France urbaine : quels moyens pour la transition écologique et solidaire ?

Réunis pour leurs "Journées nationales" annuelles ces 16 et 17 octobre au Creusot, les élus des grandes villes et intercommunalités représentés par France urbaine ont dit leurs vives inquiétudes face au projet de loi de finances pour 2026. Et se sentent particulièrement visés par nombre de dispositions touchant aux finances locales. Ceci, à l'heure même où l'urgence écologique implique d'en faire plus. Pour eux, la nouvelle étape de la décentralisation doit être "mise au service de la transition écologique". Ils revendiquent à ce titre un rôle d'autorité organisatrice de la transition écologique et solidaire.

C'était la première association d'élus locaux généraliste à se réunir en congrès depuis la nomination du gouvernement Lecornu II et la présentation du projet de loi de finances (PLF). Il fut donc naturellement beaucoup question d'"instabilité politique"… et de contraintes budgétaires. Avec une réelle incompréhension, si ce n'est colère, face aux dispositions finances locales de ce PLF dévoilé trois jours plus tôt. Si cette incompréhension s'était déjà entendue mercredi à l'issue du Comité des finances locales (voir notre article), celle exprimée ce vendredi 17 octobre au Creusot aura été tout aussi explicite. D'autant plus que les élus rassemblés pour leurs "Journées nationales" – ceux des grandes villes, métropoles et autres grandes agglomérations représentés par France urbaine – se sentent particulièrement visés. Avec la loi de finances pour 2025 déjà, les grandes villes et intercommunalités "contribuent 3,5 fois plus que les autres collectivités", or "rien ne justifie" cette "inéquité manifeste", a souligné Johanna Rolland, la présidente de France urbaine, en clôture de ce congrès. Et le PLF 2026 ferait de nouveau des grandes collectivités une "cible". "C'est intenable", tranche la maire de Nantes.

Elle n'a pas été la seule à le dire. De Jean-Luc Moudenc à Éric Piolle en passant par Nathalie Appéré, toutes couleurs politiques confondues, on constate que "l'effort" financier attendu des collectivités dans le nouveau PLF est deux à trois fois plus important que dans le précédent – passant de 2 à 4,6 milliards. Un chiffre qui ne comprend pas les autres "ponctions", a souligné le maire de Toulouse, citant les cotisations CNRACL, la fonte du fonds vert, les 700 millions d'euros de moins pour l'Anah ou encore "la suppression des crédits du périscolaire". Pour son homologue de Grenoble, "là, on ne peut même plus parler d'effort…" et une fois encore, on vient "taper sur le monde urbain". "Venir fragiliser le dernier truc qui marche est une stratégie déroutante", lance-t-il, relevant en outre que "les dépenses de fonctionnement sont essentielles pour la solidarité", surtout dans les métropoles, où le taux de pauvreté est nettement supérieur à la moyenne nationale.

Un PLF 2026 "inquiétant"

Au-delà des élus eux-mêmes, les spécialistes participant à la séance plénière acquiescent. Luc-Alain Verdisch, le directeur des études de la Banque postale, souligne que le poids des cotisations CNRACL est plus important pour les grandes villes et intercos. Même chose concernant le FCTVA. Et il estime que si cette année, "le monde local a finalement assez bien résisté", c'est parce que l'incertitude a donné lieu à "des budgets relativement prudents". Sauf que ceux-ci n'ont pas nécessairement permis de "couvrir les besoins". Et l'expert de dire ses "craintes sur les effets du PLF 2026".

Un PLF "inquiétant", c'est aussi ce que dit Benoît Leguet, directeur général de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), songeant pour sa part surtout aux possibles conséquences pour la transition écologique. "Ce budget est incohérent par rapport à la stratégie climat", alors même que "les collectivités vont devoir doubler leurs investissements en faveur de la transition écologique". Mais comment "faire plus avec moins" ?

"On joue sur différents leviers", explique la maire de Rennes. Faute d'une ressource fiscale environnementale dédiée et "juste quant à son assiette" (condition de son acceptabilité), il y a surtout "le levier de la dette". Nathalie Appéré plaide pour que celle-ci "puisse être comptabilisée à part", ne soit pas considérée "avec les ratios habituels"… et met en avant "la question des durées d'amortissement".

Haro sur le Dilico 2

La charge la plus virulente contre le PLF a sans doute été celle de Stéphane Delautrette, le président de la délégation aux collectivités de l'Assemblée nationale. Les amendements ne devraient pas manquer. Le député de la Haute Vienne fustige entre autres le fait que dans la version actuelle du texte, les dépenses de fonctionnement se voient exclues du FCTVA. Quant au Dilico version 2026, entre le doublement de son montant, l'élargissement de son périmètre et des conditions rendant son remboursement plus qu'aléatoire ("C'est du Cahors sans contrat") avec un étalement sur cinq ans… "On est en plein délire", tranche-t-il. Pour lui, sachant qu'"il va falloir choisir nos combats", le premier d'entre eux devra être de "préserver la section de fonctionnement".

"Le Dilico, c'est de l'infantilisation budgétaire. Et le Dilico 2 est pire", dira aussi Johanna Rolland. Elle pointe en outre pour sa part la disposition consistant à écrêter la compensation au titre des valeurs locatives des locaux industriels. "Tout cela n'est tout simplement pas tenable, cela rend notre équation impossible", "il faut que cesse ce mouvement d'assèchement des ressources locales", a-t-elle résumé à l'attention de la ministre Françoise Gatel.

