Habitat partagé : vers une réponse au bien-vieillir en logement social
L'habitat partagé sénior offre une solution à la perte d'autonomie et à l'isolement. Ces projets répondent au défi démographique, aux fragilités économiques et à la dégradation de l’image des EHPAD.

© Adobestock - Rido
Le vieillissement : une réalité démographique à anticiper sans délai
Le vieillissement de la population française n’est plus une projection théorique, c’est une réalité tangible. Dans seulement cinq ans, en 2030, la part des personnes âgées de 75 ans et plus aura augmenté de plus de 50 % par rapport à aujourd’hui. Et cette tendance s’inscrit dans la durée : les plus de 85 ans, actuellement moins nombreux, connaîtront à leur tour une croissance importante à partir de cette même période.
Parallèlement, la natalité baisse, entraînant un solde démographique négatif de la population française. Cette mutation interroge la capacité de la société à adapter ses réponses sociales, économiques et institutionnelles…
Des conséquences systémiques pour les politiques publiques
Le vieillissement à grande échelle impacte directement l’ensemble des systèmes de solidarité nationale. Les régimes de retraite, l’assurance maladie, les dispositifs liés à la perte d’autonomie ou encore les capacités d’hébergement des séniors seront mis à rude épreuve. Plus largement, ce changement démographique pose la question de la soutenabilité des finances publiques.
Nous avons une population qui est assez variée dans ses attentes, il faut que les solutions de logement que nous lui proposons répondent à cette diversité de situation. Nous devons veiller à ne pas proposer un modèle unique, qui certes a des vertus, mais qui ne répond pas à l’intégralité des besoins.
L’habitat partagé : une solution humaine pour répondre au vieillissement isolé
Face à la situation démographique urgente, les séniors expriment une volonté affirmée : celle de vieillir à domicile. Selon les études, 85 % des personnes âgées souhaitent rester chez elles aussi longtemps que possible. Une aspiration qui se heurte aux limites du logement individuel : isolement, insécurité, logement inadapté…
Une stratégie d’autonomie ne passe pas que par de la compensation monétaire, c’est une stratégie d’accompagnement qui permet aux personnes de vivre comme elles le souhaitent le plus longtemps possible et de leur permettre d’exercer leur processus décisionnel.
Un entre-deux entre domicile et établissement
C’est dans cet interstice qu’émerge l’habitat partagé. Pensé comme une solution à mi-chemin entre le domicile individuel et l’établissement médico-social, il permet de préserver l’intimité tout en favorisant le lien social. Porté par la loi Elan de 2018, ce modèle s’adresse aux personnes âgées ou en situation de handicap, et repose sur un socle structurant : un habitat regroupé, des espaces privés, des lieux communs et surtout un projet de vie sociale et partagée.
Le cadre de vie de l'habitat partagé offre aux résidents de l’autonomie dans un environnement sécurisant où l'entraide, la convivialité et la solidarité sont au cœur du fonctionnement quotidien.
En recréant du lien social et en offrant un accompagnement adapté, l’habitat partagé est un véritable outil de prévention de la dépendance. Il permet de retarder ou de limiter le recours à des solutions plus médicalisées, souvent coûteuses.
Habitat partagé senior : comment lever les freins au déploiement massif ?
L’habitat partagé en logement social reste encore peu développé. Pourtant, la demande est bien là, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, où le foncier est disponible et où les attentes des retraités sont nombreuses.
Accélérer le développement de l’habitat partagé nécessite un pilotage stratégique. Les départements sont les mieux placés pour fédérer l’ensemble des acteurs – collectivités, bailleurs, État – et porter politiquement et budgétairement cette ambition.
Sécuriser l’environnement réglementaire
Pour rassurer les investisseurs et pérenniser les projets, la priorité est d’abord de clarifier et de stabiliser le cadre réglementaire. En particulier, la pérennité de l’AVP (Aide à la vie partagée), centrale pour garantir la viabilité économique des projets. Au-delà de la réglementation, c’est une planification territoriale coordonnée qui doit être mise en place, intégrant des incitations à l’innovation pour permettre l’émergence de solutions locales adaptées.
Miser sur les partenariats et l’acculturation
Sur le terrain, les partenariats entre les Conseils départementaux et les opérateurs locaux sont décisifs pour assurer la viabilité des projets. La volonté des maires, notamment dans le cadre de projets d’urbanisme, est aussi un facteur déterminant pour intégrer l’habitat inclusif dans une dynamique de mixité sociale.
La vraie difficulté, c’est la pluralité des acteurs. Aujourd’hui, pour faire converger des futurs résidents, des bailleurs sociaux, des collectivités qui vont organiser le service, c’est extrêmement complexe. Il faut qu’il y ait une manifestation d’intérêt plurielle qui n'est pas naturelle et doit donc se construire.
Pour généraliser l'adoption de l’habitat inclusif, une acculturation large des acteurs publics comme des citoyens est indispensable. L’enjeu est de faire évoluer les représentations et de mieux faire connaître ses bénéfices. Et pour cause, l’habitat inclusif constitue un levier structurant pour repenser un modèle d’habitat social plus résilient, performant et ouvert à la mixité sociale et intergénérationnelle.
