Marie-Ange Debon, nouvelle présidente de La Poste : il faudra "réaborder le sujet des missions de service public" du groupe
Le Parlement a validé, mardi 21 octobre, la nomination de Marie-Ange Debon à la présidence de La Poste. Celle qui dirigeait depuis cinq ans Keolis, filiale de la SNCF spécialisée dans les transports urbains, a obtenu 33 voix sur 77 lors des votes des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat (les 36 votes contre représentant moins de 60% des suffrages exprimés). Au cœur de sa feuille de route : la question des missions de service public de La Poste, pour lesquelles la compensation financière de l'État est insuffisante et le futur contrat de présence postale, prolongé d'un an pour permettre la négociation avec l'État et l'AMF.
© Capture vidéoSénat/ Marie-Ange Debon
La sous-compensation financière des quatre missions de service public (service universel postal, contribution à l''aménagement du territoire, accessibilité bancaire et distribution de la presse) que La Poste assure, pèse fortement sur les comptes de l'entreprise et sur l'investissement pour les nouveaux métiers. C'est l'un des messages principaux que Marie-Ange Debon a voulu faire passer lors de son audition par la commission des affaires économiques du Sénat le 21 octobre 2025. L'ancienne présidente de Kéolis a été nommée à la tête de La Poste le même jour, par 33 voix sur 77 lors des votes des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat (les 36 votes contre représentant moins de 60% des suffrages exprimés). Cette ancienne élève de l'ENA diplômée d'HEC avait été choisie par l'Élysée pour succéder à Philippe Wahl et prendre la tête de l'entreprise publique, forte de près de 230.000 salariés dont 60.500 facteurs.
"Réaborder le sujet des missions de service public"
"En Europe, La Poste est l'entreprise postale qui a le plus de missions de service public, mais son déficit se situe depuis trois ans, 2023, 2024, 2025, à plus de un milliard d'euros, 1,2 milliard aujourd'hui, ce qui représente à la fin une part notable de sa dette et cela peut la menacer dans sa solidité financière et dans son développement", a-t-elle exposé devant les sénateurs. Et la tendance devrait s'aggraver avec la chute du courrier amorcée depuis plusieurs années et qui va encore se poursuivre. Dans le cadre du pacte de confiance avec les pouvoirs publics et les territoires que la nouvelle présidente veut engager, il faudra "réaborder le sujet des missions de service public", assure-t-elle et "ce n'est pas un sujet facile, il faudra travailler dans le temps pour savoir comment on peut améliorer les compensations", le budget 2026 prévoyant de nouvelles baisses. Il faudra aussi "travailler sur le périmètre de ces missions pour voir en bonne intelligence collective comment on peut procéder à des évolutions de ces missions". La moitié du déficit venant de la distribution de la presse et l'accord de 2022* n'ayant pas porté ses fruits, Marie-Ange Debon propose de se mettre autour de la table pour en discuter et trouver une solution viable tout en respectant le pluralisme de l'opinion et l'importance de la distribution de la presse dans les zones rurales.
La question de l'évolution des 17.000 points de contact
La candidate était attendue sur le futur contrat de présence postale territoriale, signé avec l'État et l'Association des maires de France (AMF). Alors que le contrat actuel est censé s'achever à la fin de l'année, un délai d'un an a été accordé par tacite reconduction pour laisser le temps de la négociation. Si "La Poste a fait preuve d'une capacité d'innovation en recherchant une meilleure efficacité sociale et économique, il faudra aller plus loin", a-t-elle affirmé. "Il faut sans doute retravailler l'optimum entre nous en ce qui concerne les maisons France services ; les 420 maisons France services de La Poste doivent continuer de s'améliorer, travailler plus étroitement avec d'autres lieux de vie communaux et en faire des lieux de vie plus actifs pour permettre de mutualiser les flux dans les zones les plus excentrées."
