CFP 2028-2034 : Ursula von der Leyen renverse la table
Ursula von der Leyen a présenté, ce 16 juillet, sa proposition de cadre financier pluriannuel pour la prochaine programmation, d'un montant de près de 2.000 milliards d'euros. Sa structure est profondément remaniée, s'articulant pour l'essentiel autour de "plans de partenariat nationaux et régionaux", adossés à des réformes, intégrant notamment les deux politiques historiques que sont la PAC et la politique de cohésion. S'ouvrent désormais deux ans de négociations, qui promettent une nouvelle fois d'être particulièrement âpres.

© European Union, 2025/ Ursula von der Leyen
Une main de fer dans un gant de fer. Alors qu'en coulisses certains voulaient croire qu'Ursula von der Leyen avait lâché du lest ces derniers jours pour éviter la censure – une motion contre la Commission a été rejetée le 10 juillet dernier (175 pour, 360 contre, 18 abstentions) –, il n'en a rien été, ou si peu.
La présidente de la Commission européenne n'a pas reculé. Son projet de budget pluriannuel 2028-2034 (CFP), dévoilé à la presse ce 16 juillet à 16h30, renverse bien la table, même si des ajustements ont été opérés jusqu'à la dernière minute. À tel point que la plupart de ses commissaires n'auront découvert la version finale que quelques instants seulement avant de rentrer en réunion pour l'adopter. "Nous avons travaillé sans relâche. Le travail s'est poursuivi jusqu'aux toutes premières heures de la matinée", justifie l'Allemande. Et l'hyperprésidente d'ajouter : "Chacun des commissaires a eu l'occasion de s'entretenir avec moi", tout en concédant : "Je ne peux pas dire évidemment que tous les commissaires étaient satisfaits des montants présentés."
Un CFP à la hausse…
Première surprise, le montant du budget. Il s'élève à près de 1.763,1 milliards d'euros (plafond d'engagements, au prix de 2025), quand le précédent était fixé à 1.074,3 milliards d'euros (prix de 2018, soit environ 1.270 milliards d'euros en prix courants) – hors plan de relance NextGeneration EU toutefois. Il correspond à 1,26% du revenu national brut (RNB) de l'UE, un taux en augmentation (environ 1,07% précédemment). La Commission communique même sur un budget de 2.000 milliards d'euros (1.984,9 milliards d'euros exactement), en retenant un déflateur de 2% (les chiffres ci-après intègrent ce dernier).
… à relativiser…
La hausse de ce budget – "le plus ambitieux jamais porté", vante la présidente – doit néanmoins être relativisée. D'une part, elle doit notamment permettre d'absorber le remboursement – qui débutera en 2028 et se prolongera jusqu'en 2058 – du principal de l'emprunt contracté pour ledit plan de relance. La Commission propose sur la prochaine programmation un montant fixe annuel pour rembourser intérêts et principal de 24 milliards d'euros (soit 168 milliards d'euros sur la période). Les corapporteurs du Parlement européen sur le CFP soulignent ainsi que ce remboursement représente à lui seul 0,11% du RNB de l'UE.
En outre, "une part importante du CFP ne sera ni préprogrammée, ni planifiée" et ce, "de sorte que les besoins émergents pourront être traités rapidement et efficacement", précise la Commission. En conférence de presse, Ursula von der Leyen confirme que ce nouveau "mécanisme dédié aux crises, avec une puissance de feu de presque 400 milliards d'euros de prêts aux États membres […], n'est pas un budget qui doit être utilisé en temps normaux. Il ne pourra être débloqué qu'en situation de crise. Évidemment tout cela doit être financé".
"Quelle que soit la présentation qu’on en fait, ce qui nous est proposé revient à geler les investissements et les dépenses en termes réels, ce à quoi s’ajoute le remboursement de l’emprunt NextGenerationEU. C'est le statu quo, alors que la Commission a toujours indiqué que ce n’était pas envisageable", se sont sans délai insurgé les corapporteurs du Parlement sur le CFP Siegfried Mureşan (PPE, Roumanie) et Carla Tavares (S&D, Portugal) et ceux sur les ressources propres, Sandra Gómez López (S&D, Espagne) et Danuše Nerudová (PPE, République tchèque).
