François Sauvadet : "Nous ne pouvons pas laisser nos territoires être sacrifiés sur l’autel de la mondialisation"
Départements et chambres d'agriculture restent vent debout contre l'accord de libre-échange UE-Mercosur, malgré les "garanties" présentées par la Commission européenne début septembre. Cet accord intervient dans un contexte particulièrement morose pour la filière agro-alimentaire qui connait une dégradation de son solde commercial à un niveau jamais atteint depuis 1978.

© Chambres d’agriculture France / Agreste
A quelques jours de la journée d’action programmée le 26 septembre par la FNSEA et Jeunes agriculteurs, les départements sortent du bois pour dénoncer la finalisation en cours de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Une initiative qui s’apparente à un baroud d’honneur, tant l’affaire semble entendue au niveau européen. En effet, après que la Commission a présenté des "garanties" début septembre, Paris, qui a mené la fronde pendant des mois afin de constituer une minorité de blocage au sein du Conseil, semble aujourd’hui se résigner (voir notre article du 3 septembre). Réunis en bureau mercredi, les présidents des départements interpellent Emmanuel Macron et le pressent d’"agir". Dénonçant, dans un communiqué du 17 septembre, le choix de la Commission de "scinder le texte afin que son volet commercial ne soit soumis qu’à un vote à la majorité qualifiée du Conseil européen", l'association Départements de France demande au président de la République trois choses : de "dénoncer publiquement la scission de l’accord Mercosur et de rétablir pleinement la capacité de la France à utiliser son droit de veto" ; "de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne afin de vérifier la légalité de cette procédure", notamment au regard des Accords de Paris et, enfin, de "garantir la protection de l’élevage français et son modèle familial et herbager, ainsi que le respect de la souveraineté alimentaire, en refusant toute importation compromettant nos exigences sanitaires et environnementales et la compétitivité de nos filières". A noter, s'agissant du recours à la CJUE, qu'une proposition de résolution européenne allant dans le même sens vient d'être déposée à l'initiative du député de la Somme François Ruffin.
Des clauses de sauvegarde jugées "totalement inefficaces"
Pour répondre aux craintes des opposants au texte, la Commission avait brandi l’usage de "clauses de sauvegarde" qui pourront être activées en cas de dépassement des quotas engendrant une baisse des prix sur un produit. Des clauses jugées "inopérantes" par les deux syndicats à l'origine de l'appel du 26 septembre, évoquant une "manipulation politique". Les départements rappellent les engagements d'Emmanuel Macron en faveur des "clauses miroirs" dans tous les accords commerciaux. "Nous ne pouvons pas laisser nos territoires être sacrifiés sur l’autel de la mondialisation", déclare, dans le communiqué, François Sauvadet, président de Départements de France.
Le ton est le même du côté des chambres d'agriculture. "On voudrait tuer notre agriculture, on ne s’y prendrait pas autrement", fustige Sébastien Windsor, le président de Chambres d’agriculture France qui tenait une conférence de presse de rentrée, ce jeudi, dans une conjoncture très morose pour la "ferme France". Selon lui, les garanties de la Commission européenne relèvent de "l’angélisme" car ces clauses sont "totalement inefficaces". "Si on active la clause de sauvegarde, c’est qu’on est déjà dans une situation économique compliquée", argumente-t-il, indiquant que "1% de production en plus entraîne entre 3 et 5% de baisse des prix". "Même de petits volumes peuvent peser sur les prix", souligne-t-il. Pire, en cas d’activation des clauses, il faudrait indemniser les agriculteurs argentins et brésiliens pour leur pertes, à hauteur de plusieurs milliards d'euros…
Forte dégradation du solde commercial
Cet accord intervient au plus mauvais moment pour l’agriculture française qui se fait tailler des croupières au niveau mondial et au sein même du marché européen. Depuis le début de l’année, l’excédent commercial de l’agro-alimentaire atteint péniblement 1,2 milliard d’euros, soit une chute de 82% sur un an et une possibilité de déficit sur l’année. Une telle situation n'est pas arrivée depuis 1978, alerte Thierry Pouch, chef économiste à Chambres d’agriculture France. En 2024, l’excédent avait été de 4,9 milliards d’euros, le plus faible depuis vingt-cinq ans. Or, au sein même de l’Union européenne, le déficit commercial est déjà d’1,2 milliard d’euros. "Si demain on renationalise la Politique agricole commune (comme la Commission européenne le propose, ndlr) cela peut accentuer les écarts de compétitivité, le risque est que la situation se dégrade encore", insiste Sébastien Windsor, qui pointe aussi les différentes règlementations sur les pesticides au sein même du marché commun, comme l'a montré le débat sur la loi Duplomb.
L'érosion continue du solde commercial s’explique par un ralentissement des exportations (+1%) face à une progression beaucoup plus marquée des importations (+16%) entre juillet 2024 et juillet 2025. Pour les légumes, la dégradation du solde (déjà déficitaire) atteint 84%, elle est de 37% pour les produits laitiers et de 17% pour les céréales qui souffrent notamment de la fermeture du marché algérien et de la concurrence accrue de la Russie. Pour les boissons, la situation est plus nuancée, le solde baisse de 3,5%. Elles ne semblent donc pas encore affectées par les droits de douanes américains de 15%. Notamment les vins qui sur douze mois engendrent encore 10 milliards d’euros d’excédent. Sans doute des stocks ont-ils été constitués en prévision des droits de douane, avance l'économiste.
Pour Thierry Pouch, un autre facteur est "extrêmement préjudiciable à nos exportations" : la parité euro-dollar. "Les Etats-Unis peuvent continuer à manipuler leurs taux à volonté, alors qu’on ne peut plus le faire", fait-il valoir. "Que fait la BCE ?", interroge pour sa part Sébastien Windsor, qui appelle l’Europe à arrêter "de se comporter en bisounours face à des politiques commerciales agressives".
"On est on est en train de détricoter l’Europe"
C’est donc bien l’ensemble de la politique européenne qui est mise en cause, alors que la PAC post-2027 prévoit, outre la fusion de cette politique dans un fonds plus large, une baisse de 25% des crédits. "En affaiblissant la seule politique commue, on est en train de détricoter l’Europe et, petit à petit, de tuer une vraie Europe", s’insurge Sébastien Windsor.
Chacun dans son rôle, chambres d’agriculture et départements entendent soutenir les agriculteurs. Les premières en accompagnant les agriculteurs pour renforcer leur compétitivité et en travaillant avec les régions à des plans d’action sur la souveraineté alimentaire. Les seconds, en se présentant comme les "premiers partenaires du monde rural". Les départements entendent ainsi réinvestir "pleinement le champ de l’économie de proximité", au moyen d’aides directes, "en favorisant les circuits courts, le savoir-faire de nos producteurs et la valorisation des filières locales".