Outre-mer : le Sénat adopte le projet de loi contre la vie chère, mais ne veut pas donner de "faux espoirs"

Les sénateurs ont adopté, mardi 28 octobre, le projet de loi contre la vie chère dans les outre-mer, en apportant quelques améliorations à la marge. Mais ils dénoncent le manque d'ambition de ce texte qui suscitait beaucoup d'attentes. Les discussions ont été marquées par un différend avec le gouvernement sur la compensation des "frais d'approche".

Sans grande conviction. Les sénateurs ont adopté à main levée, mardi soir, en première lecture, le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Mais ils ne souhaitent pas donner de "faux espoirs" aux populations ultramarines. "Nous en espérions beaucoup -  or les mesures proposées, même cumulées, n'auront qu'un effet mineur sur la formation des prix en outre-mer, du moins à court terme", a regretté Micheline Jacques (Saint-Barthélemy, LR), rapporteure du texte, à l’ouverture des discussions.

"Les crises sociales liées à la vie chère se succèdent : 2009 en Guadeloupe et Martinique, 2012 à La Réunion, 2017 en Guyane, 2024 en Martinique. À chaque fois, une loi : Lodeom en 2009, loi Lurel sur la régulation économique outre-mer en 2012, loi sur l'égalité réelle outre-mer (Erom) en 2017, et maintenant ce projet de loi", a énuméré, sur le même ton, l’autre rapporteur Frédéric Buval (Martinique, RDPI), rappelant que les écarts de prix avec l’Hexagone ont continué de progresser au fil du temps (jusqu’à 42% en Guadeloupe où les prix ont bondi de 35% en dix ans).

Le projet de loi préparé par Manuel Valls et désormais porté par la nouvelle ministre des Outre-mer Naïma Moutchou vise à agir sur les facteurs du renchérissement des prix autour d’une quinzaine de mesures (lire notre article). 

Frais d'approche

Les sénateurs ont supprimé en commission l’article 1er qui aurait permis d’abaisser le seuil de revente à perte, par crainte qu’il ne favorise les positions dominantes des gros distributeurs au détriment du commerce de proximité. Un choix que la ministre a dit "respecter". Pour rétablir la confiance avec la grande distribution accusée d’être en partie responsable de ces écarts de prix, le texte prévoit de renforcer la transparence (plafonnement des marges arrières, durcissement des contrôles et des sanctions) et la concurrence. Mais l’un des gros sujets de crispation du Sénat est celui des "frais d’approche" (transport, stockage, logistique, conditionnement, distribution), responsables de 67% des surcoûts des produits importés, sachant qu’un conteneur en provenance de l’Hexagone est facturé environ 5.000 euros. Les sénateurs ont supprimé en commission l’article 5 qui permettait au gouvernement de mettre en place, par ordonnance, un mécanisme de péréquation visant à réduire les frais d'approche sur les produits de première nécessité importés, en mettant à contribution les produits à plus forte valeur ajoutée. Mais ce mécanisme aurait eu pour effet de majorer ces autres produits, ont fait valoir les sénateurs, préférant en outre que le mécanisme envisagé soit directement inscrit dans la loi, plutôt que de renvoyer à une ordonnance. L’amendement proposé par le gouvernement n’a pas permis de lever les doutes, en particulier sur la participation financière de l’Etat au dispositif.  

"Les braises de la contestation pourraient se rallumer"

Le sujet de la compensation des frais d’approche est au cœur du protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère conclu en Martinique le 16 octobre 2024 qui porte sur 6.000 produits de première nécessité. Protocole qui, comme l’a rappelé Naïma Moutchou, prévoit bien que "l'État accompagnera ce projet par l'expertise de ses services et précisera, selon les modalités juridiques retenues, les conditions de sa participation financière". "Il n'y avait donc aucun engagement ferme à la participation financière de l'État. Ce n'est pas écrit noir sur blanc", en a-t-elle déduit, provoquant l’ire des sénateurs. Une interprétation "jésuitique", une "trahison" du protocole, a réagi l’ancien ministre socialiste des Outre-mer Victorin Lurel. "Si l'État revient sur les engagements pris sur la compensation des frais d'approche, les braises de la contestation pourraient aisément se rallumer", a averti pour sa part Frédéric Buval. Selon la ministre, depuis la mise en place de ce protocole en Martinique, les prix ont baissé de 10%. Mais on est encore loin de l’objectif de 20%.

En attendant que le sujet soit éventuellement réglé à l'Assemblée, les sénateurs ont adopté plusieurs amendements visant à renforcer le "bouclier qualité prix" instauré en 2012 pour garantir un rapport qualité/prix dans un panier de produits de première nécessité. Alors que le texte initial fixe un objectif de réduction des écarts de prix avec l’Hexagone, et plus seulement de modération, un amendement de Micheline Jacques prévoit d’inclure obligatoirement dans le panier les services de télécommunication et l’entretien automobile. Un amendement de Victorin Lurel entend favoriser les approvisionnements directs. D’autres amendements prévoient d’y inclure les produits distribués dans des emballages consignés ou réutilisables.

Rien sur l'intégration régionale

Tirant les leçons du cyclone Chido à Mayotte, en décembre 2024, les sénateurs ont voulu donner aux préfets des Outre-mer la possibilité de réguler temporairement les prix en cas de crise.

Mais ces corrections à la marge ne donnent pas au texte l’ampleur que les sénateurs appelaient de leurs vœux. Car "la vie chère est un phénomène multifactoriel", a rappelé Frédéric Buval. Micheline Jacques a par exemple regretté que rien ne figure dans le texte sur "l'intégration des outre-mer dans leur environnement régional". "Faire transiter les crevettes de Madagascar par Rungis pour les commercialiser à Mayotte n'a aucun sens, a-t-elle dénoncé. Idem pour les citrons du Brésil vendus en Guyane".

 

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