… financé par de nouvelles ressources propres
Ce budget à la hausse, mais donc passablement grevé, devrait pour autant être financé par "des contributions des États membres constantes", insiste la présidente de la Commission. La différence serait alimentée par cinq nouvelles ressources propres de l'UE, provenant :
- de l'actuel système d'échange de quotas d'émission (ETS ou SEQE 1), en captant 30% de ses recettes – 9,6 milliards d'euros annuels sont attendus, au prix de 2025 ;
- du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM ou MACF), en captant 75% de ses recettes – 1,4 milliard d'euros annuels attendus ;
- d'une taxe de 2 euros par kg (ajusté annuellement sur l'inflation) sur les déchets électriques et électroniques non collectés – 15 milliards d'euros annuels attendus ;
- de droits d'accise sur le tabac (15% des revenus générés par le taux d'accise minimum fixé par chaque État membre sur ces produits) – 11,2 milliards d'euros annuels attendus ;
- d'un impôt sur les grandes entreprises (CORE) "opérant et vendant dans l'UE" et dont le chiffre d'affaires annuel net est supérieur à 100 millions d'euros – 6,8 milliards d'euros annuels attendus. Avec "d'autres éléments du train de mesures sur les ressources propres", la Commission escompte des recettes annuelles "d'environ 58,5 milliards d'euros" au prix de 2025.
Feu l'autonomie des politique agricole commune et de cohésion
C'est toutefois dans l'architecture du CFP que réside le principal bouleversement – on passe de 52 à 16 programmes au total. Comme redouté, des "plans de partenariat nationaux et régionaux" font leur apparition, intégrant "toutes les mesures de soutien – aux travailleurs, aux agriculteurs, aux pêcheurs, aux villes ou zones rurales, aux régions", et donc singulièrement les deux politiques historiques de l'UE, la politique agricole commune et la politique de cohésion, ainsi que "les investissements en faveur du modèle européen", dixit la présidente. Frontex, Europol et d'autres agences sont également incluses dans cette nouvelle rubrique tentaculaire baptisée "Cohésion économique, sociale et territoriale, agriculture, prospérité et sécurité rurales et maritimes", dotée au total de 1.062,22 milliards d'euros (compris l'enveloppe dédiée au remboursement de NextGenerationEU). L'enveloppe attribuée aux 27 pots communs nationaux sera de 865 milliards d'euros. 300 milliards seront fléchés vers le soutien aux revenus des agriculteurs, 2 milliards vers la pêche et 280 milliards consacrés aux soutiens des régions "les moins développées", précise Ursula von der Leyen. Autre contrainte, les dépenses sociales devront représenter au moins 14% des dépenses de ces plans. "Nous triplons également les investissements pour la gestion de la migration et des frontières" ainsi que "le "fonds de solidarité", indique encore l'Allemande.
Les régions au centre des plans de partenariat nationaux et régionaux ?
Ces plans, qui devront être conçus "sur la base de priorités européennes" et adossés à des réformes (le décaissement des fonds sera fonction de l'atteinte des objectifs convenus), "seront conçus et mis en œuvre en étroite collaboration entre la Commission, les États membres, les régions, les communautés locales et toutes les autres parties prenantes concernées", assure la Commission. "Les régions seront au centre de ces plans", martèle-t-elle encore. Ces derniers "seront faits sur mesure, parce que nos régions ont chacune des besoins différents et sont les mieux placées pour voir comment mettre en œuvre ces priorités européennes sur leur territoire", appuie également Ursula von der Leyen. La Commission insiste sur la simplification induite, avec le passage de "près de 540 documents de programmation à 27 plans nationaux et régionaux et à un plan Interreg, avec un large champ d'éligibilité et un ensemble unique de règles".
Un fonds européen pour la compétitivité
Comme prévu (lire notre article du 29 janvier), un fonds européen pour la compétitivité est par ailleurs créé, consolidant 14 instruments de financement existants. Il concentrera son soutien à la "défense et de l'espace" (131 milliards d'euros), la transition propre/décarbonation, la transition numérique et enfin la santé/les biotech, l'agriculture et le bioéconomie. Réponse aux préconisations des rapports Draghi et Letta, il sera la pièce maitresse de la deuxième rubrique "Compétitivité, prospérité et sécurité", dotée de 589,6 milliards d'euros. Cette dernière comprend également le fonds Horizon Europe (175 milliards d'euros), le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (qui verrait sa dotation pour le transport doublée, pour une dotation totale de 81,4 milliards d'euros, dont 18 milliards pour la mobilité militaire), la préparation et la réaction aux crises (avec un mécanisme de protection civile renforcé, incluant les urgences sanitaires, doté de 10,7 milliards d'euros), le programme Erasmus+ (40,8 milliards) ou encore un nouveau programme "AgoraEU" de soutien à la culture, aux médias et aux organisations de la sécurité civile (environ 20 milliards d'euros).
