Logement : le Sénat appelle à repenser la politique en direction des 16–29 ans

Accès au logement bloqué, aides mal calibrées, offre morcelée : un rapport sénatorial adopté le 15 octobre dépeint une jeunesse française prise en étau entre précarité croissante et politiques publiques inadaptées. Loin de se limiter aux étudiants, les sénateurs appellent à une réponse globale pour tous les jeunes de 16 à 29 ans.

Adopté mercredi 15 octobre par la commission des affaires économiques du Sénat, le rapport d'information "Programmer, accompagner, innover : 25 clés pour le logement des jeunes" ne se cantonne pas au seul défi des résidences étudiantes. Les sénateurs Martine Berthet, Viviane Artigalas et Yves Bleunven mettent en lumière la fragilité inédite des 16-29 ans, une tranche d’âge dont le taux de pauvreté a augmenté de plus de quatre points entre 2002 et 2019. Face à une crise immobilière qui s’aggrave, les jeunes cumulent les handicaps : recherche de petites surfaces pour de courtes durées, souvent sans stabilité professionnelle ni garantie familiale, et concurrence féroce avec des ménages plus solvables.

Résultat le plus visible de cette érosion : l'accès à l'autonomie résidentielle est un parcours du combattant, nourrissant le phénomène des "Tanguy", ces près de 5 millions d’adultes vivant encore chez leurs parents, un chiffre en augmentation de 250.000 en sept ans.

Sortir du prisme estudiantin

Bien que le gouvernement ait récemment fait du logement étudiant une politique prioritaire (PPG) en janvier 2025, visant la création de 45.000 nouveaux logements abordables d'ici 2027 (lire notre article), l'analyse sénatoriale déplore une politique publique "centrée sur le logement des étudiants".

Or, la réalité des jeunes est protéiforme. "À l’heure où les frontières entre études et emploi s’effacent et où la jeunesse s’allonge, nous devons absolument construire une programmation du logement de tous les jeunes, incluant aussi les jeunes actifs ou les jeunes saisonniers", insiste Martine Berthet. Le Sénat recommande ainsi d'étendre les objectifs nationaux au logement des jeunes actifs à horizon 2030. Et afin de lutter contre la "précarité statistique", les rapporteurs demandent d'améliorer la couverture des observatoires territoriaux du logement étudiant (OTLE) en étendant leur champ d’analyse à l’ensemble des jeunes.

Le coût de l'autonomie

La précarité se traduit brutalement dans le budget logement. Pour les 70% de jeunes qui se logent dans le parc locatif privé, le taux d'effort net (la part du revenu dédiée au loyer après déduction des aides) s'élevait déjà à 22% pour les 18-25 ans en 2006, soit plus du double que pour la population générale. Même dans les structures les plus encadrées, le fardeau est lourd, comme le soulignait une étude récente de l'Unhaj (lire notre article).

Face à cette réalité, la mission parlementaire met en garde contre la tentation d'utiliser les APL comme variable d’ajustement budgétaire. "Il faut préserver les aides dont bénéficient les jeunes et ne les modifier que d’une main tremblante, en évaluant prudemment les conséquences pour le pouvoir d’achat des jeunes", estime Viviane Artigalas.

Afin de sécuriser l'accès au privé, le rôle de la garantie Visale (d'Action Logement), qui couvre les impayés pour les jeunes de 18 à 30 ans sans caution familiale, est jugé crucial. Même si 92% des contrats sont émis pour des moins de 30 ans, les sénateurs notent qu'elle est souvent boudée par les propriétaires, qui lui préfèrent la caution physique. Il conviendrait donc de renforcer la communication à l’égard de la garantie Visale pour améliorer son acceptabilité auprès des bailleurs.

L'innovation locale contre l'inertie administrative

En vue de loger les jeunes actifs et les étudiants les plus vulnérables, le rapport insiste sur la nécessité de soutenir et de valoriser le modèle des foyers de jeunes travailleurs (FJT), qui offrent un accompagnement socio-éducatif essentiel (environ sept encadrants pour cent jeunes). Ce modèle est pourtant fragilisé par la concurrence des résidences sociales pour jeunes actifs (RSJA) et par une procédure d'appel à projets jugée trop rigide. Les sénateurs plaident pour une réflexion sur le modèle économique des gestionnaires et pour le remplacement de l'appel à projets par un appel à manifestation d’intérêt plus souple.

Au-delà de l’offre traditionnelle, l’innovation locale doit être libérée. "Les collectivités sont au premier plan pour trouver des solutions, parfois dans l’urgence, pour loger les jeunes de leurs territoires. Elles se heurtent parfois à un cadre juridique inadapté qui est décourageant même pour les plus volontaires", souligne Yves Bleunven.

Le rapport donne l’exemple édifiant de la commune de Grand-Champ (Morbihan), qui a développé un village de tiny houses pour offrir des logements sociaux. Malgré le volontarisme du projet, le montage a nécessité près d’un an de négociations et une dérogation préfectorale pour contourner des normes de surface et obtenir l’agrément de logement social. Afin d’éviter que de tels délais ne découragent les élus, le Sénat recommande de "consacrer un droit des collectivités à adapter, par convention avec l’État, les règles en matière de logement et d’habitat aux circonstances locales de leur territoire".

Enfin, pour sécuriser les parcours, la question de l’accès à la propriété, bien que mise à mal par la crise (la part des moins de 30 ans propriétaires ayant chuté de 18,5"% en 2018 à 16,7"% en 2021), ne doit pas être oubliée. Les rapporteurs encouragent l'expérimentation de mécanismes inspirés des pays nordiques, combinant "encouragement à l’épargne ainsi que des bonifications de taux d’intérêt", et la prorogation du prêt à taux zéro (PTZ) au-delà de 2027.

 

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