Congrès des maires – Quand le changement climatique replace l'aménagement du territoire au cœur des enjeux

L’inévitabilité et l’intensification des catastrophes climatiques, qui impliquent des changements coûteux et difficiles à mettre en œuvre pour les communes, replacent l'aménagement du territoire au cœur des enjeux. Pour l'heure, en première ligne et se sachant in fine "seuls responsables", les maires se mobilisent, mais déplorent un État défaillant, quand il n'est pas bloquant, et pointent une absence de solidarité. Si elle appelle à "ne pas opposer les strates", la géographe Magali Reghezza-Zit prévient : "Tout ne peut pas reposer uniquement sur les élus locaux. Sinon, on n'en aura plus."

"Ça va arriver. On le sait." Lors du forum organisé ce 19 novembre au Congrès de l'Association des maires de France (AMF) pour "préparer nos communes aux prochains événements climatiques", Patrick Ollier, maire de Rueil (Hauts-de-Seine), président de la métropole du Grand Paris et président de l’EPTB Seine Grands Lacs, se fait fataliste. À dire vrai, "c’est déjà là", comme l’attestent les témoignages successifs des maires de Trèbes (Aude), Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-Orientales), Saffré (Loire-Atlantique), Auray (Morbihan)… Autant de territoires durement touchés par des catastrophes naturelles ces dernières années. Et qui le seront encore, sans doute, à l'avenir. 

Le courage du changement

"Il faut avoir le courage d’accepter la réalité", conclut Éric Menassi, maire de Trèbes. Et d’en tirer les conséquences. Pour lui, "il faut prendre le parti de changer les choses, et avoir le courage de faire des travaux qui ne seront pas compris par tous". "Abandonner des solutions qui ne sont plus valables", lui fait écho la géographe Magali Reghezza-Zit. Mais "c’est très difficile, très cher, très long", prévient Éric Menassi. Souvent "plus cher que de reconstruire à l’identique", témoigne Claire Masson, maire d’Auray. Pour le maire de Trèbes, "le plus difficile" reste toutefois "d’aller au contact de la population". On le sait, tourner le dos au "On a toujours fait comme cela" n’est pas aisé. Magali Reghezza-Zit se veut pour autant positive : "Il n'y a pas d'opposition au changement s'il est juste et qu'il y a adéquation entre les paroles et les actes" chez ceux qui le promeuvent, estime-t-elle, non sans relever que "les plus frappés par le changement climatique sont ceux qui émettent le moins [de gaz à effet de serre] et ont le moins de moyens pour changer".

État défaillant…

Pour Éric Menassi, "le plus grand danger" auquel on est exposé, "c’est l’ignorance. La science est notre meilleure alliée". D’où l’importance, insiste-t-il, "de faire de la pédagogie". D'autant plus que, côté État, "la communication est très mauvaise", juge Christian Rapha, maire de Saint-Pierre, en Martinique, qu'il qualifie de "commune la plus dangereuse de France". Il déplore ainsi "la publication chaque semaine, comme un supplice chinois", de bulletins alarmistes sur la forte activité sismique que connait actuellement la montagne Pelée, au risque "de perturber le potentiel développement de sa commune, où le taux de pauvreté est trois plus important que la moyenne française. Le volcan devrait être un booster", à l'image de La Soufrière dans la Guadeloupe voisine, plaide-t-il. 

Une communication anxiogène d'autant plus mal ressentie par l'élu qu'il juge par ailleurs l'action de l'État en matière de surveillance, de prévention et de gestion du risque volcanique défaillante. "On est en dessous de tout actuellement", tonne le maire, qui déplore "une culture volcanique quasiment au niveau zéro" et souligne qu'il commande lui-même des études à des experts pour les faire remonter à l'État.

… voire bloquant

"L'État a transféré l'aménagement des territoires et la gestion des risques aux élus", mais sans leur donner les moyens d'y faire face et en les privant de l'autonomie nécessaire, constate amèrement Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule. Pis, l'État serait même selon lui à la source d'un "blocage systémique" en la matière. L'élu dénonce singulièrement la "multitudes des intervenants" de l'État déconcentré avec lesquels il doit composer. "Un des problèmes majeurs", juge-t-il. Une difficulté par ailleurs également pointée le même jour par le ministre de la Ville et du Logement, Vincent Jeanbrun : "Que l'État parle d'une seule voix", implorait ce dernier lors du forum du congrès consacré à la maîtrise foncière

Réglementation inadaptée

S'y ajoute, note Sébastien Leroy, une "réglementation qui n'est pas adaptée à la gestion de crise", surtout avec "ses injonctions contradictoires" qui compliquent encore la tâche. Et de mentionner en particulier "des normes environnementales qui vont encore s'aggraver" et qui rendent, notamment, "les grands ouvrages [de protection] très durs à obtenir". Si Magali Reghezza-Zit le rejoint pour que "les normes ne soient pas des obstacles, mais des aides", elle met toutefois deux bémols à cette volonté de simplification. D'une part, elle souligne que "simplifier n'est pas assouplir", considérant que "la meilleure adaptation au changement climatique, c'est la réussite de son atténuation". D'autre part, elle relativise les bienfaits d'une "simplification à complexité constante" que les élus ne connaissent que trop. 

