ESS et industrie : deux univers qui gagneraient à se parler

Comptant pour à peine 0,8% des entreprises industrielles, l'ESS pourrait contribuer à l'effort de réindustrialisation, à condition d'opérer un changement d'échelle. Un livre blanc de la Banque des Territoires, en partenariat avec les intercommunalités et les régions, fournit des recommandations.

L'économie sociale et solidaire (ESS) c'est 154.500 entreprises mais à peine 1.367 dans le secteur industriel. Soit à peine 0,8% des entreprises industrielles. 43.000 salariés travaillent dans une entreprise industrielle de l'ESS, soit 1,3% du total des salariés du secteur industriel. Comme si ces deux univers n'étaient pas faits pour se parler. Les entreprises de l'ESS étant un peu vues comme "les petits bricoleurs du coin". Autant de préjugés qu'un livre blanc publié par la Banque des Territoires, en partenariat avec Intercommunalités de France et Régions de France, cherche à combattre pour enclencher un changement d'échelle.

Des coopérations territoriales économiques à renforcer

Le livre blanc avance plusieurs leviers pour aider les entreprises de l'ESS à franchir ce plafond de verre. Le premier consiste à favoriser les coopérations économiques, et particulièrement territoriales, entre elles et les entreprises industrielles conventionnelles, à travers notamment des groupements momentanés d'entreprises (GME) en réponse à un marché public ou des dispositifs plus structurés et intégrés, comme les joint-ventures sociales. C'est déjà ce que fait Véolia, dans le Grand Est, qui collabore régulièrement avec le groupe Valo, spécialisé dans l'écologie industrielle territoriale sur des appels d'offres. Ainsi, dans le traitement des déchets de la métropole du Grand Nancy, Valo assure le dernier kilomètre pour collecter des cartons dans l'hypercentre en mobilité douce. Leroy Merlin teste de son côté des activités de réparation en s'appuyant sur Vit'inser, un atelier et chantier d'insertion du groupe Vitamine T.

Favoriser les consortiums thématiques

Pour favoriser ces coopérations, il s'agit de professionnaliser les entreprises de l'ESS sur des compétences à forte valeur ajoutée pour les industriels, de favoriser les rencontres entre ces entreprises et les acteurs industriels (organisation de portes ouvertes, réseautage, participation à des conventions d'affaires…) et de contribuer au développement de consortiums thématiques. Les acteurs de l'ESS peuvent par exemple s'organiser au sein d'une gouvernance commune, de type Scic (société coopérative d'intérêt collectif), pour répondre aux appels d'offres. Le soutien financier des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) est une piste, comme le font déjà certains conseils régionaux en cohérence avec leur Schéma régional de développement économique d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) et en lien avec leur politique publique ESS. C'est le cas de la région Hauts-de-France, avec son programme d'appui aux coopérations territoriales économiques (COTE) qui permet de soutenir l'animation et l'ingénierie de projet au sein de pôles. Des efforts en matière d'image de marque et de mutualisation dans le domaine des ressources humaines sont également jugés nécessaires. "Les coopérations territoriales entre industries conventionnelles et entreprises de l'ESS nécessitent de parler le même langage, insistent les auteurs, pour ce faire, les coopératives industrielles recrutent par exemple des ingénieurs de production, en capacité de superviser et d'organiser les processus de fabrication et de dialoguer avec l'industrie cliente."

Acculturer aux modèles économiques de l'ESS

L'idée pour les entreprises traditionnelles d'incuber de futurs fournisseurs de l'ESS est aussi avancée, à l'image de ce que fait Suez avec le groupe SOS et Ronalpia sur l'économie circulaire ou avec Les Canaux sur la valorisation des déchets du BTP.

