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Illettrisme : près de deux millions de personnes exclues du champ d'action de l'ANLCI, selon la Cour des comptes

La Cour des comptes a examiné les comptes et la gestion de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) pour les années 2014 et suivantes et a publié ses observations le 4 février 2022. "Si la gestion de l’agence n’appelle pas d’observations importantes, l’exercice par l’ANLCI de ses missions est critiquable." "Elle exclut près de deux millions de personnes de son champ d’action", observe la Cour des comptes dans son référé rendu public le 4 octobre 2022. "Sa définition restrictive et datée de l’illettrisme prend uniquement en compte les personnes ayant suivi leur scolarité en France", analyse la Cour des comptes. "De fait, les allophones, qui n’ont pas suivi leur scolarité en France, et les analphabètes, qui n’ont jamais été scolarisés en France ou à l’étranger, sont exclus du champ d’action de l’agence", poursuit la Cour qui estime qu'ils représenteraient 1,8 million de personnes selon la dernière enquête Insee de 2011. "Leurs lacunes limitent tant leur accès au marché du travail que leur autonomie sociale et citoyenne", étaie la Cour avant de relativiser : "Cette distinction selon l’origine des publics plutôt que sur la base de leurs compétences n’est fort heureusement pas suivie par les acteurs de terrain qui prennent en charge l’ensemble des personnes souffrant d’illettrisme."

Cette analyse n'est pas partagée par le Premier ministre. Dans sa réponse datée du 8 février, il écrit que "contrairement à ce qu'indique la Cour, la définition de l'illettrisme retenue en France n'est pas excluante" car "la mission confiée à l'ANLCI vise tous ceux qui doivent avoir accès aux diverses solutions mises au point pour lutter contre l'illettrisme, dans le cadre notamment d'un projet d'insertion professionnelle". Ainsi, "la définition retenue de l'illettrisme apparaît pleinement adaptée aux choix du gouvernement consistant à proposer une approche cohérente avec les besoins d'accompagnement et de formation des personnes illettrées, dans le cadre spécifique de la politique de l'emploi", rappelle-t-il. Selon lui, il n'existe "aucune définition harmonisée de l'illettrisme au niveau international" et il "n'apparaît donc pas pertinent de comparer le périmètre de la définition de l'illettrisme entendue au sens national avec des standards internationaux trop inégaux selon les pays, et que la Cour ne définit d'ailleurs pas". 

En outre, poursuit la Cour dans son référé, "l’agence, qui fonde son action à partir de données datant de plus de dix ans, ne procède pas à l’évaluation de ses activités, et adopte un positionnement institutionnel qui ne lui permet pas d’exercer la mission de coordination qui est la sienne". Sur ce point, le Premier ministre concède que "la nécessité de disposer de données plus récentes n'est pas niable". "C'est la raison pour laquelle [...] le programme annuel de l'ANLCI pour 2021 avait fixé l'objectif de mesurer plus régulièrement les situations d'illettrisme, notamment en renouvelant l'enquête de l'Insee". À cette fin, "le ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion a conclu le 21 juillet 2021 une convention avec l'Insee visant à inscrire un module "Compétences" développé par l'ANLCI dans le volet "Formation tout au long de la vie", dans le cadre de l'enquête européenne Adults Educational Survey (AES)", détaille le Premier ministre. "Ce module dédié au niveau de compétences dans des situations de la vie courante permettra de mesurer l'illettrisme à travers des données nouvelles et actualisées", conclut-il, avant de préciser que les premiers résultats sont attendus pour la fin de l'année 2023

En conclusion de son référé, la Cour émet trois recommandations : "redéfinir le rôle de l’ANLCI pour favoriser l’accès de tous aux compétences linguistiques de base, sans se limiter aux personnes ayant été scolarisées en France" ; "évaluer régulièrement l’ampleur de l’illettrisme en France, selon les critères retenus par les études internationales" ; et enfin "mettre en place une action territoriale effective de l’ANLCI en développant un partenariat systématique avec le réseau des centres ressources illettrisme et analphabétisme". Dans sa réponse, le Premier ministère lui répond point par point. Sur le premier aspect du rôle de l'ANLCI, il estime que "la recommandation est déjà satisfaite puisque l'ensemble des publics est bien pris en compte dans le cadre des politiques de développement des compétences de base, auxquelles participe l'Agence". Concernant l'évaluation de l'ampleur de l'illettrisme en France, le Premier ministre considère également cette recommandation "satisfaite" puisque le ministère de l'emploi et l'ANLCI ont engagé "une collaboration avec l'Insee qui débouchera dès 2022 sur une nouvelle enquête nationale". Enfin, concernant "l'action territoriale effective de l'ANLCI" souhaitée par la Cour, le Premier ministre répond qu'elle "est prévue dans les missions confiées aux chargés de mission régionaux de l'ANLCI et que le ministère de l'emploi "sera très vigilant sur sa mise en oeuvre". 

Déclaré "grande cause nationale" en 2013, rappelons que l’illettrisme représente un enjeu d’égalité et de cohésion sociale majeur. "La maîtrise des compétences de base, y compris numériques, assure en effet les conditions essentielles d’autonomie dans la vie quotidienne, et favorise l’accès aux droits ainsi que l'engagement citoyen", rappelle la Cour des comptes dans son référé. Et la convention constitutive de l’ANLCI du 2 décembre 2019 lui confie la mission de coordination interministérielle et partenariale de la prévention et de la lutte contre l’illettrisme, dans une visée d’insertion professionnelle, sociale et culturelle.

Sur ce point encore, le Premier ministre répond, rappelant que cette action date de 2013. Le groupement d'intérêt public de l'Agence nationale de lutte contre l’illettrisme a "fédéré la candidature de plus d'une centaine d'organisations et obtenu, pour la première fois, que la lutte contre l'illettrisme soit déclarée grande cause nationale". "Douze engagements avaient été inscrits dans le dossier de candidature du collectif fédéré par l'ANLCI", mentionne Jean Castex avant de se féliciter : "ils ont tous été tenus et le bilan a été présenté devant l'assemblée générale du GIP. Validé sans réserve, il a été très largement diffusé", conclut-il.

 

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