Maires seuls responsables…

Pour Patrick Ollier, la difficulté tient notamment au fait que cette "législation s'applique partout de la même manière sur tout le territoire, alors que les situations sont différentes". "Aucun copier-coller ne peut marcher", appuie Sébastien Leroy. Aux maires donc, de se débrouiller et de conduire "leur propre projet de territoire", invite Magali Reghezza-Zit, lequel doit, prévient-elle, "intégrer les enjeux de sécurité civile, industriels, géostratégiques…". D'autant qu'à la fin, "les maires sont toujours les seuls redevables et responsables – politiquement, moralement et judiciairement", avertit une fois encore Sébastien Leroy (lire notre article du 22 novembre 2024). Et de prendre exemple des "vigilances orange qui conduisent aujourd'hui à évacuer des quartiers entiers, bâtis dans des zones à risque à une époque où c'est l'État qui délivrait les permis de construire…". 

… au risque de les perdre

Si Magali Reghezza-Zit convient qu'"on ne fait pas la même chose à Trèbes, Mandelieu ou à Auray", elle souligne qu'il existe "une communauté de problèmes quand même". Face à laquelle "tout ne peut pas reposer uniquement sur les élus locaux. Sinon, on n'en aura plus", alerte-t-elle. Si elle plaide "pour arrêter d'opposer les strates", en rappelant que chacune d'elle a son rôle – en théorie, à l'Union européenne et l'État la stratégie, aux régions et aux intercommunalités la tactique, et aux communes la conduite de l'action –, elle n'en concède pas moins qu'aujourd'hui les élus locaux doivent souvent se charger "de la stratégie et la tactique" (quand l'UE et l'État ont par trop tendance à s'ingérer dans la conduite de l'action) pour relever le défi. 

Un défi jamais relevé jusqu'ici

Une gageure, la géographe rappelant "qu'aucun être humain n'a eu à s'adapter à un changement climatique aussi rapide". Et de prévenir que "l'été exceptionnel que nous avons connu en 2022 sera normal en 2050 et froid en 2100". Elle invite pour autant à ne pas baisser les bras : "2050, c'est dans 25 ans, soit l'horizon d'un projet d'aménagement de territoire. Nous avons donc 25 ans pour nous préparer à des événements climatiques extrêmes – chauds, secs, humides… – plus intenses, plus précoces, plus tardifs". Mais aussi plus instables, "avec une plus grande variabilité : à un hiver très pluvieux pourra suivre un hiver très sec". Le tout générant "des risques en cascade", prenant l'exemple des risques sanitaires induits par le moustique-tigre. Enfin, il faudra encore relever le défi "avec des ressources – l'eau, l'énergie, les matériaux… – en moins", met-elle aussi en exergue, en invitant au passage les élus "à ne pas oublier, dans les diagnostics de vulnérabilité, les diagnostics de ressources". 

"Le foncier, l'éléphant dans la pièce"

Parmi ces précieuses ressources, le foncier – "primordial", estime Éric Menassi – est au cœur des préoccupations. "C'est la mère de toutes les batailles", juge Edmond Jorda, maire de Sainte-Marie-la-Mer (66) ; une expression qui fait décidément florès sur ce congrès (lire notre article du 18 novembre). "C'est l'éléphant au milieu de la place", alerte Magali Reghezza-Zit. Et de mettre en évidence "l'arrivée des friches climatiques", en retenant l'emblématique exemple de Soulac-sur-Mer (lire notre article du 3 février 2023). "Tous les territoires ne seront plus habitables", prévient-elle. Pour le maire, "il faut distinguer ce qui pourra être sauvé de ce qui ne pourra pas l'être", appuie Sébastien Leroy.

Solidarité défaillante

La géographe souligne "l'effet domino" induit, qui fait que même les communes qui ne sont pas directement menacées par les risques naturels seront elles aussi affectées, ne serait-ce que pour "accueillir les déplacés". Pour l'heure, Marie-Alexy Lefeuvre, maire de Saffré (Loire-Atlantique), déplore que la solidarité entre communes, y compris au sein d'un même EPCI, ne soit guère de mise. Et ce, quand bien même "le risque ne s'arrête pas aux limites administratives". Patrick Ollier de rappeler ainsi la nécessaire solidarité amont-aval dans le domaine de l'eau. Portant la voix de l'Association nationale des élus du littoral (Anel), le maire de Vias (Hérault) appelle de même une fois encore à la solidarité nationale en faveur des communes littorales (lire notre article du 25 novembre 2024). Pour Éric Menassi, une chose est sûre : "L'aménagement du territoire n'est plus une option, mais doit désormais être le choix n°1."

 

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