Faisant le constat d'une baisse de fréquentation des bureaux de poste (de 2 millions de passages il y a quelques années à 740.000 aujourd'hui) et d'une baisse également des retraits en espèce (moins 20% entre 2022 et 2024), Marie-Ange Debon a posé la question de l'équation économique complexe dans laquelle se trouve le groupe. "La Poste n'a jamais devancé la baisse de la fréquentation mais quand elle est évidente et massive, La Poste doit le prendre en compte, en concertation avec vous, a estimé Marie-Ange Debon. Il y a des bureaux où il y a très peu de passage. Tous ces éléments, on doit les prendre en compte. Cela ne se résume pas à une équation économique, c'est en concertation et en dialogue avec vous, les élus sur le territoire, que nous ferons évoluer les 17.000 points de contacts à la fois pour maintenir une présence et des services et pour essayer de mutualiser des services." Le débat semble donc lancé sur le maintien du maillage territorial. "À la fois on veut plus de service public et à la fois on est devant la complexité de le financer, ce sera mon premier dilemme", a reconnu Marie-Ange Debon.
Revoir le portefeuille d'activités de La Poste, notamment à l'international
Autre levier envisagé par la dirigeante pour rééquilibrer les comptes : une revue du portefeuille d'activités de La Poste, et en particulier à l'international, qui représente 45% de l'activité de La Poste mais qui fait bien davantage que 45% de sa rentabilité. "Le développement à l'international a eu un effet positif pour l'ensemble de la maison en 2024 mais aussi avec des difficultés dans certains pays où La Poste peut faire face à l'entrée de nouveaux concurrents et d'opérateurs low cost."
En question notamment : les difficultés de Géopost, la filiale de logistique engagée dans un plan de redressement sur lequel la présidente estime qu'il faut continuer de travailler. "Et si dans les trois ans le redressement n'est pas à l'horizon il faut en tirer les conséquences par des cessions."
Pour rééquilibrer le tout, Marie-Ange Debon estime qu'il faut développer davantage de services de proximité, comme les livraisons de repas à domicile. La Poste en livre aujourd'hui 15 millions sur un marché potentiel de 150 millions. Même chose pour les services numériques qui pourraient être déployés de manière plus nette dans les agences, et pour tous les métiers liés à la banque postale (crédits immobiliers, crédits à la consommation, etc.). "La chance de La Poste est d'avoir des flux dans ses lieux, on a une capacité à créer des synergies, à faire du 'multi-équipement', c'est-à-dire offrir tous les métiers possibles à nos clients, c'est un des axes que j'essaierai de poursuivre", a-t-elle indiqué.
Les sujets qui fâchent
En revanche, pas d'objectif de réduction des effectifs. "Mon objectif est d'accompagner cette baisse de fréquentation et de multiplier les services dans nos lieux de présence, pas de réduire les emplois", a affirmé la candidate, précisant que les suppressions d'emplois vécues ces dernières années en lien avec la baisse du courrier étaient le fait de départs à la retraite, et non pas de plans sociaux. "Ce qui est assez rare quand une entreprise subit autant de perte d'activité", a-t-elle souligné.
La candidate s'est aussi exprimée sur les sujets chauds du moment, comme le partenariat qui a été acté entre Colissimo et la plateforme en ligne Temu le 15 octobre 2025 pour renforcer leur collaboration logistique. Elle a assumé le protocole d'accord, pourtant dénoncé par deux fédérations de commerçants (l'Alliance du commerce et Procos). Plus globalement, elle a mis en avant l'importance de la livraison de colis pour les facteurs qui livrent 80% des colis pris en charge par Colissimo. "Aujourd'hui les colis qui sont distribués par La Poste participent complètement de l'équilibre économique du service universel postal. Sans les colis, nos tournées seraient moins pertinentes ou les facteurs auraient moins d'activités, c'est plutôt un atout pour les facteurs d'avoir cette activité", a-t-elle insisté, répondant à une question sur la taxe de deux euros envisagée par le gouvernement sur les petits colis et sur l'entrée sur le marché de ces acteurs de la fast fashion, issus de Chine. "Nous sommes tenus de livrer ces colis, nous ne pouvons faire de discriminations", a-t-elle également argué même si elle assure que La Poste est extrêmement attentive à l'offensive des acteurs chinois de la fast fashion.
* Un protocole d'accord 2022-2026 a été signé pour réformer le transport postal de la presse, une des missions de service public de La Poste pour lequel elle perdait chaque année 200 millions d'euros.