Une troisième rubrique, "l'Europe globale", ou "l'Europe dans le monde", sera dotée de 215,2 milliards d'euros, comprend la politique étrangère et de sécurité commune "et les pays et territoires d'outre-mer (y compris le Groenland)". Enfin, une quatrième rubrique dédiée aux dépenses de l'administration, égales à 117,88 milliards d'euros. S'y ajoutent encore plusieurs instruments spéciaux, dont une réserve pour l'Ukraine de 100 milliards d'euros et l'instrument de flexibilité précédemment évoqué.
Un budget qui semble faire l'unanimité… contre lui
Deux années de négociations s'ouvrent désormais. Elles promettent d'être tendues, tant les oppositions au projet sont fortes. Si la Commission répond sans doute aux récentes préconisations de l'OCDE, qui estime que les pays de l'UE doivent "redéfinir la priorité des postes budgétaires existants, en ciblant mieux les dépenses de cohésion vers les régions moins développées et en rationalisant les dépenses de la politique agricole commune", ces dernières sont loin d'être partagées.
"Les lignes rouges fixées par le Parlement européen ont été ignorées. Dans sa présente forme, nous ne pouvons donner un feu vert au CFP", a immédiatement déclaré Siegfried Mureșan. "Ce budget est inacceptable", estime la délégation française du groupe S&D de ce même Parlement. Elle déplore "un budget inconséquent face à l'Histoire", "de renoncement et de capitulation" et demande à la Commission de le revoir "de fond en comble". Par ailleurs, dans une résolution commune, si les leaders de groupes PPE, S&D, Renew et Verts du Parlement se félicitent que la Commission ait écouté ce dernier "en s'éloignant partiellement de plusieurs de ses plans précédents", ils critiquent vivement les soi-disant "plans de partenariat nationaux et régionaux" tels que présentés, qui peuvent en l'état "entraver la dimension européenne". Et de prévenir qu'ils "n'accepteront aucune renationalisation des politiques phares de l'Union".
Une revendication évidemment partagée par les partisans du maintien de la politique de cohésion. La présidente du Comité européen des régions appelle ainsi "à modifier en profondeur" une proposition qui n'apporte "aucune garantie que toutes les régions bénéficieront des investissements de cohésion" et ne comporte "aucune disposition juridique" définissant la participation des régions à la gestion des fonds. "La priorité de la Commission semble être d'augmenter la part du budget de l'UE sous son contrôle direct tout en laissant à l'État membre une flexibilité totale sur les autres fonds", dénonce-t-elle encore.
Même colère chez les partisans de la PAC, qui serait par ailleurs réformée. La députée européenne Carmen Crespo Diaz (PPE), rapporteure du comité Agriculture au Parlement, appelle "à renforcer, et non à affaiblir la PAC", dénonçant "sa dilution et son démantèlement". Également à la tête du comité Pêche, elle déplore de même une "réduction du budget Pêche aussi injustifiée qu'alarmante. Non seulement le Feampa est dilué dans un instrument générique, mais il ne lui est alloué que 2 milliards d'euros, un tiers de ce qu'il reçoit actuellement". "La PAC devient une sous-politique, sous-dotée financièrement", observe le syndicat Jeunes Agriculteurs, qui accuse la Commission de "brader notre souveraineté agricole et alimentaire" et l'invite à "revoir sa copie". Le syndicat salue néanmoins "certaines intentions positives" portées par la réforme, comme "les annonces en faveur de l'installation des jeunes" ("starter pack" et majoration des aides surfaciques"), "la volonté de concentrer les aides sur les agriculteurs actifs et productifs", "les annonces en matière de dégressivité et de plafonnement des aides" ou encore "la prise en compte des enjeux climatiques, avec de nouveaux outils pour accompagner l'adaptation des exploitations".
Si la plupart espèrent voir le budget singulièrement revalorisé, il n'en va pas de même chez certains États membres. "Nous ne voyons pas la nécessité de nouvelles ressources propres et certainement pas de taxes européennes […]. Nous préférerions que l’accent soit mis sur la redéfinition des priorités au sein du budget, ce qui est toujours difficile, mais c’est ce qu’il faut faire dans un budget national, même lorsque l’on doit relever de nouveaux défis", a ainsi récemment déclaré la ministre des Affaires européennes suédoise, Jessica Rosencrantz, à Politico.