Congrès des maires – Education dehors : "C'est bon pour la santé mentale, la santé physique, les apprentissages et la coopération"
Dans le cadre du 107e Congrès des maires qui se tient du 18 au 20 novembre 2025, le fondateur de la Fabrique des Communes pédagogiques et la maire de Poitiers ont défendu les bienfaits de l'éducation dehors, entre enjeux sanitaires, climat scolaire, continuité éducative et aménagement du territoire. Alors que la pratique se diffuse dans plus de 5.000 communes, les collectivités sont appelées à structurer des politiques locales ambitieuses.
© Aurélie Roudaut/ Léonore Moncond'huy, maire de Poitiers et Benjamin Gentils, cofondateur de la Fabrique des Communes pédagogiques
Longtemps perçue comme marginale, l'éducation dehors prend peu à peu son essor. Plus de 5.000 écoles, collèges et lycées organisent aujourd'hui régulièrement des séances hors les murs. C'est ce qui a d'abord été rappelé lors de l'Agora consacrée à l'Education dehors mardi 18 novembre 2025 lors du 107e Congrès des maires. Cette montée en puissance, amorcée dès 2020, lorsque la sortie du confinement a conduit de nombreux enseignants à repenser leurs pratiques, est désormais poussée par une proposition de loi transpartisane qui entend rendre effective la classe dehors (notre article du 14 mai 2025). "C'est bon pour la santé mentale, pour la santé physique, pour les apprentissages et pour la coopération", a rappelé Léonore Moncond'huy, maire de Poitiers, l'une des collectivités pionnières en la matière. L'éducation dehors apparaît ainsi désormais comme une réponse cohérente aux enjeux sanitaires (sédentarité, pollution intérieure), sociaux (reliance, climat scolaire) et climatiques (résilience des écoles).
L'air intérieur est 400 fois plus pollué que l'air extérieur
Les arguments avancés relèvent d'abord de la santé publique : les enfants français passent plus de 4 heures par jour devant les écrans, tandis que l'air intérieur est "400 fois plus pollué" que l'air extérieur, a rappelé Benjamin Gentils l'un des fondateurs de la Fabrique des Communes pédagogiques.
Sur le plan pédagogique, sortir régulièrement améliore la concentration, facilite l'expression des élèves les plus timides et favorise la coopération. De "petites situations qui n'arrivent pas dedans", comme devoir s'entraider sous la pluie, contribuent à transformer le climat scolaire, illustrent les deux intervenants.
Pour les collectivités, l'enjeu est également territorial : l'attractivité résidentielle se joue aussi sur la qualité des écoles et la place accordée à la nature dans le quotidien des enfants. Plusieurs communes affirment que ces politiques ont contribué à attirer de jeunes familles, témoignent les deux animateurs de la séquence.
Une politique publique globale, au-delà de l'école
Benjamin Gentils comme Léonore Moncond'huy l'ont unanimement souligné : la classe dehors ne se réduit pas à quelques sorties ponctuelles. Elle suppose une stratégie éducative englobant tous les temps de l'enfant : scolaire, périscolaire, loisirs et vacances. À Poitiers, l'"éducation nature" constitue l'un des trois piliers du projet éducatif global, construit avec l'ensemble de la communauté éducative, y compris avec les enfants.
La maire de Poitiers décrit plusieurs leviers : aménagement des cours d'école, en veillant à éviter les dispositifs "vitrines" trop contrôlés ; mobilisation des services espaces verts pour adapter les pratiques et ouvrir des espaces ; formation des enseignants mais aussi des animateurs et Atsem, "indispensable pour accompagner un changement culturel profond" ; partenariats locaux, avec associations, tiers-lieux, Ehpad, IME, jardins privés ou lieux naturels.
Certaines communes expérimentent des dispositifs simples mais structurants : conventions d'occupation de terrains privés, inventaires des espaces verts disponibles, ou encore "chariots nature" équipés pour faciliter les sorties.
