Louis Villaret : "La labellisation Grand Site de France oblige à une gouvernance volontariste des élus"
Le réseau des Grands Sites de France tenait ses rencontres annuelles à Zuydcoote (Nord) les 2 et 3 octobre derniers autour de la thématique du patrimoine bâti, qui impose une approche "au cas par cas". Son président, Louis Villaret, revient pour Localtis sur la philosophie du réseau et sur ses accomplissements. Il évoque aussi la question des cofinancements et les enjeux liés à la "fréquentation excessive" de certains sites.

© Vincent Bayeron/ Louis Villaret
Localtis - Votre réseau fête cette année ses vingt-cinq ans. Quelle idée a présidé à sa création ?
Louis Villaret - Des gestionnaires de sites classés se sont regroupés pour se soutenir mutuellement. Nous avions alors trois grandes orientations qui sont toujours d'actualité. Premièrement, protéger les paysages, puisque c'est la valeur paysage que l'on porte en priorité. Deuxièmement, gérer la fréquentation pour que le site emblématique par lui-même soit respecté et protégé. Et troisième optique, créer un projet de développement qui intègre l'activité locale depuis l'agriculture, le tourisme, les métiers d'art jusqu'aux activités artisanales et aux savoir-faire locaux.
Comment votre réseau a-t-il évolué depuis l'an 2000 ?
Nous sommes passés de quatre à vingt-trois grands sites labellisés. C'est une progression qui n'a pas été très rapide, mais notre objectif n'est pas de jouer sur le quantitatif pour avoir cent ou deux cents sites labellisés. Ce que l'on recherche, c'est le qualitatif, la protection du paysage. Nous avons par ailleurs une trentaine de sites qui sont dans la démarche Grand Site de France ou qui viennent de rentrer dans cette démarche ou sont dans ce que l'on appelle les opérations Grand Site, c'est-à-dire qu'un premier projet a été réalisé, validé par l'État. Tous ces sites essayent d'avancer pour mûrir leur projet et pouvoir présenter quelque chose de plus abouti, de plus défini afin d'obtenir la labellisation.
Cette labellisation comme Grand Site de France est donc une démarche de longue haleine...
C'est une démarche exigeante qui oblige, sur le terrain, à avoir une gouvernance volontariste des élus. Tout d'abord, il faut que les élus soient d'accord pour mener à bien cette politique et s'appuient sur des techniciens. Et qu'ensuite ces élus travaillent sur le terrain, ce qui n'est pas évident car ils ont affaire à différents usagers. Il y a les visiteurs et les autochtones, et parmi les autochtones, il y a les différents usagers que l'on trouve dans le monde rural. Pour arriver à présenter un projet concret satisfaisant, il faut mettre tout ce monde d'accord car chacun a l'impression que le territoire lui appartient. Un projet concerté, transversal et cohérent, ça demande des années. Certains sites ont mis dix, quinze ou vingt ans pour arriver à obtenir le label auprès du ministère de la Transition écologique.
Cette année, vous avez consacré vos rencontres au patrimoine bâti. Pourquoi ce thème ?
Le patrimoine bâti fait partie du paysage. Il nous est légué par l'histoire et il nous a semblé que c'était intéressant de réfléchir, de voir l'intérêt que nous avons à protéger, parfois à remettre en état ce patrimoine dans le cadre de nos paysages emblématiques. Chaque site est différent d'un autre. Il y a des sites où le patrimoine historique est ancien, de grande qualité. Je pense à Carcassonne ou au pont du Gard qu'il faut préserver et qui attirent beaucoup de monde, d'où une nécessité de gérer cette fréquentation pour ne dégrader le site. Et puis il y a d'autres endroits plus récents qui rappellent une activité, parfois industrielle ou agricole, avec des bâtiments spécifiques qui ont un intérêt. La question que l'on se pose, c'est de savoir si cela vaut le coup de restaurer, de maintenir. C'est au cas par cas. Ce qui est ressorti de nos travaux, c'est, d'une part, qu'il existe un attachement à ce patrimoine, d'autre part, qu'i faut savoir comment réutiliser ce patrimoine car tout cela a un coût.
À propos de coût, le cofinancement des opérations Grands Sites par l'État et les grandes collectivités est-il actuellement en souffrance ?
L'État, le ministère de la Transition écologique ou celui du Tourisme nous aident, de même que la Banque des Territoires. L'année dernière, cette aide a augmenté alors qu'on est dans une période difficile. Le ministère de la Transition écologique s'est rendu compte de l'action importante menée et nous sommes passés de 200 à 250.000 euros de subventions pour notre réseau en 2025. L'État attribue même depuis deux ans une somme de 60.000 euros à chaque site pour aider à de l'animation, à des études paysagères. Nous allons essayer de faire en sorte que cette aide se poursuive dans le temps. Au niveau des restaurations, surtout lorsqu'il s'agit du patrimoine bâti, si on parle de Rocamadour ou de la cité de Carcassonne, l'État peut apporter des financements à travers la Drac, mais les régions et les départements financent beaucoup plus. Et là, c'est vrai que c'est compliqué. Certains départements rencontrent de grandes difficultés et ne peuvent plus assumer ce qu'ils avaient l'habitude de financer au niveau culturel. Malgré tout, il faut mettre en état ce patrimoine. Récemment, nous étions à Montségur (Ariège), où il faut reconvertir des bâtiments industriels. Or, on ne peut pas tout sauver, il y a des choix à faire et c'est à chaque site, à chaque élu, de voir ce qu'il est possible de faire.
Certains sites emblématiques très attractifs peuvent être victimes de surfréquentation. Quelles solutions votre réseau préconise-t-il ?
Nous ne parlons pas de surfréquentation mais d'une fréquentation qui peut être excessive pendant quelques jours dans l'année. À Saint-Guilhem-le-Désert, dans les gorges de l'Hérault, on s'est rendu compte que dans l'année il y avait vingt-six jours où la fréquentation était vraiment trop importante avec 3.500 personnes circulant dans les rues, épaule contre épaule, ce qui est invivable, aussi bien pour les autochtones que pour les visiteurs. Nous avons réussi à les réduire à deux ou trois jours. Cela implique des parkings éloignés du site, des navettes, de la mobilité douce et, en même temps, de développer tous les villages et lieux qui ont un intérêt autour du site emblématique de façon à envoyer les visiteurs se promener sur l'ensemble d'un site élargi pour mieux maîtriser la fréquentation. Par le développement de toute une microrégion, on peut arriver à fluidifier la circulation de visiteurs et rendre la découverte du site emblématique plus agréable.
Finalement, le label Grand Site de France recherche cet équilibre délicat entre développement et préservation du territoire...
Oui, le label a été créé pour maîtriser la fréquentation, c'est son objet prioritaire. Je reprends l'exemple des gorges de l'Hérault, que je connais le mieux. Qu'avons-nous fait ? À Saint-Jean-de-Fos, où il existait par le passé une tradition de poterie qui avait complètement disparu, on s'est battu avec des gens du village. À partir de savoir-faire locaux, on a réussi à relancer la poterie et il y a maintenant une vingtaine de potiers qui se sont installés à Saint-Jean-de-Fos avec un marché des potiers qui attire du monde tout au long de l'année. Il y a même deux ingénieurs qui se sont reconvertis, sont revenus au village et ont imaginé des oyas, de petits pots que l'on met dans la terre pour arroser les plantes par porosité. Ce qui importe, c'est de développer tout autour là où il y a un intérêt, d'essayer de faire repartir de nouvelles activités.