Deuxième levier majeur : promouvoir et/ou adapter les stratégies et les outils de financement existants aux besoins de l'ESS. Il s'agit notamment d'acculturer les financeurs aux modèles économiques de l'ESS pour qu'ils facilitent l'accès de ces entreprises à leurs outils et de proposer la prise en compte de "l'impact social" dans le taux de rendement attendu. "Plus qu'adapter les outils, les entreprises de l'ESS interrogées appellent les décideurs publics à faire preuve d'innovation en créant de nouveaux dispositifs de financement", signale le document, comme la mise en place de fonds publics pour réaliser des avances de trésorerie.

Côté financement, les acteurs industriels conventionnels peuvent créer ou racheter des entreprises de l'ESS ou investir dans leur capital. "Au-delà de leur rôle de donneur d'ordre, certains industriels financent le changement d'échelle des structures de l'ESS à travers un fonds de capital-risque, est-il indiqué, c'est le cas par exemple de Saint-Gobain, qui en complément des relations commerciales entretenues avec les membres du réseau Recyfe (spécialisé dans le recyclage de menuiseries extérieures, ndlr), a investi via son fonds Nova dans le réseau".

Des activités industrielles ESS dans les friches réhabilitées

Le troisième levier concerne le foncier et propose de faciliter l'accès aux entreprises de l'ESS à des locaux industriels : réhabiliter les friches industrielles qui représentent en 2020 entre 90.000 et 150.000 hectares, en systématisant une réflexion sur l'implantation d'activités de l'ESS dans ces projets de réhabilitation, et poursuivre l'investissement direct dans les projets immobiliers portés par des entreprises de l'ESS. "L'apport de fonds propres et de quasi-fonds propres par les acteurs publics permet souvent de faire effet de levier auprès des banques, afin de permettre aux entreprises de l'ESS de boucler un tour de table financier dans le cadre d'un projet immobilier", souligne le document. En 2021, la Banque des Territoires a ainsi investi dans la SCI Envie Soleil, portée à 95% par Envie Rhône-Alpes, pour un projet visant à regrouper deux des sites du groupe sur un site unique à Saint-Etienne. La Caisse des Dépôts a apporté des fonds propres et quasi-fonds propres sur un montant total d'opération de plus de 3,8 millions d'euros.

"ESS-iser" les filières industrielles

Le rapport propose aussi aux entreprises de l'ESS d'intégrer des projets de foncier partagé ou d'occupation temporaire, tels que celui de l'Afpa qui souhaite développer une nouvelle stratégie foncière pour mixer les usages de ses implantations, à travers des tiers-lieux partagés. A Vénissieux, le centre Afpa s'est ainsi transformé en "Manu'Village", soit plus de 1.500 m2 dédiés au sein d'un site de plus de 25.000 m2 comportant des espaces de travail, de réunion, de restauration et d'hébergement.

Le levier des ressources humaines est aussi mis en avant : développer des programmes de formation à impact déployés par les entreprises de l'ESS, soutenir les démarches de GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences) territoriales dans le domaine de l'industrie ou encore développer l'attractivité des métiers industriels de l'ESS à travers une marque employeur.

Enfin, dernier levier : "ESS-iser" les filières industrielles, c'est-à-dire augmenter la capacité d'influence des entreprises de l'ESS dans les secteurs et les métiers où elle est traditionnellement peu ou pas présente. La commande publique est dans ce domaine centrale (achats responsables, critères sociaux et environnementaux, pratique du marché réservé) tout comme le développement de l'éco-socio-conditionnalité des aides versées aux industries. L'idée d'expérimenter une "TVA à impact" ou "TVA verte" est aussi avancée. Elle permettrait de baisser le taux habituel de 20% pour les produits et services écologiquement et socialement responsables.

Enfin, les auteurs estiment qu'il faut permettre aux acteurs et réseaux de l'ESS de contribuer davantage au pilotage des politiques publiques industrielles. "Les contrats de filière, au sein du Conseil national de l'industrie, pourraient ainsi contenir un volet social et solidaire plus conséquent."

 

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