Congrès des maires – Face à la baisse démographique et ses impacts sur la carte scolaire, les maires avancent des idées iconoclastes
Le forum sur l'éducation organisé dans le cadre du 107e Congrès des maires a abordé la question de la baisse démographique et de ses impacts sur la carte scolaire, notamment dans les campagnes. Plusieurs élus ont proposé des solutions très audacieuses. "Soyez proactifs", leur a répondu un expert de l'Éducation nationale.
© Capture vidéo AMF/ à droite au micro Frédéric Leturque, président de la commission de l'éducation de l'AMF
Les temps changent entre les maires et l'Éducation nationale. Après la signature en avril d'un protocole entre l'AMF (Association des maires de France) et le ministère pour donner aux élus une visibilité sur l'évolution des effectifs scolaires à trois ans et leur permettre de mieux anticiper leurs conséquences (lire notre article du 6 mai), le forum organisé ce 19 novembre dans le cadre du Congrès des maires intitulé "Baisse démographique : quels impacts pour la carte scolaire ?" a confirmé que le dialogue était bien entamé entre les principaux protagonistes de l'école publique.
Et il était plus que temps. Comme l'a confirmé Maryse Fesseau, sous-directrice des statistiques et des synthèses à la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère, "on a perdu 620.000 élèves en dix ans dans le primaire". L'impact de cette baisse démographique est même bien plus sévère depuis cinq ans, puisqu'on enregistre un recul de 400.000 élèves depuis 2020. Quant aux prévisions établies à partir des chiffres de l'Insee en matière démographique pour les cinq prochaines années, ils sont plus alarmants encore : une nouvelle baisse de 560.000 élèves est attendue à l'horizon 2029, "avec une marge d'erreur de 0,3% qui ne change pas la tendance", a estimé Maryse Fesseau.
"Deux ou trois ans pour réagir, c'est beaucoup trop court"
Face à ce constat implacable, les maires ne sont pas dans le déni mais dans l'embarras. Frédéric Leturque, maire d'Arras (Pas-de-Calais), a comparé l'établissement de la carte scolaire par les Dasen (directeurs académiques des services de l'Éducation nationale) à un "loto" qui se traduit souvent par "une incompréhension de ce qui est posé sur la table". D'où l'idée du protocole, qui "pose un cadre stratégique, de façon à être en phase avec l'Éducation nationale et les préfectures". Car face aux prévisions de l'Éducation nationale, le coprésident de la commission de l'éducation de l'AMF avance d'autres données : "Généralement, les élus mettent sur la table les chiffres des habitations qui ne sont pas obligatoirement livrées dans l'immédiat, qui vont l'être incessamment et qui peuvent conduire à ce que l'on défende avec des arguments la non-fermeture d'une classe." Autrement dit, une prévision plus lointaine que celle établie par l'État. Dominique Peduzzi, maire de Fresse-sur-Moselle (Vosges), a abondé dans ce sens en élargissant le débat : "On doit gérer des emplois et on doit gérer des infrastructures. C'est du temps long. Quand quelqu'un est titularisé sur un poste, vous ne pouvez pas lui dire : 'La statistique devient réalité, demain matin, tu t'en vas.' Avec les prévisions [de l'Éducation nationale], nous avons deux ou trois ans pour réagir alors que nos investissements portent sur vingt-cinq ans. C'est beaucoup trop court."
À propos du protocole signé avec l'Éducation nationale, Frédéric Leturque a encore précisé qu'il avait demandé à chaque président de département d'organiser des temps d'information à destination des maires. Pour l'instant, a résumé Antoine Jouenne, l'autre coprésident de la commission de l'éducation de l'AMF et adjoint au maire de Châtillon (Hauts-de-Seine), "concernant les mesures de carte scolaire du protocole, le recul n'est pas encore assez important, puisque l'objet est de le mettre en œuvre pour la rentrée scolaire 2026".
"Casser le système"
En tout état de cause, les maires se réjouissent de voir entrer les préfectures dans la "boucle" de décision de la carte scolaire (lire notre article du 31 juillet). Car pour eux, la question scolaire est avant tout une question d'aménagement du territoire. Et dans le monde rural, plus touché par le phénomène d'érosion des effectifs scolaires, l'aménagement du territoire, c'est aussi la mobilité. "Il faut mettre la mobilité dans l'équation, a tonné Dominique Peduzzi. Si on disait à beaucoup de pays qu'on met en place des moyens de transport pour déplacer des élèves jusqu'à 2h30 par jour, ils nous diraient : 'Vous êtes complètement fous, vous gâchez votre jeunesse !' On doit révolutionner ça dans le monde rural."
