À la veille de leurs Assises, les départements voient rouge sur le budget

Une majorité de départements seraient désormais "dans des zones de grande difficulté", alerte le président de Départements de France à deux semaines du congrès annuel des élus départementaux. Avec l'accentuation de l'effet ciseaux entre des recettes qui diminuent et des dépenses contraintes qui augmentent, la situation serait désormais critique et interdirait toute nouvelle ponction sur les recettes départementales dans le budget 2026. L'association d'élus appelle également à mettre en œuvre dès 2026 un financement des allocations individuelles de solidarité partagé à 50/50 avec l'État. 

"Il faut arrêter d’asphyxier les départements." À deux semaines de leurs 94es Assises qui se tiendront à Albi dans le Tarn du 12 au 14 novembre 2025, les Départements de France ont exprimé leur "colère", par la voix de leur président, François Sauvadet, le 29 octobre lors d'une conférence de presse. "Ce qui est inacceptable, c'est que dans son projet de budget, l'État nous demande de participer au redressement des comptes publics sur des dépenses qu'il nous impose", tempête le président du département de la Côte-d’Or et de Départements de France (DF). 

Lors de ce congrès, les départements entendent bien "démontrer le rôle joué par nos territoires dans un contexte financier aussi compliqué", affirme Christophe Ramond, président du département du Tarn. Ils espèrent aussi pouvoir accueillir le Premier ministre – ancien président de département - pour le convaincre du caractère inextricable de la situation des départements, du fait d'un "effet ciseaux massif". 

Entre 50 et 60 départements en "grande difficulté" en 2025 

Les départements ont fait les comptes : les dépenses qui leur sont "imposées par l'État" ont été alourdies de 5,5 milliards d'euros entre 2022 et 2024 (ce qui comprend les revalorisations du revenu de solidarité active, les augmentations salariales dont la hausse du point d'indice), puis de nouveau de 597 millions d'euros en 2025 (127 millions de revalorisation du RSA, 300 millions de hausse des cotisations CNRACL, 170 millions d'euros correspondant à la prise en charge pour moitié de l'extension du Ségur). 

Face à cela, "un effondrement des recettes" estimé à une perte de plus de 8 milliards d'euros entre 2022 et 2024 (dont une chute des DMTO, droits de mutation à titre onéreux, de près de 5 milliards) et prolongé par les mesures de 2025 (dont 220 millions d'euros de contribution des départements au Dilico, dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités, et une perte de 626 millions d'euros liée au gel de la TVA).

S'ajoute le poids des dépenses sociales (sur lesquelles les départements ont une faible marge de manœuvre) qui serait passé de 54% des budgets départements, il y a dix ans, à près de 70% aujourd'hui. "Donc il reste 30%. 30% pour l'investissement, les collèges, l'entretien de nos routes, etc.", s'offusque le président de DF.

"Le résultat", ce sont "entre 50 et 60" départements qui vont "se situer dans des zones de grande difficulté", alors que c'était le cas pour 14 départements il y a deux ans, alerte François Sauvadet. "On est au bout du chemin", affirme-t-il, ajoutant que ces données ne font plus débat et que la Cour des comptes a confirmé cet été "la dégradation extrêmement rapide des finances départementales" (voir notre article). "Tous les profils" de départements seraient touchés, y compris ceux qui étaient il y a peu qualifiés de "riches" – ces derniers subissant la chute brutale de leurs DMTO mais aussi l'impact de leur contribution à la péréquation entre départements, selon le président de DF. 

Après un courrier de DF adressé aux parlementaires, plusieurs amendements au projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ont été déposés par des députés de différents groupes, afin que l'État abonde le fonds de sauvegarde pour les départements en difficulté à hauteur de 600 millions d'euros. 

Une baisse de 10% des investissements en 2025

Et le PLF prévoit dans sa version initiale une perte de recettes supplémentaires de 575 millions d'euros (dont 310 millions de contribution des départements au Dilico et 265 millions d'impact de la mesure "écrêtement de la TVA") pour 2026, indique DF dans une note sur les perspectives financières des départements. "Une certitude : la situation des départements ne leur permet pas de subir de nouvelles ponctions", selon l'association. L'heure serait bien davantage à prévoir "un soutien massif" aux départements les plus en difficulté "pour éviter les cessations de paiement". 

"Les conséquences concrètes, on commence à les voir. Ce sont les Français qui vont les supporter", avertit François Sauvadet, qui parle d'une baisse de 10% des investissements enregistrée cette année. Cela au détriment de l'entretien des routes, des collèges (report ou abandon de projets de construction), des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), du soutien aux investissements des communes. L'élu évoque encore les "révisions de politiques qui sont pourtant très utiles au lien social" avec la baisse des subventions attribuées aux associations culturelles et sportives.

Allocations de solidarité : oui à l'"effort partagé" avec l'État, non à la renationalisation

L'inquiétude porte enfin sur l'envolée des budgets consacrés aux politiques sociales, en particulier du fait du vieillissement de la population, de la situation de la jeunesse – 2% de jeunes protégés, un "drame" sur lequel "il faut que la société arrête de détourner le regard", pour François Sauvadet – et des politiques du handicap. "On ne peut plus faire face, on ne peut pas se substituer à une solidarité qui d'évidence est nationale avec une mise en œuvre départementale", insiste le président de DF, qui demande dès 2026 un financement paritaire (50% État, 50% départements) des allocations individuelles de solidarité (AIS : RSA, PCH et APA). Le reste à charge des départements représenterait en 2025 61% de la dépense consacrée aux AIS (14 milliards d'euros, pour une dépense totale de l'ordre de 23 milliards). Quant à la protection de l'enfance, sujet le plus "lancinant" selon le président de DF, la contribution spécifique de l'État correspond à 3% des 11 milliards d'euros assumés par les départements. 

Donc oui à l'"effort partagé" pour le financement de la solidarité nationale, mais toujours non à la renationalisation qualifiée de "gag" par François Sauvadet. Ce dernier argue de la nécessité de maintenir une mise en œuvre territorialisée parce que les départements ont "la proximité avec les familles". 

Dans le cadre de la lutte contre les fraudes, le président de DF souhaite également "davantage de transparence des données" fournies par les caisses d'allocations familiales (CAF), notamment sur le RSA. Et souligne au passage son profond désaccord avec le réseau des CAF sur la notion de "juste droit", qui ne consiste pas selon lui à "aller solliciter tous les citoyens pour vérifier s'ils ne pourraient pas bénéficier aussi de la solidarité nationale dès lors qu'ils n'en ressentent pas strictement le besoin" – un courrier des CAF récemment adressé aux auto-entrepreneurs aurait été ainsi "très peu apprécié" par les départements. 

Considérant que "l'aspect systémique [de notre modèle de solidarité] n'est plus soutenable", François Sauvadet appelle à "revenir à l'essentiel", en visant un accompagnement "utile et proportionné aux besoins" et en distinguant "ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui doit relever aussi de la participation de chaque citoyen". Le président de DG indique qu'il exprime cet avis "à titre personnel", mais que ce dernier est partagé par d'autres présidents de département – le débat aura lieu le 13 novembre, lors d'une séquence des Assises intitulée "Garantir la soutenabilité de l’action sociale des départements". 

 

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