Des réticences liées à une vision "hygiéniste"
L'adhésion de tous les acteurs ne va pourtant pas de soi. Les élus ont évoqué les réticences liées à une vision "hygiéniste" de l'école renforcée par la crise sanitaire où "les écoles ressembleraient plus à des hôpitaux". Le principal frein identifié ? "Les enfants vont salir les écoles en rentrant". Plusieurs collectivités ont répondu par des solutions très concrètes : généralisation des chaussons, installation d'armoires à bottes ou combinaisons pour les crèches afin de faciliter les sorties même des plus jeunes. La maire de Poitiers incite également à "sortir de la culture du risque" et apprendre plutôt à "regarder ce que les enfants ont à gagner à sortir".
La participation des enfants est au cœur de la démarche et s'inscrit dans les obligations de la Convention internationale des droits de l'enfant, notamment sur le droit d'expression et la continuité éducative en situation de crise (lire encadré). Les intervenants ont rappelé que cette dimension juridique oblige les communes à penser autrement les apprentissages et l'aménagement du territoire, à l'heure où les fermetures d'écoles liées aux aléas climatiques se multiplient (notre article du 30 juin 2025).
Alerte sur la baisse des classes découvertes
Les intervenants signalent et regrettent une chose : le déclin des classes découvertes. Leur recul fragilise tout un écosystème – centres d'accueil, associations, patrimoine éducatif – qui peine déjà à survivre, alerte Léonore Moncond'huy. "C'est une disparition à petit bruit mais en partie irréversible", a estimé la maire de Poitiers, appelant les communes à maintenir ou renforcer leurs aides financières, même modestes, pour permettre aux enfants de vivre ces expériences structurantes.
Pour certaines villes plus volontaristes, d'autres options existent. Certaines créent par exemple leurs propres centres immersifs dédiés à l'éducation nature, à l'image du projet de "bivouac municipal" développé à Poitiers pour accueillir classes et séjours familiaux en pleine nature.
La classe dehors, c'est aussi "une école de la démocratie"
Les intervenants ont insisté sur le fait que l'éducation dehors ne se décrète pas, elle se construit dans la durée, par petits pas, en mobilisant l'ensemble des acteurs locaux. De la végétalisation des cours à la création de rituels locaux (fêtes des arbres, parcours nature, ateliers intergénérationnels), chaque commune peut s'emparer du sujet à son échelle. Une politique éducative tournée vers le dehors contribue ainsi à renforcer la résilience, la cohésion sociale et l'attractivité territoriale. "La classe dehors, c'est aussi une école de la démocratie", a résumé Benjamin Gentils, rappelant qu'elle permet de retisser du lien entre enfants, habitants et espace public.
Un socle juridique de la classe dehorsL’essor de l’éducation dehors s’appuie sur un cadre juridique clair. Les intervenants ont rappelé que la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ratifiée par la France en 1990, impose de garantir la continuité éducative (article 28), y compris en cas de crises climatiques ou sanitaires. Les épisodes récents — confinement, fermetures d’écoles à Mayotte, inondations ayant touché près de 200 établissements — montrent que cette obligation n’est pas toujours assurée, alors que la classe dehors peut en constituer un levier opérationnel . La CIDE consacre également le droit des enfants à participer aux décisions les concernant (article 12). Cette exigence concerne directement les projets d’aménagement des cours, l’usage des espaces publics ou les mobilités scolaires. Les élus ont rappelé que penser la ville "à hauteur d’enfant" relève désormais d’un impératif juridique autant que pédagogique. Pour accompagner ces pratiques, les collectivités disposent d’outils simples : conventions d’occupation de terrains privés, partenariats avec tiers-lieux, Ehpad ou IME, ou encore appui sur les démarches E3D et les aires éducatives financées par l’OFB (jusqu’à 3.000 euros) . Au-delà des textes, les élus ont souligné la nécessité de dépasser une culture hygiéniste et sécuritaire qui freine encore les pratiques. La CIDE rappelle que l’intérêt de l’enfant prime : explorer, manipuler, vivre dehors fait pleinement partie de ses droits éducatifs. |