La Banque des Territoires : un acteur engagé pour le bien-vieillir
Le Groupe Caisse des Dépôts s’engage depuis plusieurs années dans le champ du bien-vieillir, considérant cette problématique comme un enjeu majeur de cohésion sociale et territoriale. Son action s’inscrit dans une stratégie globale, couvrant l’ensemble du parcours résidentiel des personnes âgées.
De fait, l’ambition de la Banque des Territoires repose sur trois piliers complémentaires :
- le maintien à domicile ;
- le parcours résidentiel sénior ;
- l’accueil en établissement médico-social.
Pour soutenir cette stratégie, elle mobilise plusieurs leviers d’intervention : investissements directs, prêts à long terme et action en tant qu’opérateur via ses filiales.
Des moyens financiers à la hauteur des enjeux
En 2023, plus de 600 millions d’euros ont été prêtés au secteur médico-social, qu’il soit public, privé non lucratif ou privé. Aujourd’hui, 130 millions d’euros sont spécifiquement consacrés à l’habitat inclusif, sur un total de 370 millions d’euros investis dans le portefeuille « bien-vieillir ». Cela représente 230 habitats inclusifs et plus de 3 500 personnes âgées concernées.
La Banque des Territoires investit également dans des jeunes entreprises servicielles comme ViagéVie, Les Trois Colonnes, Merci Julie, Ma Boussole Aidant ou encore Neosilver. Elle est aussi opératrice via des filiales comme Emeis (hébergeur en EHPAD), CDC Habitat (logement seniors et intergénérationnel) et La Poste santé autonomie.
À horizon 2029, la Banque des Territoires et CNP Assurances projettent 1 milliard d’euros d’investissements et 3 milliards d’euros de prêts. De quoi structurer durablement la filière du bien-vieillir et soutenir l’essaimage de projets innovants sur l’ensemble du territoire.
L’exemple CDC Habitat et Domani : massifier l’habitat partagé dans le parc social
Après avoir validé la pertinence du modèle sur le marché privé, CDC Habitat ambitionne désormais de déployer l’habitat partagé à plus grande échelle dans le logement social. Pour relever ce défi, l’organisme s’est associé à Domani, un jeune opérateur spécialisé dans l’habitat inclusif pour les personnes âgées.
Ce partenariat stratégique vise à répondre à la complexité de développement de ce type d’habitat, en conjuguant les expertises immobilières, sociales et territoriales. Domani s’impose comme un acteur clé, reconnu pour son approche globale de l’accompagnement des séniors, articulée autour d’un projet de vie sociale, et non simplement d’une offre immobilière.
La Banque des Territoires, également investisseur, soutient pleinement cette dynamique. C’est un projet concret pour ancrer l’habitat inclusif dans une offre accessible, pensée pour les publics les plus modestes.
Le projet mis en œuvre à Montfermeil illustre les résultats de cette alliance. Il propose une solution d’habitat partagé avec un coût global d’environ 1 200 € par mois pour le résident, incluant à la fois le loyer (en logement social) et les services. Grâce au financement par l’Aide à la vie partagée (AVP) et au crédit d’impôt, le reste à charge est limité à 400 à 440 €, soit un niveau bien inférieur aux solutions traditionnelles.
Une institution, ce n’est pas être chez soi, et l'habitat partagé est une forme alternative où on peut se sentir chez soi comme un vrai domicile avec des espaces privés et également en partageant des services et une aide des espaces communs et donc retrouver dans une collectivité tout en préservant son autonomie.
Pour que ce type de modèle puisse se généraliser, plusieurs prérequis doivent être réunis :
- la mise à disposition de référentiels fiables ;
- la construction d’outils de financement adaptés ;
- et surtout, l’appui de partenaires locaux solides et durables.
Ces conditions permettent de rassurer les acteurs et d’inscrire ces projets dans une trajectoire de long terme. Dans cette perspective, la Caisse des Dépôts se positionne comme un acteur engagé, prêt à accompagner et sécuriser le développement de ces initiatives sur l’ensemble du territoire.
Ces enjeux, au croisement du vieillissement démographique, de l’inclusion sociale et de l’accès au logement, ont été au cœur des échanges lors d’une rencontre organisée par le Hub des Territoires, en partenariat avec Domani, le 12 juin dernier. Intitulée « Habitat partagé senior : le logement social au service du bien-vieillir ? », cette matinée, que vous pouvez revivre à travers le replay, a permis de croiser les regards d’acteurs engagés et de mettre en lumière les leviers pour faire de l’habitat partagé une solution intégrée aux politiques publiques.

© Banque des Territoires
Adrien de Crombrugghe
Directeur des investissements Grand Âge & Autonomie
Diplômé d’un Master en droit et d’un Master spécialisé ingénierie fiscale et financière de ESCP Europe, Adrien de Crombrugghe a rejoint la Caisse des Dépôts en 2011. D’abord chargé de mission à la Direction des Services Bancaires, puis membre de l’Inspection générale, il développe en 2017 le premier portefeuille à impact social dédié au « Care », structurant 40 participations pour 100 M€. Il prend la tête de la Direction des investissements Grand Âge & Autonomie début 2025.
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