Révolutionner le monde rural... Une fois la formule lâchée, les propositions ont fusé. Souvent iconoclastes. Dominique Peduzzi, encore lui, a ouvert le bal : "On est devant des réalités difficiles, comme le fait que l'Éducation nationale gère les emplois d'enseignants et que la commune gère le bâti et les emplois autour, notamment en maternelle avec les Atsem. Il faut qu'on casse ce système pour en mettre en place un nouveau." Celui qui est aussi président de l'Association des maires des Vosges a alors évoqué l'idée d'"une nouvelle communauté éducative". Sous la responsabilité des collectivités ? Il ne l'a pas précisé.
"La commune n'est plus le territoire pertinent"
Christian Montin, maire de Marcolès (Cantal), a saisi la perche pour casser un autre mythe : celui de l'école communale pour laquelle les maires se battent parfois de manière contre-productive. "Je connais des maires qui ont préféré laisser fermer leur école plutôt que la déplacer ou la jumeler avec une autre. Il faut sortir de son ego communal", a-t-il imploré. "Une des solutions que nous développons depuis quelques années, mais qui a beaucoup de mal à faire son chemin, a plaidé le président de l'association des maires du Cantal, c'est de dire que la commune n'est plus le territoire pertinent pour parler d'école. Ce n'est pas très populaire, mais c'est une réalité. Le cadre intercommunal, qui n'a pas la compétence scolaire, n'est pas non plus forcément le bon niveau." Pour dépasser le cadre communal, Christian Montin prône une réflexion au niveau d'un "bassin scolaire" qui pourrait regrouper deux, trois, cinq ou plus de communes "qui considèrent qu'elles ont un futur scolaire partagé". Il va plus loin en imaginant une école "vivante, dynamique" au périmètre élargi, s'appuyant sur les structures de la petite enfance, des offres de pratiques culturelles ou sportives pour "construire un tissu scolaire réellement qualitatif et qui réponde aux besoins de formation des jeunes". Quitte à "garder des écoles à très faible effectif parce que c'est la seule façon de garder une proximité acceptable".
Une position applaudie par la salle et aussitôt illustrée par Sébastien Jadoul, maire d’Aubréville (Meuse), dont le TER (territoire éducatif rural) mis en place l'an dernier au niveau de la communauté de communes Argonne qu'il préside a permis à tous les acteurs de réfléchir au parcours de l'enfant, de la naissance jusqu'au collège, et ce alors même que le territoire a été confronté à une fermeture de collège. "On a voulu être force de proposition en travaillant avec le département et le soutien de l'État", a expliqué Sébastien Jadoul. Le résultat est assez bluffant : "Désormais, on regroupe dans le même bâtiment de la maternelle jusqu'à la troisième, à l'image de ce qui se fait dans le privé. On a également regroupé la bibliothèque municipale qui sert aussi de bibliothèque pour l'élémentaire et de CDI pour le collège. On voit maintenant des liens se créer. Par exemple, notre enseignante documentaliste fait partie de la bibliothèque municipale qui est ouverte l'après-midi. On est là sur des solutions de mutualisation de bâtiments et de fonctions. Tous ces acteurs se retrouvent et apportent un plus éducatif à l'enfant."
"Les esprits sont ouverts" sur l'enseignement à distance
Une autre porte jusqu'alors jalousement fermée a encore été entrouverte – et pas la moindre : celle de l'enseignement à distance, toujours pour s'adapter aux difficultés de mobilité des enfants dans certains territoires. Justin Pamphile, maire du Lorrain (Martinique), a rappelé que "pendant le Covid, beaucoup de gamins sont restés à la maison et ont pu faire les devoirs en lien avec les enseignants. Je pense que dans la semaine, il faut une organisation qui transforme le fait qu'un enfant de CM1 ou CM2 ne peut pas faire une heure et demie de transport pour passer une journée à l'école, tout en permettant à l'enseignant de s'assurer en permanence que le travail est effectivement réalisé". Pour le président de l'association des maires de la Martinique, "les esprits sont ouverts" sur la question de l'enseignement à distance.
Face à ces idées qui risquent de la bousculer, comment l'Éducation nationale réagit-elle ? Plutôt bien, si l'on en croit Joël Sürig, ancien directeur académique du Pas-de-Calais et expert de haut niveau auprès de la direction de l'encadrement du ministère : "Pendant trop longtemps, et on peut le comprendre, les relations [entre les élus et l'Éducation nationale] étaient plus sur la défensive. Mais à un moment donné, il faut être proactifs. Vous avez des idées, vous avez des leviers et je suis assez enthousiaste. C'est le message que je passerai aux Dasen que je forme, je vais leur dire : 'Vous avez en face de vous des gens qui ont des propositions et il faut être prêts à les entendre."