Bientôt des propositions pour alléger les normes

Cette dernière, qui effectuait son premier déplacement en tant que ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, n'aura guère apporté de signe d'ouverture concernant le PLF, même si elle a souligné que les parlementaires pourront "faire évoluer" le texte. Même posture, donc, que sa collègue des Comptes publics, Amélie de Montchalin, lors de son audition la veille devant la commission des finances du Sénat (voir notre article de ce jour). Françoise Gatel a centré ses propos sur la nécessité de maîtriser le déficit, de "stabiliser la dette". Sur les dispositions finances locales, elle a uniquement mis en avant l'augmentation de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et le fonds de sauvegarde pour les départements.

Comme elle l'avait fait devant le CFL, elle a par ailleurs fait valoir que le chantier de simplification envisagé par le gouvernement se traduira mécaniquement par une baisse des dépenses des collectivités. Et a au passage indiqué qu'elle devrait remettre la semaine prochaine au Premier ministre des pistes de travail concernant les normes qui s'imposent aux collectivités. Elle prône notamment une indépendance accrue pour le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), des études d'impact plus complètes, une "étude d'options" avant toute nouvelle norme, des "clauses guillotine"… Des idées qu'elle avait déjà formalisées dans son rapport de 2023 produit en tant que sénatrice avec Rémy Pointereau (voir notre article).

Décentraliser, oui, mais pour quoi faire ?

La ministre a naturellement évoqué par ailleurs le chantier de la décentralisation prévu par Sébastien Lecornu, préférant parler de réforme de "l'efficacité de l'action publique" et assurant qu'il ne s'agira pas de "détricoter l'existant pour retricoter". Johanna Rolland lui avait en effet dit craindre le lancement à l'aveugle d'une réforme alors même que l'encre des précédentes (lois Maptam, Notr, 3DS) "n'est pas encore sèche". "Le Premier ministre entend clarifier les responsabilités, que chaque action ait un responsable, il ne s'agira pas d'une distribution de compétences", a dit Françoise Gatel, poursuivant : "La seule règle qui doit nous guider est la subsidiarité" et "j'attends avec impatience que l'Etat clarifie son rôle – stratège, régalien, péréquateur". On n'en saura guère plus.

Les élus urbains ont pour leur part des idées assez précises. Avec un fil directeur clairement affirmé : que "cette nouvelle étape de la décentralisation soit mise au service de la transition écologique", selon les mots de Johanna Rolland. La décentralisation "doit désormais placer tous ses efforts dans l’accélération de la lutte contre les effets du dérèglement climatique". Transition écologique… et "solidaire". Deux termes jugés indissociables et qui ont constitué le fil rouge de ce congrès. Avec, derrière ce "solidaire", la dimension sociale bien-sûr. "La grande pauvreté est d'abord urbaine, la grande ville n'est pas résumable à son hyper-centre", a redit l'élue nantaise. Mais il y a aussi la dimension territoriale. "L'interdépendance" entre urbain, quartiers politique de la ville, périurbain et rural. La fameuse "alliance des territoires" chère à France urbaine et dont il a une nouvelle fois beaucoup été question au Creusot. Des "coopérations" déjà à l'œuvre qu'il faut précieusement "protéger".

Une "transition écologique et solidaire" à piloter

La proposition de l'association, qui figure dans sa résolution adoptée à l'unanimité vendredi (en lien ci-dessous) : "conférer aux grandes agglomérations et métropoles le statut d’Autorité organisatrice de la transition écologique et solidaire". "Tous les éléments financiers et réglementaires sont prêts", a assuré Johanna Rolland, citant les champs de "l'économie décarbonée, les politiques de mobilité, les projets alimentaires de territoire, la rénovation énergétique de nos logements…". L'acronyme est lui aussi déjà prêt : AOTES. Cette proposition emporte plusieurs implications. Afin d'assurer la "prévisibilité" financière nécessaire à ce rôle d'autorité organisatrice, un "contrat intégré de transition écologique et solidaire à l'échelle des agglomérations" serait signé avec l'État. Au passage, France urbaine demande aussi "que les métropoles soient signataires des contrats de plan Etat-région". Et qu'"aucune compétence urbaine ne soit transférée à un autre niveau de collectivité".

En parallèle, l'association continue de plaider pour la poursuite de la décentralisation des politiques de l’habitat, dont les agglos seraient là encore autorités organisatrices, avec l'affectation d'une "ressource dédiée". En termes de ressources, une autre revendication également ancienne : obtenir enfin le déplafonnement du versement mobilité. Les applaudissements dans la salle auront témoigné de l'importance du sujet.

Dans tous les domaines, France urbaine met naturellement en garde contre toute "décentralisation sèche", comme l'a exprimé Nathalie Appéré en présentant la "résolution du Creusot" (accompagnée d'une deuxième résolution quant à elle spécifiquement consacrée à la CNRACL). Sèche, autrement dit sans ressources attenantes. Dont des ressources fiscales. Et la maire de Rennes d'affirmer : "La bifurcation écologique et solidaire, aujourd'hui on sait faire. Et l'opinion publique y est prête. À condition qu'elle soit juste."

 

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