Les sénateurs débattent de la vitalité des territoires ruraux à l’ère des transitions

Face aux bouleversements économiques, climatiques et sociaux, les territoires ruraux apparaissent comme des laboratoires d’innovations locales. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a organisé un colloque intitulé "Ruralités et transitions", réunissant élus locaux et experts pour en débattre.

Premier défi : battre en brèche les idées reçues sur les territoires ruraux, un exercice auquel s’est attelé Alain Bayet, directeur de la diffusion et de l’action régionale à l’Insee, lors de la table ronde : "Ruralités et transitions économiques et démographiques". "La France est l’un des pays européens les plus verts" en termes de densité de population, a-t-il indiqué. Plus vert que l’Espagne et l’Italie. Près de 33% de la population vit à la campagne, contre 28% au niveau européen, 26% en Espagne et moins de 20% en Italie. Le rural périurbain ou "sous influence des villes" concentre à lui seul les deux tiers de la population rurale française.

D’autre part, les territoires ruraux ne sont pas forcément synonymes de déclin. "Le rural périurbain est très dynamique" avec une croissance de la population plus forte que l’urbain (respectivement +0,6% et +0,4% par an entre 2012 et 2017). Et cette croissance existait avant la crise Covid. "Les gens partaient déjà s’installer dans le rural périurbain, il n’y a pas eu d’effets nets au tournant des années 2020", selon Alain Bayet. Enfin, la campagne ne se limite pas à l’agriculture. Les zones rurales comptent, en réalité, bien plus d’industries qu’on ne le pense.

Un constat partagé par Jean-Baptiste Gueusquin, directeur du programme Territoires d’industrie de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). "Les zones rurales sont très présentes dans le programme : sur les 183 territoires d’industrie, plus des deux tiers sont à dominante rurale", a-t-il mentionné. Pour la bonne raison qu’aucune industrie ne prospère sans un écosystème local solide. "Une entreprise industrielle a besoin de compétences, d’infrastructures, d’innovation et de foncier disponible. Ce dernier point est le premier facteur d’attractivité immédiat."

L’industrie doit être inscrite dans un projet de territoire

Susciter une mobilisation locale est précisément l’objectif du programme Territoires d’industrie, a rappelé Jean-Baptiste Gueusquin. "Les territoires sélectionnés sont ceux où les élus des intercommunalités et les industriels ont inscrit l’industrie dans le projet du territoire. Ensuite, nous mettons à leur disposition une boîte à outils en termes d’animation et d’ingénierie pour les aider à mettre en place leurs plans d’action." Territoires d’industrie est "une usine à projets qui vise à susciter les coopérations locales". Cela a porté ses fruits, selon lui, puisque "deux tiers des territoires qui étaient en déclin industriel avant 2020 ont réussi à retourner cette dynamique et à recréer des emplois industriels entre 2020 et 2022". La Cour des comptes est plus circonspecte. Dans le bilan de la première phase du programme qu'elle a livré fin 2024, elle constate que de nombreux territoires d'industrie ne sont pas parvenus à enrayer le déclin des années précédentes et ont continué à détruire des emplois industriels. Entre 2018 et 2023, ils ont ainsi concentré "44% des créations d'emplois industriels mais 71% des destructions" (lire notre article du 22 novembre 2024).

Par ailleurs, le directeur du programme Territoire d’industrie a évoqué la nouvelle offre d’investissement destinée aux territoires ruraux pour les aider à faire face à la transition écologique : "Territoires d’industrie en transition écologique" du fonds d'accélération de la transition écologique (fonds vert). Sont éligibles à ce titre des projets d’investissements industriels structurants sur le plan environnemental. Cette offre permet également d’aider des projets contribuant au développement des compétences (école de production, centre de formation, plateau technique, etc.) nécessaires à l’émergence ou au renforcement de chaînes de valeur industrielles clés pour la transition écologique (par exemple, le développement de produits biosourcés : chanvre, lin, laine, bois, paille, bioéconomie marine, etc.).

Le fonds vert permet aussi de répondre en partie au besoin d’accompagnement des territoires ruraux sur la réhabilitation du foncier, a précisé Jean-Baptiste Gueusquin. "La réhabilitation des friches industrielles représente un coût important pour les collectivités. Il y a un vrai enjeu d’accompagnement financier. Nous travaillons avec les intercommunalités pour les aider à trouver le bon modèle économique afin d’amortir sur le long ou très long terme ce genre de projet qui reste un levier majeur de réindustrialisation. " Et pourtant, le fonds vert se réduit comme peau de chagrin (2,5 milliards d'euros en 2024 à 1,15 milliard d'euros en 2025).

Ne plus regarder la ruralité avec condescendance

Pour que les territoires ruraux puissent contribuer pleinement à la transition climatique, alimentaire, industrielle et sociale, il faut enfin reconnaître leur rôle stratégique, a martelé de son côté Patrice Joly, sénateur de la Nièvre, membre de la délégation aux collectivités territoriales et président du conseil scientifique de l’Institut des hautes études des mondes ruraux (IHEMRU). Cet institut installé en avril lançait sa première session de 22 auditeurs le 15 octobre (lire notre article du 9 avril 2025).

"En France, le mouvement a longtemps été celui de la métropolisation. Si ce modèle est désormais remis en question, nos élites connaissent mal les territoires ruraux et continuent de les regarder avec condescendance", a déploré le sénateur. Combattre les idées reçues sur le monde rural est l’objet de l’institut qu’il préside. "Le pays doit comprendre qu’il a besoin de la ruralité, tout comme les ruraux doivent être convaincus que le pays a besoin d’eux. Ils ne sont pas un handicap, mais une partie de la solution à bien des enjeux."

Repenser une politique nationale d’aménagement du territoire devient "indispensable", selon lui. La ruralité doit pouvoir se situer clairement dans la construction de l’avenir du pays - et cela passe par un dialogue concret avec les territoires, à tous les niveaux. "Cet aménagement du territoire a disparu depuis plusieurs décennies au profit de ce qu’on appelle les politiques de développement territorial, c’est-à-dire des projets territoriaux construits généralement à travers des concertations pas toujours abouties et avec des moyens d’ingénierie insuffisants. Les élus et les habitants doivent exprimer leur vision du territoire et voir comment elle s’articule avec la stratégie de l’État."

Cela pose la question de l’intérêt des élus locaux des territoires ruraux pour les questions de développement économique durable et de leur acculturation à ces sujets, "dans le couple éventuel qu’ils peuvent former avec des industriels", selon Franck Montaugé, sénateur du Gers. Jean-Baptiste Gueusquin a approuvé : "Il s’agit en effet d’un sujet crucial pour le développement industriel du territoire. Malheureusement, certains territoires n’ont pas de culture industrielle. Certains métiers souffrent encore d’une mauvaise image et les entreprises industrielles ont beaucoup de mal à recruter et à remplir leurs formations. Si elles ne sentent pas un territoire et des habitants ouverts à leur activité, elles ne viendront pas s’y implanter."

 

 

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