Economie circulaire : un rapport sénatorial propose une réforme de la gouvernance nationale et territoriale
Adopté ce 25 juin, un rapport des sénateurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique sur l’application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) appelle à "redonner confiance" en cette dernière pour en faire un "véritable levier d’autonomie stratégique". Pour les corapporteurs, cela passe par une réforme de la gouvernance nationale et territoriale. Une stratégie industrielle interministérielle, territorialisée par les régions, devrait selon eux être mise en place et la gouvernance des éco-organismes revue. Ils défendent aussi un "pilotage renouvelé" à chaque étape du cycle de vie des produits. Au stade de la collecte, ils estiment ainsi que l’accompagnement de l’État envers les collectivités territoriales doit être renforcé.

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La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a adopté à l’unanimité ce 25 juin 2025, le rapport d’information de Marta de Cidrac (LR-Yvelines) et Jacques Fernique (Les Ecologistes-Bas-Rhin) relatif à l’application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec). "L’objectif de ce rapport n’est pas de réinterroger point par point les 113 articles du texte mais de se pencher, collectivement, sur l’état de l’économie circulaire cinq ans après l’adoption de la loi", a prévenu Marta de Cidrac, qui avait été rapporteure du texte lors de son examen parlementaire. Si tous les acteurs entendus par les deux sénateurs ont salué la "prise de conscience" provoquée par la loi, ils ont aussi "souligné les difficultés rencontrées sur le terrain qui menacent l’atteinte, à terme, d’une grande partie des 81 objectifs de la loi", a affirmé la sénatrice qui appelle donc à "donner un nouveau souffle, un nouvel élan" à la politique d’économie circulaire, qui "doit davantage être prise en compte en France comme un levier pour garantir notre autonomie stratégique, en réduisant notre dépendance aux importations."
Ecocontributions : lutter contre la fraude
Les corapporteurs posent aussi la question de la compétitivité de la transition vers l’économie ciculaire. "D’ici 2029, le montant total des écocontributions devrait être multiplié par près de 9 par rapport à 2010, rappellent-ils. Une progression spectaculaire, due à l’élargissement des filières concernées et à la hausse des barèmes d’écocontributions. Mais cette hausse, perçue comme brutale par certaines entreprises, alimente des interrogations croissantes sur la soutenabilité du système". En outre, "l’acceptabilité de l’économie circulaire est également limitée par le phénomène des ‘passagers clandestins’", ajoutent-ils, certains producteurs ne s’acquittant pas de leurs écocontributions pourtant obligatoires. "En échappant à leurs responsabilités, ils faussent la concurrence au détriment des entreprises vertueuses, estiment-ils. Ces fraudes nourrissent ainsi un sentiment d’injustice économique qui mine l’adhésion au système". Les sénateurs jugent donc indispensable d’améliorer la lutte contre la fraude "pour restaurer un climat de confiance et garantir des règles du jeu équitables".
Une stratégie interministérielle de l'économie circulaire à décliner à l'échelle régionale
"Pour beaucoup d’acteurs, la politique d’économie circulaire manque aujourd’hui de vision d’ensemble, de boussole", soulignent-ils également. Selon eux, une réforme de la gouvernance nationale et territoriale est "nécessaire". "Une stratégie interministérielle de l’économie circulaire, déclinée territorialement à l’échelle régionale doit être mise en place. Elle permettrait aux acteurs économiques d’avoir la visibilité indispensable à l’investissement", justifient-ils.
Cette stratégie, qui devrait être élaborée "au plus haut niveau, par un service à compétence interministérielle directement rattaché au Premier ministre", doit permettre "de fixer des objectifs chiffrés à moyen terme, de préciser les leviers à mobiliser – qu’il s’agisse des écocontributions, de la formation, des aides publiques ou des investissements – tout en clarifiant ce qui relève ou non du champ d’action des éco-organismes." "Et surtout, elle s’imposerait à l’ensemble des ministères, pour garantir la cohérence de l’action publique", soulignent les sénateurs, qui jugent aussi "indispensable" de lui donner un "ancrage territorial". La région, qui dispose depuis la loi NOTRe de 2015 d’une compétence de planification en matière de déchets leur apparaît comme "l’échelon le plus pertinent pour territorialiser cette stratégie" à condition de les doter "de moyens à la hauteur de cette nouvelle ambition". Pour adapter les financements, le fonds économie circulaire, qui soutient déjà des projets de réduction des déchets, de réemploi et de recyclage, pourrait ainsi évoluer vers "une gestion partagée entre l’Ademe et les régions" pour devenir le "bras armé" de la stratégie nationale.
Refonte de la gouvernance des éco-organismes
Les rapporteurs plaident également pour la refonte de la gouvernance des éco-organismes, la situation actuelle conduisant à un "déséquilibre". "Les producteurs, qui financent le système, en conservent aussi le contrôle, créant un conflit d’intérêts structurel, constatent-ils. L’objectif légitime de contenir les coûts peut se traduire, dans les faits, par une pression sur les collectivités et les opérateurs de déchets, au détriment de l’intérêt général, et par des difficultés dans l’atteinte des cibles fixées par l’État." Pour les sénateurs, une "meilleure association des parties prenantes" est nécessaire via de nouveaux comités institués au niveau de chaque filière REP. "Dotés de véritables pouvoirs de pilotage (orientation stratégique, suivi des résultats, validation des plans d’action), ces comités auront une composition adaptée au fonctionnement de chaque filière, garantissant une représentation équilibrée des parties prenantes et une co-construction renforcée des décisions", avancent-ils.
