Lutte contre la pauvreté : la Cour des comptes pointe un manque de lisibilité et d’évaluation

L’organisation des politiques de lutte contre la pauvreté est complexe et les stratégies nationales successives n’ont pas suffisamment permis d’aller vers plus de lisibilité et de cohérence, estime la Cour des comptes. Cette dernière plaide pour davantage d’évaluation et pour une organisation de l’État simplifiée. En charge de la prévention et de la lutte contre la pauvreté au niveau national, Anne Rubinstein défend l’intérêt de sa délégation interministérielle pour mobiliser le gouvernement et les collectivités sur ce sujet et œuvrer à la coordination, tout en admettant que tout le monde "doit absolument faire mieux". 

"Nous n'avons pas de quoi être fiers collectivement de ce que montrent les statistiques." Cet aveu d’impuissance est celui d’Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, qui s’exprimait le 8 septembre 2025 lors d’une conférence sur "les nouvelles formes de pauvreté" organisée au ministère des Solidarités. Dévoilés en juillet 2025 (voir notre article), les derniers chiffres de l’Insee ont fait apparaître une hausse du taux de pauvreté et des inégalités en 2023. Il y a un "paradoxe entre ce système redistributif, ce système social que le monde entier nous envie" et la "difficulté à régler le problème de la pauvreté", a estimé Anne Rubinstein. "On fait de l’aménagement", or "on doit absolument faire mieux et, quand je dis ‘on’, c'est l'État aussi. Globalement, on doit mieux mesurer l'impact de ce que nous faisons", a-t-elle ajouté. 

Nommé fin 2023, Anne Rubinstein occupe un poste créé fin 2017 pour veiller à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté – le premier délégué interministériel était Olivier Noblecourt et la stratégie était alors centrée sur la pauvreté des enfants et des jeunes (voir notre article). Le constat de la déléguée rejoint celui de la Cour des comptes, qui vient justement de publier un rapport sur "le pilotage par l’État de la politique de lutte contre la pauvreté". 

Un manque de vision globale sur les objectifs, les moyens et les résultats 

La Cour rappelle en préalable que le taux de pauvreté, de 15,4% en 2023, reste "en dessous de la moyenne de l’Union européenne à 16,2 %" et s’élèverait à 21,7% sans mécanismes de redistribution. Elle qualifie ensuite le système d’aide d’"organisation complexe qui relève majoritairement des collectivités locales [principalement départements et bloc communal avec les CCAS et CIAS, ndlr], aux côtés de l’État et des organismes de sécurité sociale ou avec leur concours financier". 

Face à cette complexité, l’intérêt d’une stratégie nationale serait justement d’y voir plus clair, pour la Cour des comptes. Le rapport décrit les contours et évolutions de cette stratégie nationale (dont le budget prévisionnel en 2018 était de 8 milliards d’euros sur cinq ans), devenue en septembre 2023 "Pacte des solidarités" (1 milliard d’euros de crédits votés pour 2024, voir notre article), et de son volet local de contractualisation avec les départements. Et le constat est sévère : manque de vision globale sur les objectifs prioritaires, sur l’ensemble des moyens mis à disposition pour lutter contre la pauvreté (la stratégie étant par exemple distincte du plan "Logement d’abord") et sur les effets de ces politiques, disparition à partir de 2024 des "mesures socles" dans les contrats locaux – ce qui, pour la Cour, "affaiblit l’ambition initiale de cohérence au plan national" - et des démarches de suivi et d’évaluation jugées "perfectibles". 

Les magistrats financiers jugent ainsi nécessaire de renforcer le pilotage et l’évaluation : "définir et suivre un agrégat stable des moyens consacrés à la prévention et à la lutte contre la pauvreté en mobilisant les données disponibles" et s’appuyer sur le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) pour l’évaluation en la matière. 

Une organisation de l’État questionnée 

Ils estiment également que "la multiplication des contrats avec les départements vient disperser les moyens pourtant rares des services déconcentrés, et affaiblir la lisibilité de l’action de l’État dans ce domaine". Et recommandent donc d’unifier ces démarches – lutte contre la pauvreté, protection de l’enfance, insertion… - en un "contrat unique" doté de "plusieurs volets thématiques". Ce contrat serait piloté par les services déconcentrés de l’État (les Ddets), qui se verraient rattacher par la même occasion les commissaires à la lutte contre la pauvreté – ces derniers étant actuellement placés auprès des préfets et pilotés par la déléguée interministérielle. Cette délégation rattachée à la ministre des Solidarités n’a plus forcément sa raison d’être après la phase initiale d’"impulsion", estime également la Cour des comptes. 

La délégation "ne cesse de jouer un rôle d'impulsion et de force de propositions auprès du gouvernement", défend Anne Rubinstein dans sa réponse aux conclusions du rapport. Du fait de son positionnement, la délégation "incarne le sujet de la lutte contre la pauvreté au sein de l'État" et sa "structure agile (…) lui permet d'assumer le rôle d'impulsion et de chef d'orchestre avec une position stratégique auprès de l'ensemble des administrations, des collectivités", poursuit la déléguée interministérielle. Cette dernière cite plusieurs "sujets nouveaux non ou peu traités dans les politiques publiques" que son équipe a permis de mettre à l’agenda à travers différents programmes – travailleurs pauvres, jeunes en rupture, familles monoparentales, pauvreté en milieu rural et mobilité solidaire. Et juge enfin "essentiel" de maintenir les commissaires auprès des préfets de région, pour préserver "la dimension stratégique et transversale de leur rôle". 

En attendant, les associations "en première ligne" se déclarent "de plus en plus démunies". Dans un communiqué publié ce 9 septembre 2025, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) estime que "la moitié d’entre elles connaissent une dégradation de leur situation financière" et que "le quart sont en danger de disparition". La FAS appelle les associations à se joindre aux manifestations des 18 septembre et 11 octobre prochains – à l’appel du Mouvement associatif pour cette dernière -, pour "débloquer la lutte contre la pauvreté dans notre pays". 

 

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