La stratégie biodiversité 2030 "entre dans l’atmosphère"

Après un périple mouvementé, la stratégie nationale biodiversité 2030 est enfin arrivée à bon port. En la présentant, la Première ministre a souligné l’importance des moyens qui lui seront consacrés, mais aussi la nécessité de "s’appuyer sur les territoires" et de mobiliser tous les concitoyens pour enrayer le déclin de la biodiversité d’abord, la restaurer ensuite. Entre l’urgence de la situation et la nécessité de ne pas "braquer", reste à trouver le rythme de croisière.

Après une première mise en orbite ratée et moult péripéties, la stratégie nationale pour la biodiversité 2030, recarénée (voir notre article du 24 juillet) avant d’être soumise à consultation (voir notre article du 19 octobre), vient enfin "de faire son entrée dans l’atmosphère". L’expression est du ministre Christophe Béchu, qui en présentait les grandes lignes ce 27 novembre avec sa collègue Sarah El Haïry devant différentes parties prenantes, après une intervention liminaire de la Première ministre. 

In fine, l’architecture de cette seconde mouture de la "SNB 2030" – bâtie "en lien étroit avec les collectivités" (parmi d’autres), assure Élisabeth Borne – n’a guère évolué depuis sa présentation estivale. Elle reste articulée autour de 4 axes et les 39 mesures initiales qui les composaient demeurent inchangées. Seule une 40mesure, visant à "maintenir et restaurer les prairies permanentes", fait son apparition. Pour être efficace, cette stratégie a "besoin de trois éléments", explique la Première ministre : des moyens ; de s’appuyer sur les territoires et de la mobilisation de tous les concitoyens. 

Des moyens "à la hauteur des enjeux"

Les moyens, la Première ministre l’assure : "Ils seront au rendez-vous". "Près d’un milliard d’euros" seront consacrés à la biodiversité en 2024, chiffre-t-elle déjà. "C’est sans précédent", insiste-t-elle. "On peut toujours faire plus. Le fait est que nous n’avons jamais fait autant", appuie Christophe Béchu. Il détaille le calcul : 475 millions d’euros consacrés à la préservation du milieu aquatique par les agences de l’eau, 264 millions d’euros de crédits directs dans le cadre de la stratégie et 400 millions d’euros du fonds vert consacrés à la renaturation et au recyclage des friches. "C’est dire que les 6 millions d’euros du loto de la biodiversité ne peuvent pas être l’arbre qui cache la forêt des moyens", défend-il encore. Il attire également l’attention sur les "141 emplois supplémentaires" prévus en 2024. S’il concède qu’"on part de loin" et qu’il "va falloir qu’on continue à le faire", le ministre fait valoir que "sur les 20 dernières années, on a réduit les effectifs pendant 18 ans. On les a stabilisés pendant une année. Pour la première fois, on les augmente".

Ces moyens ont globalement été bien accueillis par les différentes parties prenantes, sans faire l’unanimité. Nathalie Bazire, secrétaire confédérale de la CGT, dénonce ainsi "des collectivités territoriales asphyxiées" et un projet de loi de finances 2024 "pas à la hauteur des enjeux", tout en reconnaissant que "l’argent public n’est pas un puits sans fond". "Il y a 1,2 milliard d’euros de plus qu’il y a un an dans le budget des collectivités territoriales. L’argument qui consiste à dire qu’elles n’auraient jamais été aussi peu dotées est juste factuellement faux", rétorque Christophe Béchu, sans plus de précision. "Les efforts du gouvernement sont importants", reconnait pour sa part Jean-François Vigier, représentant l’Association des maires de France. Il prévient toutefois que "cela ne suffira pas face à l’urgence". Il plaide en conséquence pour "une dette environnementale" ainsi que pour "une fiscalité locale de résidence dédiée à la transition écologique", trouvant "pas normal que les propriétaires soient les seuls à financer" (voir notre article du 22 novembre).

Les moyens, ce sont encore ceux qui ne doivent plus être alloués aux activités qui affectent la biodiversité, note enfin Christophe Béchu. À cette fin, il annonce qu’un groupe de travail commun aux ministères de l’Ecologie, de l’Agriculture et de l’Economie sera lancé au début de l’année prochaine, avec pour objectif de diviser leurs montants par deux.

S’appuyer sur les territoires

"La transition écologique doit s’ancrer dans le quotidien des Français et dans les projets menés par les collectivités", prévient encore Élisabeth Borne, en soulignant que "c’est précisément l’un des objectifs des COP territoriales". Ces COP "ne doivent pas être que des effets d’annonce, mais des lieux de prise de décisions", insiste pour sa part Nathalie Bazire. Si leur déploiement a déjà commencé (voir notre article du 15 novembre), leur composition semble à préciser. Fabien Guimbretière, secrétaire national de la CFDT, insiste ainsi pour que les organisations syndicales en soient bien membres, "alors que la transition écologique se fera dans les entreprises, où les salariés peuvent être un frein". Vice-président du Medef, Fabrice Le Saché souhaite de même que l’organisation patronale, "forte de son implantation territoriale", en soit "partie prenante", soulignant par ailleurs "qu’on ne peut pas laisser certains de nos territoires sans perspectives économiques". 