Les rapporteurs ont également constaté des "limites" dans la régulation par l’État des éco-organismes, en particulier dans l’encadrement de la concurrence entre eux, à l’origine d’"effets pervers" : dumping réglementaire ou financier, complexité excessive pour les collectivités, ou encore inefficacité environnementale. "L’État, garant de l’intérêt général, doit pouvoir imposer des objectifs clairs, proportionnés, économiquement soutenables, et veiller à leur respect ainsi qu’encadrer la concurrence entre éco-organismes", soulignent-ils.
Une transition nécessaire à toutes les étapes de la vie d'un produit
"Ce pilotage renouvelé serait déployé à chaque étape du cycle de vie des produits", préconisent-ils, à commencer par la conception. "L’écoconception — qui consiste à créer des produits plus durables, réparables, recyclables — doit être mieux encouragée, notamment par un système de bonus-malus renforcé et harmonisé à l’échelle européenne, pour valoriser les produits les plus vertueux", avancent les sénateurs qui appellent aussi à agir au moment de la commercialisation en freinant la surconsommation. Pour encadrer les pratiques les plus agressives, ils proposent que la publicité contribue elle aussi à la prévention et au traitement des déchets dans le cadre de la REP. Ils préconisent également, à l’instar du réseau Amorce (lire notre article) la création d’une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) "amont". Ainsi, lorsqu’un produit n’est pas couvert par une filière REP, le producteur devra s’acquitter d’une taxe, reversée aux collectivités territoriales, pour couvrir le coût de la gestion du déchet qu’elles supporteraient autrement seules.
Sur la question de la collecte, les rapporteurs se situent sur la même ligne qu’Amorce et les associations d’élus locaux et estiment que la consigne pour recyclage des bouteilles plastiques "n’est pas la bonne solution" dans la mesure où elle concentre le débat sur une part "très minoritaire" des déchets plastiques, "avec des effets pervers bien identifiés tant économiques qu’environnementaux". Pourtant, la mise en œuvre de la consigne constituera une obligation européenne, si l’objectif intermédiaire de collecte des bouteilles plastiques n’est pas atteint en 2026, rappellent les sénateurs qui jugent donc "souhaitable" la suppression de cet objectif intermédiaire européen "pour laisser aux mesures locales les plus adaptées au terrain et déjà engagées, le temps de porter leurs fruits". "L’État doit accompagner les collectivités dans cette transition, en tenant compte de leurs réalités, soulignent-ils. Cela passe par un soutien plus fort au tri à la source des biodéchets, un assouplissement des conditions de mise en œuvre de la tarification incitative, et un effort renouvelé de communication auprès des citoyens".
Fonds dédiés à la réparation et au réemploi : une gestion à confier aux régions
Enfin, les rapporteurs jugent "urgent" de "réaffirmer" le principe de la hiérarchie des modes de traitement inscrite dans le droit depuis 1975, à savoir privilégier la réparation, le réemploi et la réutilisation avant le recyclage. "C’est une logique de sobriété, à la fois plus respectueuse des ressources, plus sobre en énergie et favorable à l’emploi local, qui a été privilégiée par le législateur", rappellent les sénateurs. "La loi Agec a amorcé ce virage, avec la création de deux fonds : l’un dédié à la réparation — qui finance le 'bonus réparation' — et l’autre dédié au réemploi — qui soutient les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). Mais leur mise en œuvre reste encore trop laborieuse", regrettent-ils.
"Les difficultés tiennent pour beaucoup à leur gouvernance : ces fonds sont aujourd’hui pilotés par les éco-organismes, eux-mêmes contrôlés par les producteurs, ce qui crée un conflit d’intérêts évident", analysent-ils. Ils proposent donc pour remédier à cette situation de confier aux régions la gestion de ces fonds. "Cela permettrait de renforcer leur efficacité, de mieux les ancrer dans les territoires, et de prévenir les blocages liés aux intérêts financiers des filières", arguent les rapporteurs qui plaident également pour une meilleure reconnaissance des acteurs de l’économie sociale et solidaire, en leur garantissant un accès prioritaire aux gisements de déchets réutilisables. "Dans le contexte de la montée en puissance des distributeurs et des plateformes de seconde main, il est essentiel de protéger la plus-value sociale et environnementale qu’apportent les structures de l’ESS", estime Jacques Fernique.
Si la réparation et le réemploi doivent être encouragés en priorité, le développement de capacités nationales de recyclage reste indispensable, reconnaissent aussi les sénateurs car "sur le plan environnemental, l’insuffisance industrielle limite le taux de recyclage" et "sur le plan économique, elle contraint les éco-organismes à exporter les déchets, et oblige les producteurs à importer de la matière recyclée pour tenir leurs objectifs d’incorporation". Selon le rapport, l’État doit donc "soutenir le développement d’une véritable industrie nationale du recyclage, capable de traiter plus de matière sur notre sol et de garantir des débouchés économiques stables à ses filières".