euros de dépenses relatives aux interventions de l’État et des collectivités pour l’aménagement du territoire. Elle a en outre recensé 12,8 milliards d’euros de dépenses fiscales susceptibles de favoriser des activités de construction et d’aménagement du territoire, qui se décomposent en 10,2 milliards d’euros liés aux politiques publiques de l’immobilier et de l’urbanisme (programme 135) ou au soutien à l’épargne facilitant l’acquisition d’un logement (programme 145) ; 713 millions d’euros ayant trait à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et à la contribution foncière des entreprises (CFE) ; un peu moins de 1,9 milliard d’euros relatif à l’action de l’État en Corse et en outre-mer.

Rôle des opérateurs publics et des collectivités

À ces dépenses de l’État, s’ajoutent celles des opérateurs publics - notamment, en matière de transport, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, la Société des grands projets, Voies navigables de France et les établissements publics fonciers -, des agences telles que l’ANCT, par exemple, au titre de ses programmes d’appui aux collectivités et de son activité d’aménagement et de restructuration des espaces d’activité, commerciaux et artisanaux, et d’autres structures publiques qui contribuent à l’action en matière d’urbanisme et d’habitat comme la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), le Fonds national d’aide à la pierre (Fnap), la Caisse des dépôts et consignations (pour l’octroi de prêts à taux bonifiés dans le domaine de l’habitat et de la rénovation énergétique. 

La mission souligne également le rôle des collectivités "dont les soutiens sont méconnus". Pour ces acteurs, elle recommande d’analyser leurs actions "sous l’angle de l’impact sur la biodiversité", notamment, pour les collectivités dans le cadre des budgets verts généralisés à partir de l’exercice 2025 pour les dépenses d’investissement.

"Approfondissements prioritaires" suggérés sur 2,7 milliards d'euros de dépenses

Sur les 34,7 milliards d’euros précités, le rapport identifie 2,7 milliards d’euros de dépenses (soit 8% du total) "nécessitant des approfondissements prioritaires au regard des pratiques dommageables à la biodiversité via leur impact sur l’artificialisation des sols" (dont 1,5 milliard d’euros au titre de la construction d’infrastructures et 0,9 milliard d’euros au titre des dépenses fiscales de soutien à la politique de l’habitat et du logement) et 9,5 milliards d’euros de financements (27 % du total) "dont l’impact sur la biodiversité n’a pu être déterminé, par manque de données" et qui "devrait faire l’objet d’un suivi". Ce dernier nécessite la mise en place "d’indicateurs et de méthodologies transparentes au niveau de tous les acteurs de l’aménagement du territoire", recommandent les inspections, qui voient là un sujet pour une future mission inter-inspections portant sur l’artificialisation, la mise en œuvre de la politique du ZAN (zéro artificialisation nette) et ses évolutions.

"Changement de paradigme" sur le système de financement des collectivités

Les rapporteurs estiment que l’application de l’objectif ZAN et "les chantiers sur la politique du logement doivent être des opportunités pour réduire l’artificialisation des sols dans le cadre de l’aménagement du territoire". Mais ils préconisent aussi "un changement de paradigme de l’aménagement et de l’urbanisme, qui appelle des changements profonds dans les manières de financer les collectivités alors que le système de financement de [ces dernières] n’a pas été conçu dans un cadre de sobriété foncière". Il envisage ainsi un conditionnement des dotations de l’État et une "révision de[s] fiscalités pour mettre en place un principe réservant pour tout ou partie les abattements et exonérations fiscales aux opérations non artificialisantes". 

Les auteurs citent les critères de répartition de la dotation générale de fonctionnement (DGF) qui "ne prennent pas explicitement en compte les enjeux de limitation de l’artificialisation, voire peuvent être perçus comme antagonistes". À titre d’exemple, la mission relève que le montant de la DGF pour les départements prend en compte des critères démographiques tels que la population du département, majorée d’un habitant par résidence secondaire, ou encore la longueur de voirie classée dans le domaine public départemental. "Il pourrait être opportun d’étudier une adaptation des modalités de financement des dépenses de fonctionnement des collectivités dans le cadre d’une mission inter-inspections portant sur la mise en œuvre du ZAN", avance-t-elle, suggérant que ces modalités de prise en compte de l’artificialisation puissent être étendues à certaines recettes fiscales. Ainsi, "sans qu’il ne soit nécessaire de l’augmenter", souligne-t-elle, "pourrait être étudiée l’opportunité de confier le produit des taxes sur les terrains rendus constructibles aux acteurs de la sobriété foncière et de la renaturation (établissements publics fonciers compétents et agences de l’eau)".

Evolutions sur les dispositifs de financement du logement

Parmi les soutiens à destination des particuliers ou des acteurs économiques, les inspections préconisent aussi des évolutions  pour le prêt à taux zéro et le prêt à taux zéro renforcé, qui financent des opérations de construction à hauteur de 35%, les dispositifs d’investissement locatif de type Pinel, Scellier, Censi-Bouvard, Perissol et Robien, qui couvrent 20% du coût des opérations de construction, le Fnap qui finance des constructions sur des sols non-artificialisés à hauteur de 20% ou encore les dispositifs d’épargne (livrets A, livrets de développement durable…) et d’épargne logement qui financent des constructions sur des sols non-artificialisés à hauteur respectivement de 5% et 20%. 

Mais "les implications de telles évolutions en matière d’accès aux logements, notamment en raison d’une éventuelle limitation de logements éligibles, n’ont pu être étudiées par la mission", indique cette dernière qui invite à engager une "une étude approfondie" sur le sujet. Cette étude "serait, par ailleurs, l’occasion d’analyser conjointement l’efficacité des dispositifs de lutte contre la vacance des logements". "En complément, une réflexion apparaît nécessaire sur la protection des espaces fonciers non bâtis, via une réforme de la fiscalité du foncier, qui veillerait à rééquilibrer le rendement foncier de ces espaces, pour lutter contre l’incitation à l’artificialisation", suggère encore la mission.

 

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