Parmi les actions prévues pour accompagner les collectivités – l’une des 40 mesures de la stratégie –, le ministre a choisi de présenter celle visant à doter l’ensemble des communes d’un atlas de la biodiversité communale d’ici 2030 – "sans toutefois rendre obligatoires ses démarches", précise le document. Commentant l’objectif, Maud Lelièvre, présidente du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), salue l’approche de "s’inscrire dans la continuité" retenue par les ministres. Elle relève par ailleurs que la France est, avec cette stratégie, "le premier pays à tenir compte des engagements pris lors de la COP de Kunming-Montréal. C’est toujours facile de recycler des plans, c’est plus difficile de les mettre en ligne avec les engagements internationaux", déclare-t-elle.

Notons que la stratégie entend également déployer le programme "Territoires engagés pour la nature" (TEN – voir notre article du 5 octobre 2020), avec un objectif de 5.000 collectivités "reconnues TEN" d’ici 2030. Ou encore que Christophe Béchu a annoncé le prochain lancement d’un "réseau des villes arborées", estimant "que l’on se focalise aujourd’hui trop sur la fleur".

Mobiliser tous les citoyens, mais à quel rythme ?

En matière de mobilisation citoyenne, Élisabeth Borne compte en particulier s’appuyer sur une jeunesse qui "regorge d’idées et veut s’investir". Elle entend proposer d’ici 2030 10.000 services civiques "Jeunes et nature" (500 aujourd’hui), dispositif lancé en 2022, et ouvrir 20.000 aires éducatives (1.000 aujourd’hui). Soit "1 école ou collège sur 3", précise Sarah El Haïry. Mais à peine plus que les 18.000 annoncées par l’ancien ministre Pap N’Diaye en juin dernier (voir notre article du 23 juin). Reste que les débats suivant la présentation ont souligné les divergences persistantes sur le rythme à suivre. 

D’un côté, les "ambitieux", qui tel Allain Bougrain-Dubourg déplore notamment l’absence de mesures concrètes de réduction des budgets néfastes à la biodiversité ou de "sanctuarisation des zones de protection forte". En l’espèce, Sarah El Haïry précise toutefois que sur ces zones, et "sans vouloir mettre la nature sous cloche", "on veut d’une certaine manière une inversion de la charge de la preuve", avec "une liste d’activités, de base, plutôt interdites", interdiction "qu’on pourrait lever si l’on prouve que l’impact est extrêmement restreint".

De l’autre, les "prudents", comme la sénatrice Françoise Gatel, autoproclamée "lanceuse d’alerte des faiseurs", qui défend des "objectifs ambitieux, mais atteignables". Ou comme Jean-François Vigier qui, plaidant pour une "indispensable horizontalité des décisions", insiste sur la nécessité de laisser aux collectivités "des moments de concertation avec les concitoyens". Déplorant au passage que "des préfets fassent un peu de zèle" pour la remise des "plans EnR" avant le 31 décembre, alors qu’Agnès Pannier-Runacher a elle-même lâché un peu de lest (voir notre article du 21 novembre), il prend l’exemple des travaux d’entretien des forêts par l’ONF, de plus en plus contestés. Et de prévenir : "L’éclaircissement est en train de devenir un sujet". Il ne croyait sans doute pas si bien dire, puisque Sarah El Haïry a annoncé dans le même temps "l’instauration de l’encadrement des coupes rases".

Plus multiplié par moins égale moins

Entre les deux, le gouvernement essaye de trouver un chemin de crête : "La radicalité des résultats sans la brutalité des mesures", fixe comme principe Élisabeth Borne. "L’urgence à agir, elle est partout", relevait d’emblée Christophe Béchu. Avant d’avouer que "si c’est très facile de définir une ambition, la difficulté est de la mettre en œuvre". "Ce qui s’est passé au Parlement européen doit nous alerter", prévient-il, évoquant le vote sur le règlement sur la restauration de la nature (voir notre article du 12 juillet) marqué par "l’alliance de ceux qui en veulent toujours plus avec ceux qui en veulent moins". 

"Pendant longtemps, l’Europe a été le moteur de nos politiques environnementales. Hélas, il est peut-être en train de se gripper", observe Bernard Chevassus-au-Louis, président de l’association Humanisme et diversité, tout en se réjouissant que le ministre ait indiqué que "la France allait prendre le relai". Pour être précis, relevons que la Commission européenne reste toujours aussi offensive en matière environnementale. Mais il est indéniable que les députés européens qui ne partagent pas l’engouement de cette dernière se font plus actifs (voir par exemple notre article du 10 novembre).